Avant-propos

 

Résumé

Je crois en l’avenir de l’Europe comme Pascal faisait le pari de l’existence de Dieu… mais quel pari ! L’Europe avance cahin-caha, mais la problématique du développement ne change guère or elle doit faire face à la poussée grandissante des peuples du monde. Pour une grande politique étrangère, il lui faut d’urgence changer l’esprit, l’approche et les méthodes de sa coopération.

Texte complet

Si l’idée de changer « le cadre de la coopération » est venue à l’esprit des dirigeants de la Commission, pourquoi ne l’ont-ils pas fait ?  Une grande politique étrangère européenne peut-elle se satisfaire d’instruments aussi poussifs ? Les Etats membres se sentent-ils concernés ? et le Parlement ? et les citoyens ?

Pendant que quelques uns se posent ces questions et observent la marée montante des peuples et des nations qui bougent tout autour de l’Europe, encore inconscient mais vaguement inquiet, le petit bourgeois européen maugrée dans son coin agrippé à ses avantages acquis et « sécurisés » ! Il se refuse à regarder ce qui ne va pas en lui-même et trouve plus facile d’accuser les autres des malheurs qu’il sent confusément venir.

Le premier ministre belge Guy Verhofstadt, déclare dans Le Figaro du 21 Avril 2006 que « dans un monde qui avance, l’Europe doit cesser d’ergoter, cesser de se plaindre, adapter son modèle pour être compétitif dans le monde nouveau, définir les politiques communes nécessaires au sein d’un noyau dur et ouvert qui aille de l’avant sans attendre les hésitants ni les mous ». Quelques autres ont également fait le diagnostic de cet esprit de démission mais que pèsent-ils face à tous ceux qui ont peur et qui refusent de prendre le moindre risque devant leurs électeurs d’aujourd’hui quitte à mettre en jeu l’avenir de leurs enfants à l’intérieur de nos frontières et, à l’extérieur, la place éminente de l’Europe dans le progrès des civilisations et des peuples. Elle est loin l’Europe de de Gaulle, européenne, rassemblée, solidaire mais ouverte aux défis et prenant sa part des responsabilités du monde.

 

Certes, mais en dépit de tout, l’Europe avance… cahin-caha. En 1942, année de ma naissance, l’armée allemande envahit la zone sud et de Gaulle, encore lui, ne cesse de se battre avec les anglo-saxons pour sauvegarder l’autorité française sur chaque parcelle du territoire libéré. Et pourtant, je travaille aujourd’hui de façon normale et confiante avec des allemands, des anglais et toutes les nationalités européennes. Nous pouvons évoquer la guerre de Cent Ans, la guerre d’Amérique et la revanche sur le traité de Paris, Trafalgar ou Austerlitz, la rive gauche du Rhin, les bombardements de 1944-45 … et les succès ou échecs respectifs aux Jeux Olympiques ou au Tournoi des Nations sans qu’aussitôt, John Bull ou les Walkyries se jettent sur moi ou devoir à mon tour, monter sur mes ergots et leur rappeler la belle devise de la couronne d’Angleterre ou la bonne vieille alliance avec les Etats allemands du Rhin pour manifester l’antériorité française sur le Royaume d’Angleterre ou le Royaume de Prusse.

L’Europe avance, le marché est enfin « commun » et il se prépare à faire face aux autres blocs malgré les frayeurs protectionnistes des uns et la volonté mercantiliste d’ouverture des autres, sentiments fort malheureusement exacerbés par les « turqueries » des Présidents successifs de la Commission Européenne et de certains de nos Chefs d’Etat ! Les entreprises sont maintenant européennes et ressenties comme telles car chacun, entrepreneur ou simple citoyen, même s’il conserve sa préférence nationale, finit par accepter que celles de son pays soient éventuellement dirigées voire rachetées par d’autres européens. Certaines entreprises comme Airbus ou Arianespace, sont le fruit de l’initiative et de la coopération de plusieurs entreprises et gouvernements européens et sont devenues le symbole de l’Europe en marche. Des politiques communes ont été définies dans certains secteurs même si cela a souvent dérivé vers des réglementations trop tatillonnes, l’euro est la monnaie dominante en Europe et la seconde plus importante au monde, on parle même de politique étrangère et de sécurité commune jusqu’à réaliser des interventions militaires conjointes dans certaines zones sensibles comme la Bosnie, le Congo, le Liban ou le Tchad. C’est un grand progrès pour des pays qui se faisaient encore la guerre il y a soixante ans.

