La politique de l’éléphant et celle de l’autruche… ou comment braquer les peuples et conforter les élites dans leur clientélisme

 

Résumé

La politique « primitive » des Etats-Unis… le désastre du Moyen-Orient, le prosélytisme des sectes et groupuscules religieux, les provocations géo-stratégiques en Asie et en Europe de l’Est…

La politique volatile de la Commission … les ratés de la coopération en Amérique du Sud et ceux du partenariat euro-méditerranéen, les bégaiements devant le problème israélo-palestinien, le complexe « libéralisant » de nos Commissaires et maintenant (ultime abandon de responsabilité ?), la commodité de l’aide budgétaire dans une perspective résolument « laisser-fairiste » …

Texte complet

Dans ce monde en mouvement accéléré, les « puissances » ne raisonnent pas seulement en termes de favoritisme à l’égard des pays qu’elles soutiennent ni même de protection de leurs seuls intérêts économiques dans la compétition mondiale. Elles y mêlent aussi des inquiétudes ou des intérêts d’ordre politique ou sécuritaire voire de prosélytisme culturel ou religieux, tous éléments qualifiés de géostratégiques .Ces éléments qui n’ont a priori, rien à voir avec les préoccupations d’aide au développement, changent considérablement la donne et constituent souvent un handicap voire un blocage définitif à toute action efficace de développement. L’incohérence des objectifs politiques ou géostratégiques des pays donateurs ou prêteurs au regard de leur politique affichée d’aide au développement, biaise très sérieusement et, parfois, annule les effets potentiellement bénéfiques de cette dernière pour le mieux être des populations voire la stabilité de telle ou telle région du monde. Bref, la politique « primitive » des Etats-Unis et celle « volatile » de l’Europe ne prédisposent pas le tiers monde à une approche sérieuse du développement.

 

La politique « primitive » des Etats-Unis

 

L’exemple le plus immédiatement criant, est celui de la politique des Etats-Unis au Proche-Orient. La méconnaissance de la problématique régionale, de son histoire, du caractère de ses populations, de sa configuration politique et institutionnelle, est probablement la raison de la constance dans l’erreur de la politique de Washington, depuis la délimitation des frontières entre Israël et la Palestine sur les lignes de l’armistice de 1947.

La politique américaine était pourtant progressivement passée du concept « d’Israël porte-avions » des Etats-Unis dans la région, à celui d’un règlement politique du conflit après Camp David puis Oslo mais on assiste depuis 2001, à une régression folle qui a exacerbé l’influence et le pouvoir du Hamas en Palestine de la même manière que l’aventure israélienne de 1982 au Liban avait abouti au remplacement de Yasser Arafat et du Fatah par le Hezbollah. Echec donc sur toute la ligne ! Les pays arabes ont maintenant reconnu le droit d’Israël à l’existence ; le Fatah de Yasser Arafat l’a fait aussi et la « ligne verte » reconnue par les NNUU comme la frontière des deux états, est acceptée du côté arabe … Malgré cela, les Etats-Unis se refusent à comprendre que la guerre des 6 jours a eu lieu il y a quarante ans et que depuis cette date, les choses ayant changé du côté arabe et la survie d’Israël n’étant plus en cause, il s’agit maintenant d’une occupation militaire aggravée d’une occupation civile qui dépouille les palestiniens de leurs terres au profit des colons israéliens. Ces derniers, majoritairement extrémistes, constituent bien sûr, le fer de lance de la politique de force israélienne dans l’esprit bien oriental de l’adage « œil pour œil et dent pour dent ». Cette politique continuera tant que les Etats Unis la soutiendront. Arguant du fait que des groupes palestiniens pratiquent des attentats sur le territoire israélien, ceux-la refusent de faire la distinction entre « terrorisme » et « résistance », cette dernière semblant pourtant plus que légitime dans un pays si outrageusement occupé. Ils veulent oublier que les conditions de la paix sont l’abandon des « colonies » par Israël et la remise à l’Autorité Palestinienne de l’ensemble du territoire palestinien y compris Jérusalem-Est. Israël dès lors, assuré du soutien américain, n’a aucune raison d’aller plus avant et continue de penser en termes de sécurité à court terme donc en termes militaires alors que son intérêt à long terme, est bien évidemment de faire la paix en arrivant à une solution politique. Ariel Sharon après bien des excès, allait peut être dans ce sens mais la rigidité israélo-américaine avait déjà développé le cancer du cycle occupation-résistance-répression pour finalement amener le Hamas au pouvoir avec lequel il va falloir recommencer le processus qui avait été entamé avec le Fatah ! Ajoutons-y une monumentale erreur d’appréciation américano-israélienne au Liban qui se termine par la lamentable reculade d’Août 2006 devant le Hezbollah après sommation du Conseil de Sécurité, ce qui se traduit inéluctablement dans l’imaginaire chiite, par le sentiment et bientôt la conviction d’une formidable victoire contre les « sionistes » auxquels quelques excités ajoutent maintenant « les croisés ». Sans doute, encore dix années de perdues pour la paix en Palestine et peut être les prémisses d’une nouvelle guerre générale au Proche-Orient.

