Les enjeux sont vitaux et la médiocrité n’est plus tolérable

 

Résumé

Il est temps de changer d’approche et de méthode …. de l’assistanat à l’autonomisation des acteurs…aider les pauvres à enclencher et maîtriser leurs propres dynamiques…

Texte complet

La première partie du constat est que les résultats sont désastreux. Sur le terrain, les instruments utilisés ont pour effet réel, de perpétuer le cercle vicieux du laxisme et de la dépendance au lieu de le briser. Les approches pratiquées ne permettent pas de « responsabiliser » les bénéficiaires directs ou indirects, gouvernants, entrepreneurs ou pauvres gens, ni collectivement ni individuellement, car les instruments utilisés ne sont en fait, que des outils d’assistance. Ceux-ci se substituent aux efforts propres des bénéficiaires, gouvernants comme gouvernés, et les habituent à la dépendance extérieure en se bornant à boucher des trous indéfiniment recreusés. Ils ne les mettent pas en situation de prendre leurs responsabilités propres et de devenir les acteurs de leurs propres initiatives . Aucune dynamique de développement autonome ne peut donc sortir de ces projets et leur impact sera au mieux, le simple produit des quelques activités qu’ils auront promues pendant leur courte existence. Les « bénéficiaires » resteront donc « bénéficiaires » et on pourra continuer d’accumuler projet sur projet sans qu’ils deviennent jamais « acteurs ».

 

En effet, en schématisant pour ne pas revenir sur le détail des critiques énoncées plus haut, les fonds sociaux d’investissement à l’image de ceux de la Banque Mondiale ou de l’instrument « micro-projets » de la Commission, sont généralement utilisés à des fins politiques clientélistes et négligent, la plupart du temps, de se préoccuper d’une prise en charge effective des activités par les bénéficiaires. Les aides aux entreprises et en particulier les crédits, se ramènent à des effets d’aubaine et les projets de stabilisation du cadre légal et institutionnel, condition sine qua non de tout progrès dans le secteur moderne, ne peuvent donner de résultat tangible que si on obtient en même temps un changement drastique et définitif du comportement des élites nationales ce qu’il n’est pas raisonnable d’espérer à court terme. Les aides sectorielles quant à elles, se substituent le plus souvent à l’effort budgétaire normal de l’Etat et ne font qu’entretenir le cercle vicieux du laxisme budgétaire et financier : les gouvernements trouvent ainsi très commode d’utiliser ailleurs, l’argent qu’ils économisent sur l’éducation, la santé, les infrastructures ou équipements publics que les bailleurs financent si volontiers à sa place. Les approches dites de sécurité alimentaire n’ont pas les moyens ni la réactivité suffisants pour faire face à une crise grave et avérée et se limitent à saupoudrer les régions considérées comme vulnérables, de quelques activités largement clientélistes sans jamais y enclencher de processus en profondeur qui pourrait les arracher définitivement au risque de famine et à la pauvreté. L’aide budgétaire globale et la remise de dette sont quant à elles, les deux faces d’une même politique de coopération ratée dont le résultat le plus immédiat est d’inciter les gouvernants assistés à toujours plus de laxisme dans la gestion de leurs finances publiques. Il suffit d’avoir vraiment fréquenté quelques uns de ces gouvernants, pour comprendre que leur perception du monde et leurs réflexes ne sont pas encore adaptés aux principes de bonne gouvernance qu’on voudrait bien naïvement, les voir appliquer. Ceux-ci ne sont pas encore entrés dans leur culture et ils n’en parlent un peu que pour faire plaisir aux bailleurs. Enfin, le financement des projets des ONG se résume à un saupoudrage de petites actions ponctuelles dont aucune n’est de taille ni de durée suffisantes pour enclencher un véritable processus de développement à une échelle significative. C’est le drame des ONG qui, bien conscientes du problème, aimeraient pouvoir assurer une plus grande continuité de leur action sur le terrain : les projets des ONG sont en effet, souvent pertinents, conçus correctement et bien gérés mais rendus inefficaces par les contraintes de moyens, souvent trop faibles, et de durée, en général trop courte, qui leur sont imposées.

 

Devant ces résultats décevants, certains ministres ou hauts responsables africains en sont venus à dire parfois qu’ils allaient bientôt regretter « l’administration coloniale ». Bien que cela fût dit en cercle restreint et sur le mode de la plaisanterie, il y paraissait néanmoins un fonds de sincérité et de désappointement devant le gâchis des gestions nationales et les approches inadaptées des bailleurs . Plus récemment, dans une des émissions quotidiennes de Radio France Internationale sur la situation des pays d’Afrique, deux jeunes cadres, une jeune femme de l’administration malienne et un jeune entrepreneur du Bénin, déclarent sans hésiter que l’Europe devrait « s’ingérer dans la gouvernance » des pays d’Afrique pour lutter à la source contre les causes du sous-développement et de l’ émigration au lieu de se « casser la tête » à saupoudrer des aides inefficaces pour soulager les effets d’une mauvaise gestion généralisée. Et ils s’empressent d’ajouter à la suite d’une remarque du journaliste, que cela vaut aussi bien pour les pays de dictature que pour les pays prétendument démocratiques où la corruption et la mal-gouvernance sont aussi sévères. Il est tout de même réconfortant de voir la jeune génération africaine commencer à penser et dire vrai sans se préoccuper du politiquement correct post-indépendance, et oser s’insurger contre la mal-gouvernance de leurs aînés et le penser faux des bailleurs. Quant aux asiatiques, ils ne disent rien ou de manière élusive comme à leur habitude mais leurs yeux et leurs sourires en disent suffisamment. Seuls finalement, quelques responsables arabes et sud-américains en parlent relativement franchement entre méditerranéens ou latins, pour peu qu’on sache décoder leur langage.

Espérons que cette attitude nouvelle et cette vision plus réaliste de la problématique du développement se répandent le plus vite possible, … fions-nous aux réactions des étudiants étrangers que l’on peut côtoyer à l’Université, lorsqu’on évoque ces problèmes et en particulier, le rôle des élites dans leur pays respectif. L’espoir pourrait donc renaître mais il faudra assidûment entretenir la flamme ! Si l’on écarte la solution extrême d’un retour à la tutelle coloniale et si l’on refuse par ailleurs de continuer à s’enliser dans des approches d’assistanat, il devient en effet, indispensable d’inventer d’autres voies plus acceptables et surtout plus efficaces.

 

La deuxième partie du constat, est que l’aide est et restera loin de suffire à résoudre à elle seule, les problèmes des pays en développement et ceci quand bien même elle serait utilisée efficacement et s’épargnerait les erreurs ou mauvaises pratiques qu’on vient de résumer. Les affronter requiert la mobilisation de tous les acteurs et pour cela, il faut transformer suffisamment les élites pour qu’elles se mettent enfin pleinement, au service de leur peuple et de leur pays. Inventer de nouvelles voies, implique naturellement de s’écarter du chemin pervers de « l’assistantialisme » pour bâtir des dynamiques fondées sur la prise de conscience et l’acceptation par tous, les élites et le peuple, de leurs responsabilités individuelles et collectives.

Pour créer le mouvement, il faut d’abord que les bailleurs changent de langage et reprennent confiance en eux mêmes pour pouvoir en imprégner les autres. Il ne faut plus avoir peur de sortir du cadre, de penser et dire les choses comme elles sont et non comme on les rêve. Il faut aussi abandonner le laisser-aller et la facilité qui gangrènent nos esprits et nos comportements