 

Il y aura fallu deux générations et il en faudra encore une (ou deux depuis « l’élargissement ») pour transformer l’Union en une véritable puissance européenne où tous se sentent une appartenance et un avenir communs. Pour atteindre ce but, il faudra écarter à la fois, les options de ceux qui n’ont toujours pas renoncé à la dissoudre dans un vaste « club commercial globalisé » et les obsessions de ceux qui voudraient la réduire à quelques « Suisses » bien protégées, tous s’abandonnant de ce fait, à l’illusion du protectorat américain. En résumé, l’Europe ce n’est ni Davos ni Porto Alegre ! Elle est une puissance en devenir et non pas un aimable convent de fugitives célébrités économiques, politiques, culturelles ou associatives du bien-penser libre-échangiste ou altermondialiste.

Construire l’Europe est en effet, une question de survie face aux Etats Unis ou au Japon et face aux puissances qui émergent en Asie ou ailleurs. Celles-ci bousculent allègrement notre confort qui, datant de l’ère industrielle, a beaucoup de mal à résister à la nouvelle vague de l’économie mondiale. L’Europe devra faire face également aux dangers périphériques, celui du terrorisme islamiste, produit mutant de l’aveuglement des Etats Unis et de l’impuissance européenne dans le règlement du conflit israélo-palestinien ou encore, celui des hordes désordonnées de l’immigration de la misère qui ont le courage, l’inconscience ou la nécessité de chercher ailleurs, une vie meilleure. L’Europe est aussi le seul levier possible qui permette à la France et quelques autres puissances et cultures européennes, de continuer d’exercer une influence utile et nécessaire sur l’avenir d’un monde dont le pivot ne sera plus exclusivement européen ni même occidental. Les quelques centaines de millions d’européens ni même le milliard d’occidentaux du nord de notre hémisphère, de l’Alaska au Kamtchatka en passant par Washington, Paris, Berlin et Moscou, voient leur poids démographique et économique se réduire inexorablement face à la montée du tiers monde en développement. Comment dans ces conditions, préserver notre identité tout en restant un des acteurs majeurs de l’évolution du monde ? Que faisons nous actuellement dans ce but et le faisons-nous bien ?

 

Les 6 à 7 milliards d’euro de la coopération européenne, distribués chaque année dans plus de 150 pays en développement, paraissent assez peu de chose comparés aux 110 milliards du budget européen dont la plus grande partie est consacrée aux « affaires intérieures », soutien à l’agriculture, mise à niveau régional et dépenses de fonctionnement des services, toutes dépenses que l’on pourrait qualifier de cuisine intérieure. En revanche, ces 6 ou 7 milliards revêtent une importance stratégique essentielle dans la mesure où ils constituent le principal moyen d’action dont l’Europe dispose pour relever les défis que lui posent directement ou indirectement, les aléas de développement du reste du monde. De leur utilisation judicieuse dépendront non seulement la place de l’Europe dans le monde futur mais surtout la manière dont ledit monde se façonnera, plus ou moins proche de notre culture et de nos valeurs. A plus court terme, le calme ou la tension voire la paix ou la guerre peuvent en dépendre selon l’efficacité qu’on aura su ou n’aura pas su donner à notre coopération et par conséquent au progrès des pays pauvres en général et à la stabilisation des zones sensibles en particulier. Il faut savoir que le budget européen de coopération sans même compter la coopération propre des Etat membres, est la plus importante contribution de tous les pays du monde au développement des pays pauvres ou émergents. De plus, cette aide est un don ce qui change totalement la vision et la gestion qu’on doit en avoir, si on la compare à celles des autres bailleurs internationaux qui la distribuent généralement sous forme de prêts.

Il est donc essentiel de savoir comment cette aide est utilisée, quelle en est l’efficacité réelle et quels en sont les résultats tangibles ? pour le présent, puisque les citoyens européens ont le droit de savoir ce qu’on fait de leur argent et pour l’avenir, puisque des choix stratégiques et opérationnels effectués aujourd’hui, dépendent en grande partie, l’avenir des pays aidés et l’organisation future du monde. Savoir ce qui se passe et en comprendre les raisons, nous permettra aussi de relativiser nos fantasmes et de mettre les acteurs en face de leurs responsabilités.

 

Depuis le milieu du siècle passé, en gros depuis les indépendances, les Etats du tiers monde ont du faire face à une multiplication de leur population, de l’ordre de quatre à cinq. Ils ont en moyenne maintenu, quelquefois un peu amélioré et assez souvent, laissé se dégrader le niveau et la qualité de vie que leur avait laissés le colonisateur ou l’ancienne puissance dominante. On peut noter quelques heureuses exceptions, le plus souvent dues à des richesses pétrolières inespérées ou à des conditions géostratégiques particulièrement favorables mais aussi, de trop nombreux désastres résultant de guerres civiles ou extérieures d’origine clanique ou tribale ou tout simplement suscitées par des intérêts particuliers de tous ordres. Le niveau de vie des populations du tiers monde n’a donc pas reculé globalement mais ce très relatif succès s’est accompagné d’une frustration croissante avec les images de la consommation ostentatoire que la télévision et le cinéma mondialisés de Hollywood, Bollywood ou du Caire leur mettait sous les yeux, images qu’une toute petite minorité pourra raisonnablement espérer faire sa propre réalité au cours de sa vie ici-bas.

