Les élites locales et la « gouvernance » … pourquoi ça ne va pas ?

 

Résumé

Le service de l’intérêt général et la bonne gestion des finances publiques ne sont pas leur préoccupation première … quelques familles, clans ou ethnies seulement, tiennent le pouvoir politique, économique et culturel… corruption et mauvaise gestion sont générales, des raisons culturelles et sociologiques peuvent l’expliquer mais ne le justifient pas…

Les choix erronés ou démesurés de politiques publiques, de stratégies et d’investissements ruinent les peuples et les endettent…

Le développement n’est pas un problème d’argent mais de méthode et de confiance : l’argent public est mal dépensé et les investisseurs privés placent leur argent à l’étranger faute d’un cadre légal, judiciaire et institutionnel en quoi ils puissent avoir confiance …

…. Bref, les élites ne font pas leur travail et manquent sévèrement à leur devoir à l’égard de leur peuple et de leur pays …c’est pourquoi la belle idée « d’appropriation » de l’aide par les dirigeants s’avère hors de propos et prétendre fonder la coopération sur leur sentiment de responsabilité sociale, une lubie dangereuse.

Texte complet


Le service de l’intérêt général et la bonne gestion des finances publiques ne sont pas leur préoccupation première

 

Le développement est affaire d’hommes, disions nous, beaucoup plus que de finances ou de technique. L’homme en effet, peut tout apprendre, dominer la technique et gagner de l’argent mais il est faillible dans ses choix et ses comportements.

Il faut être conscient que, dans les pays en développement et selon leur taille, quelques dizaines ou centaines de familles ou quelques clans seulement, prennent les décisions importantes. Leurs intérêts sont très étroitement liés ou, au contraire, en état de compétition féroce tant dans le domaine politique qu’économique ou social. On trouve souvent dans ces familles, un homme politique, un entrepreneur et un dignitaire religieux ou traditionnel ce qui leur permet de tenir dans leurs mains, les éléments essentiels du pouvoir et d’asseoir solidement leur implantation locale ou nationale. De nouvelles familles émergent progressivement grâce à l’évolution normale de l’économie et de la société, ou soudainement par le biais des révolutions, des coups d’état ou encore, de la décolonisation. Ce sont d’ailleurs souvent, les enfants de ces mêmes familles qui « font la révolution » ! Le comportement de ces nouvelles familles se fait plus moderne mais elles défendent leurs intérêts tout aussi âprement sinon plus, que les vieilles familles d’autrefois. Ces élites anciennes ou nouvelles, sont les interlocuteurs des organismes de coopération avec lesquels ils vont identifier puis mettre en œuvre les stratégies et les projets de développement de leur pays. Ces élites sont éduquées dans les universités de leur propre pays mais aussi dans les universités ou écoles des pays avec lesquels ces derniers ont eu des rapports étroits au cours de leur histoire récente : Paris, Londres, Moscou et de plus en plus les universités américaines et maintenant asiatiques, sud-américaines ou du Moyen-Orient. Leur bagage intellectuel est donc au départ, de même nature que celui des fonctionnaires ou coopérants avec lesquels elles vont travailler et il n’est a priori, aucun sujet qu’elles ne puissent appréhender intellectuellement .

Mais dans le cadre de notre société technicienne dans laquelle, quoi qu’on dise ou veuille, les pays en développement sont embarqués, il existe une différence capitale entre le fait d’analyser et de comprendre des situations ou des évènements, processus purement intellectuel, et la capacité à définir et maîtriser concrètement l’action qui doit s’ensuivre. L’expérience montre en particulier, qu’il est deux domaines dans lesquels les élites éprouvent des difficultés à s’épanouir : le premier est la phase de « synthèse-action » venant naturellement après l’analyse des problèmes qu’elles maîtrisent en général assez bien, le second est l’inexistence quasi-absolue du sens de l’intérêt général qu’elles n’arrivent pas à mettre en pratique sinon à concevoir du fait des coutumes locales et des pressions qui sont exercées sur elles de toutes parts. Il en résulte donc assez normalement, une faible efficacité dans l’administration des biens publics en raison d’une part, de mauvais choix dans les priorités nationales, sectorielles ou géographiques et d’autre part, de faits de corruption ou de concussion très répandus.

