CONCLUSION

« l’Europe décidera-t-elle un jour, de rester l’Europe … »*  ?

Résumé

Le premier objectif est d’assurer la place de l’Europe dans le monde et de renforcer sa capacité à en accompagner et pourquoi pas, à en piloter le changement.

Le deuxième est d’accompagner les pays partenaires sur la voie d’un développement responsable et autonome … Faute de le faire efficacement, les insuffisances des élites locales et les erreurs des bailleurs, plongeront les Etats dans l’anarchie, et le monde dans l’insécurité…

 

Pour une politique étrangère respectable, commençons par remettre la coopération en ordre de marche, c’est votre responsabilité … au travail Messieurs les Commissaires et les Directeurs Généraux… n’ayez pas peur !

Texte complet

La Coopération européenne n’a que deux objectifs vrais qui sont politiques par nature. Le premier est d’assurer l’existence et l’influence de l’Europe dans le monde en transcendant les activités de coopération des Etats membres avant de les intégrer le moment venu. Le second est d’accompagner efficacement les pays aidés sur la voie d’un développement responsable pour éviter les confrontations et les folies que la misère et l’inculture pourraient provoquer au risque de détruire la richesse des civilisations et peut être, l’homme lui même.

 

Assurer la place de l’Europe dans le monde et renforcer sa capacité à en accompagner, et même, à en piloter le changement

 

Depuis la Renaissance, l’Europe, suivie et finalement rattrapée puis précédée par son prolongement nord-américain, est devenue maîtresse du monde à la faveur du progrès technique qu’elle a su promouvoir grâce à ses capacités de questionnement créatif et d’action raisonnée. Elle les doit à son héritage grec et romain que les vertus chrétiennes d’amour, de charité et d’effort partagé, sont venues tempérer. Mais la « civilisation technicienne » n’est plus l’apanage de la seule Europe puisque tous les pays du monde l’ont maintenant reçue ou sont en voie de l’assimiler et que certains comme les Etats Unis ou le Japon, ont même contribué à la développer au siècle dernier. L’Europe ne peut donc plus asseoir sa prééminence sur la seule technique et elle doit revenir aux traits culturels fondamentaux que nous venons de rappeler et qui lui ont permis de transformer le monde.

 

Les pays en développement sont avides de technique mais la civilisation technicienne ne peut s’y développer avec efficacité que si le contexte culturel, politique, social et institutionnel s’y prête. La plupart des pays n’ont pas cette chance d’où la nécessité d’une approche partenariale et d’un accompagnement éclairé, participatif mais ferme, qui permette aux élites nationales d’acquérir progressivement les réflexes de bon gouvernement au profit de l’ensemble de leur peuple plutôt que de quelques clans ou intérêts particuliers. Cette approche partenariale se concrétisera, au vrai sens du mot co-opération, sous la forme d’une co-décision dans les orientations politiques et stratégiques de la coopération et d’une co-direction dans l’exécution de l’aide.

 

Il est apparu aussi qu’il fallait réorienter la stratégie du développement en privilégiant le décollage du secteur informel plutôt que de concentrer l’aide sur le secteur formel et l’exportation qui, n’ayant besoin que de relativement peu de gens, ne peuvent en aucun cas, donner de l’emploi à la masse des jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail. Le secteur moderne et l’exportation contribuent certes, au développement mais ils n’ont pas à eux seuls, contrairement au dogme, la capacité d’entraîner le développement global d’un grand pays. Il faut donc donner la priorité à l’amélioration des revenus des petites gens, c’est à dire de la masse de la population qui formera peu à peu le grand marché intérieur où l’entreprise moderne viendra bientôt puiser l’essentiel de sa clientèle . En effet, à l’instar des sociologues, ethnologues ou anthropologues qui se laissent aller à biaiser leur raisonnement au vu d’une curiosité socio-économique ou sociologique, la grande faiblesse des économistes est d’avoir tendance à ne considérer que ce qui se compte facilement, c’est à dire « les entreprises formelles » ou le secteur public, en oubliant que le secteur informel ne peut être facilement mesuré alors qu’il fait vivre la plus grande partie de la population. De ce rétrécissement du champ de vision dû aux réflexes professionnels ou aux obsessions et préoccupations inhérentes au métier, naissent de multiples erreurs d’analyse et de stratégie. Cette réflexion ne relève pas d’un jugement abrupt destiné à frapper les esprits, elle est malheureusement le reflet d’une réalité partout rencontrée .