Le peuple américain et ses dirigeants n’ont pas connu l’occupation depuis que les troupes et la flotte françaises, prenant leur revanche de leur défaite au Canada quelques années plus tôt, les ont aidés à « bouter l’anglais » hors des colonies qui allaient devenir les Etats-Unis. Ceci explique peut être, leur profonde ignorance de la problématique de fond du conflit israélo-arabe. Elle est au contraire, immédiatement perçue par les européens et en particulier par les français qui comme eux, ont souffert dans leur chair et dans leur âme, l’humiliation de l’occupation avec ses contrôles permanents, ses brimades continuelles et sa répression violente des actes de résistance, même si l’origine du conflit et la raison de l’occupation ne sont pas les mêmes dans les deux cas. S’il ne s’agissait que des quelques millions d’Israéliens et de Palestiniens, le mal serait déjà énorme mais, non traité depuis quarante ans, il dégénère en un véritable abcès au flanc sud de la Méditerranée dont souffre cruellement le partenariat Euro-méditerranéen, d’ailleurs assez maladroitement mis en œuvre par l’UE, et il remet en cause les relations traditionnelles de la France, de l’Espagne et de l’Italie avec le monde arabe. Il est en effet, directement à l’origine de l’exacerbation du sentiment identitaire dans les pays arabes et plus largement dans le monde musulman, sentiment qui s’exalte contre les Etats-Unis mais aussi contre l’Occident dans son ensemble. Il a constitué tout au long de ces années de conflit, le meilleur terreau possible pour la renaissance et le développement de la tradition du martyr.

 

Ajoutons à cela, une invasion imbécile de l’Irak, une mauvaise guerre au Liban qui se termine par une reculade devant le Hezbollah et des tentatives de contrôle pas toujours réussies des pays d’Asie Centrale, tout cela pour des raisons de géostratégie pétrolière mais aussi, de prosélytisme démocratique suite à quelque « appel divin reçu par George Bush ». Il n’en fallait pas tant pour que l’on se trouve face à un intégrisme islamiste difficile à calmer et à un terrorisme difficile à éradiquer. L’engrenage est en effet, parfaitement rôdé. D’un côté des frustrations nées d’un islam que des docteurs de la loi trop rigides et des imams au comportement primaire se refusent à faire évoluer pour l’adapter aux changements du monde, par exemple sur le statut de la femme musulmane et sur la liberté de pensée. De l’autre des erreurs psychologiques, politiques et jusqu’à des interventions militaires insensées d’un Occident malade d’américano-centrisme, ignorant les autres civilisations et croyant bêtement mais sincèrement que les coutumes de Kansas City, de Denver ou de Chicago doivent naturellement être bonnes pour le reste du monde. De là, une exaspération grandissante qui conduit beaucoup de musulmans non pas à chercher à faire évoluer les règles et les pratiques de l’islam mais à se réfugier dans l’intégrisme comme moyen d’identification et de défense par rapport à une civilisation occidentale qui leur fait peur. Du même coup l’islam devient incompatible avec cette dernière ce qui est une source d’instabilité extrêmement dangereuse dans les pays à forte immigration musulmane comme la France, l’Angleterre ou l’Allemagne. Partant de là, certains verseront dans l’islamo-totalitarisme interprétant les concepts d’oumma et de jihad comme un devoir sacré de convertir le monde à l’islam et en particulier les pays d’immigration. Ces sentiments se répandent dans l’ensemble du monde musulman et rendent très difficile à l’Europe et en particulier aux puissances européennes de la Méditerranée, le simple maintien et le développement de leurs liens traditionnels avec le Sud de la Méditerranée. Le désastre américain provoqué par les véritables folies de l’Administration Bush, est donc complet et les dégâts seront probablement longs à réparer! Le plus grave est que l’Occident tout entier risque d’être entraîné dans la détestation d’une partie du monde alors que le défi du monde en développement requiert une politique intelligente comportant une vision commune des problèmes ainsi que des stratégies et des solutions sans que cela devienne synonyme de faiblesse ni de laxisme.