 

Concernant l’insuffisance des capacités de « synthèse-action », il n’est que d’examiner les nombreux rapports et études établis par les responsables, experts ou consultants nationaux pour le compte des administrations ou projets pour lesquels ils travaillent . L’analyse et la compréhension des problèmes sont en général correctes sauf dans quelques cas où une problématique plus compliquée fait échapper tel ou tel paramètre à l’analyste, mais l’identification des solutions et la programmation de l’action restent pratiquement toujours insuffisantes. On le voit bien dans la structure des rapports où la partie recommandations et action ne comporte souvent que quelques pages de « wishful thinking » du type « il serait souhaitable de… ou il faut que… » mais rien ou très peu sur le comment ? sur le quand ? sur le qui ou avec quoi ?

Et ceci ne tient nullement à un trait de caractère plus spécifiquement latin, africain, asiatique ou autre : c’est une faiblesse très générale que l’on rencontre dans tous les pays en développement. Elle est probablement due à une moindre sensibilité naturelle, ou acquise, aux problèmes de méthode que l’Occident a longuement appris à maîtriser depuis la civilisation greco-romaine en passant par la Renaissance et la civilisation rationaliste et technique des deux ou trois derniers siècles. Ce que nous avons dit plus haut des formations universitaires, a sans doute aussi, sa part de responsabilité : le moule auquel sont formés les responsables, experts ou consultants des pays en développement, est en effet celui des universités nationales ou des universités occidentales que les premières ont pris pour modèle. Il est donc logique que leur approche des problèmes souffre du même regrettable défaut, à savoir privilégier l’analyse et l’explication du constat (la partie intellectuelle) plutôt que la recherche de solutions concrètes pour l’action (la partie pratique). En cela, il n’y a pas de différence sensible entre les pays de tradition universitaire anglo-saxonne ou ceux de tradition latine ou méditerranéenne qu’ils soient asiatiques, africains ou latino-américains. Seule la pratique des choses et l’expérience pourraient y remédier mais les jeunes diplômés des pays en développement sont en général, très vite appelés à de hautes fonctions dans leur pays et n’ont de ce fait, pas le temps de pratiquer sur le terrain et d’accumuler suffisamment d’expérience.

On a bien sûr rencontré, beaucoup de jeunes cadres compétents en Algérie, au Liban, en Ethiopie, au Congo, au Pérou, aux Philippines, au Cambodge comme partout ailleurs. Il y a aussi des étudiants très prometteurs sur les bancs des universités mais il faut savoir que, de retour dans leur pays et installés dans leurs fonctions, ils doivent s’insérer dans leur idiosyncrasie nationale. Ils commencent alors, comme leurs aînés, à céder aux pressions de leur entourage et perdent bien vite la technicité et la rigueur qui auraient pu devenir leur apanage.

 

L’absence du sens de l’intérêt général, la corruption et la « mauvaise gouvernance » quant à elles, ne sont pas liées au type de régime, démocratique ou autoritaire, pas plus qu’elle ne sont de gauche ou de droite, elles sont partout… ou plutôt, elles peuvent être partout si on ne prend pas les mesures préventives adéquates pour en dissuader l’apparition et le développement. Le combat politique en effet, élections ou coups d’état, est une féroce lutte de clans ou de tribus pour les richesses du pays dont les élites dirigeantes respectives s’attribuent le contrôle une fois arrivées au pouvoir, … chacun son tour et trop souvent, après de sanglants règlements de compte. Elle est toujours aussi intense en Afrique comme en Asie ou en Amérique latine où le principe d’alternance démocratique ne semble pas faire beaucoup de progrès en dépit des discours « angélistes » de certains organismes internationaux ou commentateurs du développement. 