Au delà de la mise en œuvre d’une stratégie correcte, il faut encore que l’exécution ne soit pas entravée par des règles et des procédures inadaptées. Les activités de la Commission sont très fortement handicapées par un phénomène continu de fossilisation bureaucratique qui s’est accéléré depuis une dizaine d’années. Elles ont perdu de ce fait, une large moitié de leur efficacité. C’est pourquoi nous avons proposé une refonte complète des règlements qui régissent la coopération en général et tous ses instruments. Une mise sous contrôle des résultats obtenus par les responsables de la Coopération est aussi nécessaire à tous les niveaux en commençant par les plus hauts responsables afin que les réformes qui traînent soient enfin décidées ou tout au moins, préparées à l’attention des décideurs politiques et que les responsabilités soient clairement affichées à cet égard.

 

L’Europe dès lors, disposera d’un modèle d’intervention qu’elle pourra proposer avec quelque chance de succès aux coopérations des Etats Membres. Elle en deviendra plus crédible politiquement et techniquement et pourra prétendre effectivement à la coordination et à l’animation de la coopération européenne dans son ensemble, lui donnant sa vraie dimension et un pouvoir d’impact sans commune mesure avec celui dont elle dispose actuellement. En effet, l’addition de nos différentes coopérations nationales ne suffit pas à faire une véritable coopération européenne et le souhait partout exprimé d’une meilleure coordination, reste un vain mot sauf rares exceptions.. N’oublions pas que les coopérations européennes réunies constituent de loin le budget d’aide le plus important dans le monde mais il n’a malheureusement pas l’impact qu’il devrait avoir ni sur le plan politique ni sur le plan technique, en raison des faiblesses énumérées plus haut et auxquelles on ne se hâte guère de remédier dans le confort bureaucratique où l’on se complaît.

 

La Commission semblant souffrir d’une aboulie persistante, les Etats membres devront sans doute se saisir du problème et imposer à la Commission, les mesures de redressement nécessaires au cas où la Commission, décidément trop engoncée dans ses préoccupations et frayeurs administratives quotidiennes, ne s’avèrerait pas capable d’en prendre l’initiative politique. Ce sera un pas en avant en direction d’une Politique Extérieure et de Sécurité Européenne plus consistante et donc plus respectable.

 
 

Accompagner les pays partenaires sur la voie d’un développement responsable et autonome

 

Au delà des théories et des élaborations conceptuelles ou stratégiques, le problème majeur d’une coopération réussie est d’amener progressivement les élites, à un niveau de conscience et de responsabilité qui leur permette de prendre des décisions correctes en fonction des éléments politiques, économiques, sociaux, techniques et financiers dont elles disposent ou qu’elles maîtrisent. Il s’agit là d’un travail de terrain très concret qui requiert de la part desdites élites une envie et une volonté fortes d’apprendre allant jusqu’à lutter si nécessaire contre des comportements traditionnels qui pouvaient peut être se justifier dans les sociétés agraires d’autrefois mais qui obèrent irrémédiablement une efficace et saine gestion du bien public dans un Etat moderne. Ceci ne relève pas d’un simple exercice intellectuel que tout le monde serait capable de comprendre et d’ânonner dans une conférence internationale ou sur les bancs d’une université, mais d’une expérience et d’une pratique contrôlées du terrain qui permettent d’acquérir les réflexes nécessaires à une claire distinction entre l’intérêt général et les intérêts claniques, familiaux ou personnels. On en est encore loin dans la plupart des pays concernés comme le montre l’exemple de gouvernements qui, après une éventuelle période faste où ils ont été trop vite cités en exemple, retombent malheureusement très rapidement, dans les travers habituels. On le voit en Amérique latine où la période « démocratique et libérale » des années 90, fait place progressivement à un retour aux conceptions plus autoritaires et plus centralisées de gouvernement parce que les peuples estiment ne pas avoir reçu leur juste part de la gestion passée de leurs élites. De même dans les pays musulmans, on voit la propagande islamiste s’épanouir sur l’insuffisance de l’attention portée au peuple par ses gouvernants sans que pourtant, la démocratie ni le libéralisme ne soient en cause ; les associations islamistes en effet, y prennent en charge les services de base que les gouvernants n’ont su, voulu ou pu ou ont tout simplement négligé de fournir au peuple , carence qui est une des causes les plus directes des remous sanglants qu’ont connus l’Algérie, la Palestine, l’Egypte, le Liban et les autres. Quant à l’Asie, on y trouve un mélange de nationalisme, d’étatisme et de libéralisme très clientélistes où les peuples ne trouvent pas plus leur compte à en croire les révoltes urbaines et rurales qui se produisent de façon ponctuelle mais récurrente de la Chine au Pakistan. L’Afrique enfin, est le théâtre de troubles permanents que les élites ne peuvent plus contrôler et auxquels elles savent encore moins apporter de réponse politique, économique, sociale ou culturelle.