 

Un autre aspect de l’approche pernicieuse bien qu’un peu plus subtile des Etats-Unis dans les affaires des pays en développement, surtout depuis les années Kennedy où le prosélytisme de l’aide s’est beaucoup développé, est la prolifération des sectes et groupuscules religieux ou pseudo-religieux qui prétendent « évangéliser » le monde et répandre la bonne parole, la culture et l’intégrisme américains, considérés comme la vérité et le salut du monde. On a vu en Amérique Centrale et sur les hauts plateaux andins, des villages en venir aux mains au nom de leurs dieux respectifs, les uns étant catholiques puisque c’est la tradition là-bas qu’elle soit catholique de la « libération » ou catholique conservatrice, et les autres protestants parmi lesquels il faut distinguer des sous-conflits tout aussi virulents entre évangélistes, méthodistes, baptistes, adventistes du 7è, 8è ou 10è jour, sans compter les baba cool, les intégristes environnementalistes ou les organisations financées par l’USAID souvent plus sérieuses mais tout aussi activistes. De même aux Philippines, le prosélytisme protestant ne cesse de chercher à bouter le catholicisme hors du pays et profite des difficultés politiques ou sociales du moment pour s’implanter par exemple, dans les communautés des régions en conflit avec le gouvernement central en épousant si nécessaire les thèses les plus extrémistes. Ainsi dans le monde entier, en Côte d’Ivoire comme en Chine, les sectes sont actives et modèlent l’esprit des responsables communautaires pour le bien du troupeau et la plus grande gloire de Dieu ou de l’esprit saint, trop souvent réinterprétée par divers gourous. La compétition des sectes entre elles et avec les organisations religieuses ou de bienfaisance locales a souvent dégénéré en conflits politiques ou sociaux et beaucoup d’entre elles se sont mêlées de politique plutôt que de charité ou de développement économique et social. C’est ainsi que dans certains pays, les sectes et ONG américaines ou leurs excroissances locales ont été, parfois un peu brutalement, mises dehors ou priées de cesser leurs activités voire éliminées par les gouvernements y compris par des gouvernements plutôt démocratiques.

Par l’une ou l’autre voie ou les deux, les Etats-Unis cherchent donc à étendre leur influence dans les régions qu’ils considèrent d’intérêt vital pour le pays soit sur le plan économique soit sur le plan sécurité.

 

L’activisme américain doit aussi être apprécié à la lumière des nouveaux équilibres géostratégiques qui se dessinent. Il ne s’agit pas tant de la prétendue « guerre des civilisations » avec l’Orient musulman malgré les dangers que fait courir au monde le couple infernal de l’agressivité identitaire de quelques mauvais docteurs de la foi islamique et des erreurs ou négligences de l’Occident qui s’alimentent les unes les autres. Il s’agit plutôt de la volonté forcenée des Etats-Unis de s’implanter dans des zones où ils n’étaient pas auparavant présents, au nom de leur sécurité d’approvisionnement en pétrole ou de la lutte contre le terrorisme. Ils ont donc cherché à se répandre en Asie Centrale, zone d’influence historique de la Russie, pour « border » l’Iran, la zone pakistano-afghane et la Chine. Cette initiative a naturellement provoqué une riposte de même nature de la part de la Chine et de la Russie qui, dans le cadre du Club de Shanghaï, cherchent à border à leur tour ces visées expansionnistes d’autant que les Etats-Unis sont aussi avec le Japon, la Corée du Sud et Taïwan lourdement présents sur leur bordure Pacifique ! On peut comprendre les positions des uns et des autres qui considèrent tous, que leurs intérêts vitaux sont en jeu mais les répercussions en sont sérieuses dans les grandes discussions internationales au Conseil de Sécurité de l’ONU, à l’OMC, au G7+8+9, au sein de l’Alliance Atlantique, etc… et les grands équilibres géostratégiques sont devenus fragiles. Ajoutons-y les maladresses de l’extension forcenée de l’OTAN dans l’ex-glacis soviétique et encore tout récemment la volonté de mettre en place un bouclier anti-missiles basé en Pologne et en République Tchèque, toutes initiatives mal ressenties par la Russie qui quoi qu’il arrive, est et doit rester un partenaire majeur de l’Union Européenne.