La corruption existe à tous les niveaux, du ministre jusqu’au simple douanier ou policier de base et, dans beaucoup de pays qui payent mal leur fonction publique, il arrive fréquemment que les diplômes soient tout simplement « vendus » par les enseignants ou que les médicaments, normalement gratuits, le soient par les infirmiers ou les médecins. Il faut savoir que les salaires ou rémunérations mensuelles du travailleur de base, se situent dans la plupart des pays entre 50 et 100 euro ou dollars et encore s’agit-il de privilégiés ayant un travail régulier ce qui est le cas des seuls employés de l’administration et des entreprises du secteur moderne soit de 20 à 40 % de la population seulement, les 60 à 80 % restants n’ayant jamais que des revenus aléatoires du secteur informel rural ou urbain. Un directeur de ministère ou un cadre dirigeant d’entreprise, ingénieur ou niveau licence, peut gagner de l’ordre de 500 à 1000 euro ou dollars par mois alors qu’un cadre administratif moyen ou un employé qualifié recevra de 200 à 500 euro. Ces chiffres varient naturellement selon le niveau de développement du pays mais ils ne feront que se situer un peu plus haut dans le cas par exemple, du Costa-Rica, du Chili ou du Liban ou un peu plus bas s’agissant du Niger, du Laos ou de la Bolivie… et on ne parle pas des pays sortant de guerre civile comme l’ont été le Nicaragua, le Sierra Leone, le Liberia, le Tchad, l’Erythrée, les Philippines, l’Ethiopie, le Pérou, le Salvador ou le Cambodge… Il faut aussi savoir que la plus grande partie des ouvriers chinois ou indiens qui travaillent dans le « secteur moderne » de ces grands pays qui nous font si peur, n’ont même pas de contrat de travail, aucune protection sociale et pour beaucoup ne gagnent pas plus d’un euro par jour même si leurs salaires ont considérablement augmenté dans les dernières années !

Au regard de ces situations de misère, les millions d’euro du moindre projet de développement constituent bien évidemment, un point de focalisation des intérêts des uns et des autres soit pour y trouver un emploi, soit aux niveaux plus élevés, pour s’en servir comme levier politique ou financier d’intérêts partisans ou personnels. Cela peut aller de l’utilisation des moyens d’un projet pour faciliter la ré-élection d’un député ou d’un gouverneur, à l’embauche d’employés par copinage ou clientélisme à charge pour l’heureux élu de verser une commission sur son salaire à son parrain, ou à l’escroquerie et au vol pur et simple, … en passant bien évidemment, par la voie royale des « prélèvements » sur les achats de biens, services ou travaux confiés à l’entreprise la plus « offrante » !