L’anarchie succède alors à la mauvaise gestion, provoquant des flux migratoires massifs entre les Etats du Sud avec leur cortège de misère et de massacres ou entre ceux du Sud et du Nord provoquant des réactions incontrôlables de rejet et peut être bientôt, de haine entre les peuples. Une autre conséquence en est le surgissement de régimes dictatoriaux ou théocratiques dont les actions ou réactions pourraient être dangereuses pour la paix du monde sans compter celles, plus ou moins raisonnées ou totalement irréfléchies, que les pays développés, se sentant éventuellement menacés, pourraient avoir à l’encontre de ces régimes qu’ils considéreraient alors comme « incontrôlables ».

Pour prévenir ces évolutions, il n’est que d’aider les pays sous-développés à sortir de leur misère et pour cela, « accompagner » efficacement leurs gouvernants sur la voie difficile de la bonne gestion et de l’intérêt général. Cela passe nécessairement par un partenariat confiant et responsable où les deux partenaires prennent ensemble et solidairement les décisions suivant les principes et les modalités de co-direction et de co-décision qui ont été expliquées. Cette voie est la seule qui permette d’éviter les écueils du laisser-faire assistantialiste d’un côté, de la tutelle néo-coloniale de l’autre. La coopération sera liée à l’application absolue de ces principes : ce sera une lutte permanente contre le laxisme et la facilité mais c’est un combat qui vaut la peine d’être mené et que l’on peut gagner. L’expérience en déjà été faite avec succès au sein même de la Commission, mais pour la généraliser à l’ensemble de la coopération, il lui faudra le courage politique et la constance qui lui ont trop souvent manqué ces dix dernières années.

Les principes de bonne gouvernance et les concepts d’intérêt général et de service public diffuseront alors peu à peu, dans l’ensemble du corps social. Et ce dernier, sentant que les motivations de l’action politique et les modalités de la gestion publique sont en train de changer, deviendra bientôt plus réceptif et plus disposé à jouer le jeu avec des gouvernants devenus plus fiables et responsables. Il faut néanmoins s’attendre à devoir « accompagner » les pays aidés pendant un temps assez long de façon à s’assurer que le message a bien été assimilé par les nouvelles générations de décideurs locaux. C’est notre devoir de pays qui voulons la paix et c’est notre intérêt premier en même temps que celui des pays aidés.

Il en va en effet, de l’utilisation efficace de milliards d’euro chaque année mais surtout de l’espérance de centaines de millions d’hommes et de la crédibilité de la politique étrangère de l’Union .

 
 
 

Pour une politique étrangère respectable, commençons par remettre la coopération en ordre de marche : c’est votre responsabilité … au travail Messieurs les Commissaires et Directeurs Généraux … n’ayez pas peur !

 

Une politique étrangère commence par le respect et la considération que les autres accordent à vos initiatives. Il n’est pas nécessaire pour cela de disposer des armes les plus fortes mais d’avoir la politique la plus claire et la plus évidente : la France, grand pays aux moyens limités, est écoutée quand les décisions ou les propositions sont fortes comme on l’a vu à propos de la Bosnie, de l’Irak et plus récemment du Liban que ce soit dans le cadre national, de l’OTAN ou de l’ONU. L’Europe pourrait en faire autant et elle en aurait les moyens dès lors que les Etats membres ou quelques uns d’entre eux, s’accorderaient pour le vouloir.

Il faut comprendre par ailleurs, que la construction de l’Europe ne relève plus vraiment de la politique extérieure à la différence des années 50 et 60. L’Europe a progressé et acquis peu à peu une personnalité et une certaine consistance aux yeux du monde. Malgré cela et quelle que soit sa puissance potentielle, elle ne peut pas ni ses Etats membres y compris la France, s’affranchir du cadre extérieur dont l’exacte appréhension conditionnera le succès de ses politiques intérieures. La politique étrangère prime en effet, sur les politiques intérieures dans la mesure où il n’est pas concevable de gérer des questions aussi essentielles que la durée du travail, l’âge de la retraite, le niveau des rémunérations et de la protection sociale ou encore la fiscalité ou la politique monétaire sans tenir compte de l’offre et de la demande mondiale c’est à dire de la concurrence des pays et des peuples alentour qui eux aussi, manifestent une certaine volonté de puissance et ont des contraintes ou des atouts différents des nôtres. Selon que l’on aura ou non appréhendé correctement la situation extérieure en matière de rapports de forces politiques ou militaires, de disponibilité de matières premières et d’énergie, de politiques et de capacités monétaires et financières, de dynamisme de la recherche et de l’innovation, et enfin de volonté de progrès des acteurs économiques et sociaux, les efforts intérieurs seront efficaces ou inopérants.