Il est donc logique que se produise une exacerbation des tensions entre un Occident mieux doté et un tiers monde à la peine, et au sein de ce dernier, entre les élites anciennement ou nouvellement riches et la masse des populations miséreuses. Il faut cependant, bien comprendre que les pays pauvres se trouveraient beaucoup plus haut dans l’échelle du développement si leurs élites avaient correctement utilisé les moyens propres dont ils disposaient et les apports extérieurs qu’ils ont reçus dans les cinquante années passées. Un raisonnement grossier mais très proche des réalités du terrain, conduit à évaluer à un minimum de 50 % des investissement effectués, le gâchis dû à des choix erronés, à des défauts généralisés de fonctionnement et d’entretien ou tout simplement à la corruption et à la mauvaise gestion. Faisant toujours preuve d’une grande modération dans l’évaluation, on estimera à la moitié encore, le déficit de croissance dû au fait qu’aucun des Etats en question n’a mis en œuvre de politique active permettant de créer en profondeur, des dynamiques de développement capables d’entraîner la masse des acteurs potentiels alors que tous, se sont satisfaits de politiques d’assistance « dé-responsabilisantes » et d’investissements publics dispersés, souvent inadaptés et sans grand effet multiplicateur. Bref, si ses élites avaient été à la hauteur du défi de l’indépendance,  le monde pauvre devrait être à l’heure actuelle, au moins quatre fois plus riche qu’il n’est !

 

Soyons cyniques et remercions le ciel de cette inefficacité dans l’utilisation des moyens des Etats ou de la Coopération internationale, car avec une production quatre ou cinq fois supérieure, la planète serait déjà morte des « rejets » de ces nouveaux producteurs/consommateurs si l’on en croit les calculs (ou fantasmes ?) d’un certain nombre de climatologues et écologues. C’est pourtant une perspective qu’il faudra prendre en compte très vite car on ne peut dénier aux cinq ou six milliards d’êtres humains du tiers monde, leur droit au développement dans les quelques décennies à venir. Et pour que ce progrès humain soit durable, il convient d’en envisager les deux facettes, d’une part l’utilisation propre et rationnelle des ressources non renouvelables ou non substituables et d’autre part, la mise en œuvre d’approches vraiment efficaces de développement économique et social.

 

Comment concilier ces exigences ? tout d’abord, se débarrasser des fausses vérités, revoir les stratégies et enfin, changer les méthodes. C’est l’objet de ce livre qui est d’autant plus critique que les attentes et les espoirs sont grands du côté des citoyens européens comme du côté des nations partenaires, quant au rôle que l’Europe doit jouer pour l’entente et le progrès des civilisations et des peuples du monde. Il faut donc interpréter ce qui suit, comme une marque de confiance dans des institutions qui sachent se reprendre un jour, et comme une analyse qui doit contribuer à la guérison d’une dangereuse insuffisance comportementale de notre politique de coopération que l’on voudrait voir un jour, devenir le pilier d’une grande politique étrangère européenne.

En politique, dit-on, il faut toujours revenir au peuple même si cela n’implique pas nécessairement de toujours le suivre ! Il y a en effet, osmose entre le peuple et ses dirigeants et quand le peuple est médiocre, ses dirigeants le sont aussi sauf quelques remarquables exceptions qui, servies par les circonstances, s’avèrent capables de lui rendre sa confiance, sa force et parfois, son honneur. S’agissant de la coopération et de la politique étrangère de l’Europe, il est donc important de connaître l’état d’esprit des peuples européens car ils sont l’humus dans lequel s’enracine ou dépérit l’action des dirigeants de la Commission et des Etats-Membres. En l’absence de personnalités d’envergure exceptionnelle, on trouve sans doute là, le facteur premier de la médiocrité actuelle de la coopération car le conformisme de pensée et la peur d’agir semblent paralyser l’action de ces dirigeants.

On commencera donc l’analyse par cet élément du contexte (chapitre 1) en insistant sur le « cas français » qui s’est souvent trouvé dans l’histoire de l’Europe, à l’avant-garde du changement….. ou de la réaction, pour le meilleur ou pour le pire, mais s’est toujours montré très représentatif des forces et des faiblesses du vieux monde à un moment donné. Ensuite, seront discutées les « grandes faiblesses » de la coopération européenne (chapitre 2) et les mesures de redressement nécessaires (chapitre 3).