Il n’y a pas de projets où il n’y ait eu de multiples tentatives, les personnes impliquées étant selon les cas, le Président de la République, le ministre ou sous-ministre, le directeur ou chef de service, le député ou gouverneur et pourquoi pas, dans le cas des douanes par exemple, l’ensemble de la hiérarchie du simple douanier au ministre ! Il n’y a pas non plus de pays où cela n’existe pas qu’il soit plus ou moins pauvre, plus ou moins rural ou urbain et que son régime politique soit plus ou moins autoritaire ou démocratique : seuls varient le degré de redistribution au sein de la famille, du clan, de la tribu ou du parti et le niveau de finesse avec laquelle sont effectués ces fameux « prélèvements ». Citons à titre d’exemple, les admonestations récentes du Président chinois et du Premier Ministre vietnamien à propos de la lutte contre la corruption que le « Parti » devrait mener sans tarder pour mieux assurer le succès de la lutte contre la pauvreté. Ou encore la « bataille » engagée par l’ex-Président de la Banque Mondiale, P. Wolfowitz, pour traquer et anéantir la corruption en différant, suspendant, annulant au besoin, les crédits consentis aux pays emprunteurs : P. Wolfowitz à ce compte, aurait du fermer la Banque Mondiale ! cette vertueuse mise au pas durera-t-elle et a-t-elle été conçue de manière qu’elle soit acceptée par les actionnaires et récipiendaires de la Banque comme un exercice salutaire et normal ainsi qu’il se devrait ? Les femmes aussi, peuvent être assez diaboliques dans l’exercice combiné de la corruption, de la politique et de la violence pure et simple comme l’ont amplement montré les femmes ou ex-femmes de quelques Présidents africains ou asiatiques. Des exemples de tentatives d’interférence pour des motifs politiques ou financiers indus, peuvent être cités sur tous les projets qu’il nous a été donné d’évaluer, de suivre voire de redresser pour le compte de la Commission par exemple, en Bolivie, au Pérou, aux Philippines, au Nicaragua, au Paraguay, au Liban, au Yémen, en Erythrée, au Tchad, au Maroc, en Egypte, au Népal et ailleurs : les tentatives ont été bloquées là où il y avait co-direction entre experts européens et nationaux (le mécanisme en sera expliqué plus loin) mais elles ont malheureusement pu se concrétiser ailleurs.

 

La règle générale et consensuelle veut en effet, qu’un poste politique ou administratif soit une propriété temporaire dont on peut et doit légitimement profiter au maximum pour mettre sa famille ou son clan à l’abri du besoin ou pour en faire profiter sa tribu. Ne pas le faire vous serait très sévèrement reproché moralement et socialement, par votre entourage ! Le phénomène atteint une telle acuité que les jeunes cadres sortant des universités ou écoles européennes, malgré leurs bonnes intentions au départ, perdent très rapidement leur vertu aussitôt qu’ils rentrent au pays, en voyant l’exemple de leurs aînés plus haut placés dans la hiérarchie : la route est tracée et ils la suivent !

La notion d’intérêt général et le sens du service public n’existent encore pratiquement nulle part au niveau de l’Etat, c’est une notion qui a mis des années voire des siècles à se développer en Europe. Les pays en développement pratiquent fort bien la solidarité familiale et communautaire, clanique ou tribale mais le sens de l’Etat et le sentiment de responsabilité à l’égard d’une communauté plus large, le pays ou la communauté nationale, n’ont pas encore véritablement émergé dans l’esprit des classes dirigeantes . C’est pourquoi on peut parfaitement et très solidement fonder des activités de développement local sur la solidarité communautaire mais c’est une erreur grossière de penser qu’on peut bâtir une coopération saine et efficace au niveau national, sur un sentiment de responsabilité qui n’existe pas à ce niveau. L’appropriation de l’action par les groupements et les communautés de base est le fondement sine qua non, de tout processus d’autonomisation du développement local comme on le verra au chapitre 2 mais l’idée « d’appropriation » de l’aide par les gouvernants au niveau d’un pays, est une pure et simple lubie. On n’insistera donc jamais assez sur la nécessité de prévoir un verrouillage financier convenable et de mettre sous contrôle les décisions des dirigeants quant à l’utilisation des fonds de la coopération. Ces fonds en effet, ne leur sont pas donnés, à eux, mais à leur pays et au seul bénéfice des populations qu’on veut aider : c’est une nuance qu’ils ne saisissent pas toujours très bien et qu’ils ont beaucoup de mal à mettre en œuvre correctement !