 

Le plus dramatique cependant, et le plus destructeur pour l’Europe, reste le coin que les Etats-Unis, malheureusement secondés en cela par une Grande Bretagne trop inféodée, cherchent à enfoncer entre « la vieille Europe » (les pays partisans d’une Europe-puissance, libérale et sociale) et la « nouvelle Europe » (les pays qui se contenteraient d’une simple zone de libre-échange sous protection américaine). Certains pays européens en sont encore à hésiter entre les deux options, quarante ans après de Gaulle et ses avertissements sur l’Europe européenne.

 

 

La politique volatile de la Commission

 

L’Europe a bien entendu, ou devrait avoir ses propres objectifs de puissance mais la voie militaire reste pour elle, difficile à jouer pour l’instant, même lorsque la France, la Grande Bretagne et peut être l’Allemagne seraient éventuellement d’accord pour agir de concert dans telle ou telle partie du monde. Elle commence à intervenir sous son propre drapeau, y compris militairement dans certaines zones sensibles et elle peut essayer de jouer de son influence et de celle de ses Etats membres. Elle peut donc agir sur la scène diplomatique mais elle ne peut le faire qu’à la mesure de ses moyens militaires qui sont faibles, de ses moyens financiers qui ne sont pas négligeables ou de son poids économique qui est grand. De ces moyens, elle ne joue pas à l’optimum car elle pourrait les utiliser de façon beaucoup plus rationnelle et volontariste : la crise actuelle israélo-palestinienne devrait être un bon test à cet égard.

Il est vrai qu’il est difficile de distinguer ce qui est proprement européen de ce qui est national dans les initiatives de politique étrangère de l’Union et de ses membres. Il arrive souvent que la coopération de l’Union épouse les priorités de certains pays membres, vers l’Est par exemple ou vers la Méditerranée ou encore l’Afrique au sud du Sahara. Il arrive à l’inverse que les pays membres se cachent derrière l’Europe et mettent en avant sa coopération lorsque la leur est peu visible ou manque de vigueur comme celles de la France ou de la Grande Bretagne en Amérique Latine ou dans certains pays d’Asie. Les coopérations des autres pays européens sont souvent plus sectorielles ou développent une approche plus spécifique comme la coopération allemande, la suédoise, la danoise, la belge et la néerlandaise ou sont plus concentrées géographiquement comme la coopération espagnole ou plus ponctuelles comme la coopération italienne. Il existe donc une certaine confusion dans l’accumulation et le croisement de toutes ces coopérations européenne et nationales qui rend difficile la coordination de leurs actions et l’optimisation de leurs effets mais il est certain que l’Europe et ses Etats membres sont très présents et visibles dans l’ensemble du monde. La coopération du bloc européen en effet, est de loin la plus importante dans pratiquement tous les pays en développement et son poids commercial souvent prépondérant, et ceci même en Amérique du Sud, pourtant considérée comme très fortement liée aux Etats-Unis malgré l’opposition des cultures.

 