Il est donc essentiel que notre politique étrangère soit correctement ajustée pour répondre aux défis planétaires que la démographie et la concurrence du monde extérieur nous imposent, pour accompagner les peuples sur le chemin d’un développement responsable et désamorcer la jalousie et la haine, pour guérir le petit bourgeois occidental de sa peur existentielle et en faire un des acteurs majeurs de l’évolution du monde, pour apaiser enfin, les relations internationales loin des idées de guerre économique, culturelle ou religieuse .

 

Mais quelle politique étrangère et comment la mettre en oeuvre ? Il faut d’abord vouloir qu’elle soit européenne et ne pas se contenter du suivisme atlantiste dont se satisfont béatement certains Etats membres ni du laisser-aller international dont se contente trop souvent la Commission lorsque tel ou tel Etat membre ne la bouscule pas pour qu’elle bouge un peu. Il faut encore, revenir à l’objectif d’harmonisation puis d’intégration des politiques entre les Etats membres que l’on oublie actuellement au profit de la promotion d’une vague zone de libre échange où après la Turquie, pourraient aussi entrer la Patagonie, le Kamtchatka et l’Irian Jaya (pourquoi pas dans un monde où tout serait à la fois régionalisé et mondialisé ?) ! Il faut enfin, que quelques Etats membres puissent prendre les initiatives de coopération renforcée qui permettront à l’Europe de s’occuper sérieusement des affaires importantes comme par exemple, le conflit israélo-palestinien et l’affaire libanaise qui lui est liée sans qu’un des Etats membres, en l’occurrence la France, doive nécessairement lui montrer le chemin ou la forcer à agir. Une intégration minimum des forces militaires et des options de politique étrangère doit aussi être réalisée ou à tout le moins, un cadre commun d’intervention prévu par certains protocoles, même s’il ne s’agit que d’opérations ponctuelles entre quelques Etats membres. Les interventions en Bosnie, au Congo et au Liban en montrent le chemin et les autres finiront par suivre le mouvement, comme toujours.

 

Quant à la coopération technique et financière dont le rôle devrait être précisément de prévenir les crises justifiant les interventions militaires dont nous venons de parler, il convient d’en réviser l’approche pour transformer la comédie « assistantialiste » actuelle en un véritable partenariat international. Pour cela, en revoir les stratégies et méthodologies sur le terrain puis en supposant que celles-ci aient été correctement identifiées, en co-diriger la mise en œuvre avec les pays bénéficiaires et enfin, refondre complètement les règlements qui rendent la coopération inopérante et font perdre sa crédibilité internationale à la Commission.

 

A l’heure où la Commission, obligée d’attendre les évolutions politiques des Etats membres après l’élargissement récent de l’Union et le rejet du projet de Constitution, est accusée par tous d’immobilisme et où les Commissaires eux mêmes se posent la question du « que faire ?» jusqu’à la fin du mandat de l’actuelle Commission en 2009, à l’heure où les projets de parachèvement du marché unique (services financiers, transports, énergie, libre circulation des travailleurs, propriété intellectuelle sans parler de l’harmonisation fiscale ni de la réforme du budget communautaire) se heurtent aux égoïsmes nationaux mais surtout à une contradiction existentielle et stratégique qui divise les Etats entre ceux qui veulent des politiques communes fortes et ceux pour qui la constitution d’une belle zone de libre échange constitue l’horizon indépassable de l’Europe, il semble paradoxalement plus facile de reprendre la marche en avant par la politique étrangère en commençant par la réforme du cadre de la coopération internationale. Sur cette réforme, il ne semble en effet, pas insurmontable d’obtenir le consensus puisque la coopération est voulue et pratiquée par tous et qu’une telle réforme ne touche pas directement les intérêts immédiats et égoïstes des Etats membres à la différence des projets de renforcement du marché unique et des politiques intérieures communes. Elle ne demande en effet, qu’un peu d’initiative et de volonté de la part de la Commission.

Le respect et la confiance sont les fondements d’une politique étrangère solide. Ils ne procèderont que de la fermeté de nos choix quant aux priorités véritables du développement et quant aux conditions qui garantiront un engagement responsable de notre part comme des pays partenaires. Commençons donc par remettre la coopération européenne en ordre de marche et ouvrons ainsi la voie à des ambitions plus grandes en matière d’intégration des politiques étrangères et de sécurité, consacrant ainsi la naissance d’une véritable entité européenne qui restera un acteur majeur  du monde futur.

 

Le général de Gaulle, pensant au rétablissement de la France après une période de flottement politique désastreuse pour le pays, déclarait à son retour au pouvoir en 1958 : « La France a décidé de rester la France et je convie le reste du monde à s’en accommoder ! ». Pourquoi cette formule ne s’appliquerait-elle pas à l’Europe si elle en venait aussi, à décider un jour, de rester elle-même ?