 
 

Les choix erronés ou démesurés de politiques publiques, de stratégies et d’investissement ruinent les peuples et les endettent

 

Il faut aussi prévenir le mal plus en amont. En effet, s’agissant de projets et plus encore lorsqu’il s’agit d’aide budgétaire, un risque majeur de mauvaise « gouvernance » est le choix erroné de politique sectorielle, de stratégie ou d’investissement qu’il soit dû à une méconnaissance de la problématique et des besoins locaux, à une mauvaise appréciation des solutions proposées ou tout simplement à un abus de pouvoir motivé par des intérêts partisans ou personnels c’est à dire de pures et simple malversations. Cette dérive est particulièrement criminelle dans la mesure où elle contribue à l’endettement inutile du pays ou au gaspillage de ses ressources lorsqu’il s’agit de financement propre. On peut dire que, dans ce cas, les élites « volent le peuple » car les ressources propres s’épuisent et s’il s’agit d’un emprunt, il faudra bien un jour le rembourser. Au-delà, dans le cas de non-remboursement ou d’annulation de la dette suite à une mauvaise gestion des finances publiques et à l’étouffement financier du pays, cela revient à voler le contribuable des pays donateurs.

Ajoutons que ces « erreurs » dans les choix, ne sont pas marginales ni exceptionnelles, il suffit d’examiner en profondeur, les Plans d’Aménagement ou de Développement nationaux et les Programmes d’Investissement Public ainsi que les projets qu’ils prévoient, pour se rendre compte des incohérences de ce qui est prévu avec les priorités réelles du pays et de sa population. La lecture des Programmes indicatifs nationaux (PIN) par exemple, qui sont censés refléter les priorités de la coopération européenne avec les pays aidés, est aussi très instructive car elle n’est pas toujours le fruit d’un véritable échange partenarial avec les gouvernements concernés mais se réduit trop souvent, à l’aval complaisant de priorités que ces derniers ont voulues pour des raisons qui ne sont pas toujours très claires ni vraiment très justifiables rationnellement. Ces PIN du même coup, ne sont pas toujours très explicites et se bornent souvent à des généralités du même type que celles des Country Strategy papers alors que ces documents devraient être la charte précise et bien programmée d’une coopération efficace entre les deux partenaires. Nous avons déjà dit ce qu’on pouvait penser des procédures et des pratiques de planification, programmation et contrôle de la Banque Mondiale et des autres bailleurs qui, elles aussi, font la part belle au manque de courage politique face aux gouvernements récipiendaires et reflètent également une certaine incohérence stratégique et opérationnelle. 

Voilà pourquoi il est choquant de la part des bailleurs ou donateurs, de laisser faire les gouvernants des pays récipiendaires sans véritable contrôle et de montrer un tel « benign neglect » devant la nécessité impérieuse d’instaurer un cadre de coopération qui permette de maîtriser effectivement et efficacement leurs financements. Cette négligence est, quant aux résultats, tout aussi grave qu’une mauvaise gestion directe des fonds publics et devrait faire l’objet de sanctions politiques et administratives sévères. Réformer le système devient donc urgent pour éviter un jour, une éventuelle « grève du contribuable » dans les pays riches et la perpétuation du gâchis dans les pays pauvres où l’exemple salutaire d’une bonne gestion permettrait peut être, d’enclencher un processus vertueux dont on est actuellement loin de favoriser l’éclosion.

 
 

Le développement n’est pas un problème d’argent mais de méthode et de confiance

 

Il y a partout, suffisamment d’argent . Seule la confiance fait défaut parce que la compétence (souvent) et l’honnêteté (trop souvent) sont absentes et partant, la capacité ou la volonté de mettre en place un cadre de gestion publique et privée, suffisamment clair, stable et fiable.

Reprenant l’exemple des transferts de fonds des émigrés qui constituent une manne souvent beaucoup plus importante que l’aide internationale dans la plupart des pays pauvres, il est évident que les individus et les familles vont rechercher l’investissement le plus sûr et le plus contrôlable. Partout, ce sera la construction et on va voir surgir de terre des milliers de maisons plus ou moins luxueuses qui excèdent largement les besoins des familles restées au pays : dans les villes et villages, on les qualifie de « châteaux » comme en Kabylie, dans le Sud marocain, en Thaïlande, aux Philippines, au Nicaragua, au Liban, etc… Il faudra ensuite les entretenir ce que beaucoup ne feront pas ou ne pourront pas faire et le capital dépérira. Une meilleure utilisation de ces ressources pourrait donc être faite pour notamment, accélérer le développement productif mais il y faudrait un cadre de collecte et de gestion des fonds auquel les citoyens puissent faire confiance. Ce cadre n’existe pas et même les banques installées adoptent le comportement « court-termiste » des entrepreneurs. Il est difficile de le leur reprocher car les incertitudes politiques les empêchent d’appréhender la situation politico-financière de leur pays au-delà d’un horizon de quelques mois ou de quelques années. Ne disposant pas d’un champ de vision suffisant, il se borneront à développer des activités légères à fortes marges et à retour rapide. Ils ne risqueront pas leurs capitaux de départ dans des activités à plus long terme c’est à dire dans un développement stable et continu de l’économie nationale. Quant à leurs gains annuels, ils s’efforceront d’en expatrier la plus grande partie dans des pays où le cadre légal et judiciaire leur garantira la sauvegarde de leurs avoirs.

Une des causes majeure de la difficulté qu’éprouvent les pays en développement à décoller ou à maintenir un taux de développement substantiel et constant, est donc l’absence d’un cadre d’investissement et de gestion économique et financière suffisamment clair, sûr et stable dans lequel les investisseurs comme les épargnants potentiels, petits ou grands, puissent avoir confiance. Or, c’est la responsabilité des élites que de concevoir et mettre en œuvre un tel cadre : elles ne le font pas parce qu’elles n’en sont pas capables ou qu’elles n’y ont pas intérêt ou les deux ! L’aide internationale en a les capacités et y aurait intérêt mais elle ne le fait pas non plus parce qu’elle se bloque elle même par des considérations politiquement correctes qui s’apparentent au délit de non-assistance à personne en danger : on n’ose pas en effet, « forcer » les élites à faire leur travail et leur devoir vis à vis de leur propre peuple. Le développement pourra donc attendre et les fameuses élites continueront de placer leur argent à l’extérieur au lieu d’investir dans leur propre pays. Quant au « micro-épargnant » pauvre, il ne pourra jamais s’insérer dans un circuit sûr et organisé d’épargne et de crédit qui lui donnerait la possibilité de financer les micro-activités productives qui pourraient lui sortir la tête hors de l’eau et en faire un futur consommateur moderne !

 

Les élites qui ont pris le relais du colonisateur ou qui se sont promues elles mêmes dans les pays en développement, n’ont pas rempli la mission que la nature ou la chance leur avait confiée. Peu en importent les raisons, aggravantes comme le lucre et l’égoïsme ou atténuantes comme l’ignorance ou la coutume. A ce constat, il faut ajouter le fait que le laxisme, le manque de courage politique ou la « bien-pensance », et malheureusement aussi, l’inexpérience ou le manque de jugement ont conduit les diverses institutions bilatérales et multilatérales de coopération à entériner ou à promouvoir des stratégies et des pratiques inadaptées.

Il faut maintenant, construire un nouveau cadre d’action fondé sur une vision plus réaliste et moins convenue des relations entre les peuples. Ne pas avoir peur et oser le partenariat, un partenariat où les responsabilités soient effectivement partagées et non pas une comédie qui couvre un abandon de pouvoir pur et simple. L’Europe en a déjà fait une expérience positive dans les années 80-90 mais elle a par la suite, préféré s’abandonner au confort d’une bureaucratie qui a progressivement anesthésié sa pensée, paralysé son action et réduit son efficacité à peu de chose. L’Europe sera peut être l’initiateur d’un renouveau mais elle devra pour cela, refonder l’esprit et les pratiques actuels de sa coopération.