La compétition entre Europe et Etats-Unis est par exemple, très perceptible en Amérique Latine où chacun cherche à acquérir des positions commerciales fortes et à accroître progressivement son influence politique. L’Europe dans cette lutte, est évidemment moins bien armée dans la mesure où, par nature, elle agit en ordre dispersé et ne dispose pas encore de l’unicité de décision politique, économique voire militaire. Sa coopération a vraiment débuté sur le continent dans les années 80 et elle avait progressivement acquis une forte crédibilité en même temps qu’elle était perçue comme une alternative à la relation devenue alors quasi exclusive avec les Etats-Unis après que les positions françaises, britanniques et allemandes se soient effritées après l’effondrement européen des années 40-45. La Commission a notamment beaucoup appuyé les organisations multilatérales de coopération et d’intégration régionales comme le Pacte Andin, le Marché Commun Centraméricain et plus tard le Mercosur qui regroupe le Brésil, l’Argentine, le Paraguay, l’Uruguay et depuis peu, le Venezuela . Elle a aussi mis en œuvre plusieurs projets régionaux dont le but principal sinon le but avoué, était de maintenir et de développer les contacts entre pays et régimes politiquement opposés voire en état de guerre permanente jusqu’à ce qu’un processus de pacification et de coopération puisse enfin rapprocher les différents Etats en conflit : elle a puissamment aidé à obtenir ce résultat en Amérique Centrale où par exemple, les « ultra » salvadoriens ont pu grâce à elle, continuer de parler aux révolutionnaires sandinistes, aux conservateurs honduriens, aux indigénistes guatémaltèques et aux « démocrates » costa-ricains jusqu’à ce que la situation se stabilise enfin dans les années 90. De même la coopération européenne a délibérément mais sans en faire une obsession, favorisé la stabilisation des régimes à tendance démocratique en Amérique du Sud. Son rôle a donc été très positif mais elle se heurtait évidemment à l’approche totalement différente et bien sûr concurrente des Etats-Unis qui considéraient la région comme leur chasse gardée d’autant que la guerre froide battait son plein et que le Cuba de Fidel Castro avec les aventures d’Ernesto Guevara menaçaient encore de répandre le virus révolutionnaire dans toute l’Amérique Latine. Ils combattaient les regroupements de nations que l’Europe soutenait car il était évidemment, plus facile pour eux de s’imposer à chaque Etat pris individuellement comme ils l’avaient modélisé avec le Chili à partir de 1973 ou imposé au Honduras où leurs intérêts économiques étaient lourdement dominants. L’histoire se confirme d’ailleurs aujourd’hui, le socialo-populisme ayant remplacé le marxisme et le guévaro-castrisme, avec la résistance du Vénézuela, de la Bolivie, du Pérou ainsi que du Brésil et de l’Argentine au processus de libre échange de l’ALCA dit « des Amériques », voulu par les Etats-Unis pour ouvrir définitivement les pays d’Amérique latine à leur influence. Washington en effet, ne jure que par les accords de libre échange qui laissent les pays seuls face à face et fait tout pour éliminer toute tentative sérieuse de constitution de blocs c’est à dire d’organisations ayant pour objet de promouvoir des politiques communes dans un cadre de coopération et d’intégration régionales toujours plus poussé.

L’existence même de ces organisations de coopération et leur coopération avec l’Union Européenne constituaient donc pour les Etats latino-américains, un contrepoids et une échappatoire possible au pesant tête à tête avec les Etats-Unis. Il était donc et il est toujours d’une importance capitale pour l’Europe et pour ces Etats de poursuivre les processus institutionnels engagés qui leur permettraient de créer le cadre d’un développement économique plus harmonieux, moins dépendant et plus démocratique à l’échelle du continent et de chaque groupe de pays. L’Europe était bien engagée dans cette voie avec les pays du Pacte Andin comme elle le fit plus tard avec ceux du Mercosur, malgré la difficulté de l’entreprise : pendant des années elle a apporté un appui méthodologique et technique au Pacte Andin dans les domaines de l’intégration physique, commerciale et industrielle et le Pacte Andin constituait la voie royale de la pénétration européenne en Amérique hispanique du Vénézuela à la Bolivie.

Au début des années 90 cependant, un changement d’équipe au niveau de la Direction Amérique Latine amena quelques fonctionnaires nouvellement promus dans la zone et probablement désireux de s’affirmer en remettant en cause ce qu’avaient fait leurs prédécesseurs ce qui arrive souvent dans un tel cas, à décider ou obtenir de leur Direction qu’on abandonnât ou diminuât l’aide au Pacte Andin sous le prétexte que ce dernier avait des difficultés passagères de financement et flottait un peu. On était en effet, à un moment de crise comme il en arrive de façon récurrente en Amérique latine. Cette regrettable décision dénotait une absence de vision stratégique et politique qui porta atteinte pour un temps, à la crédibilité de la politique européenne dans la région . Quelques années plus tard en effet, la Commission, tentant de réparer son faux-pas, a repris sur la pointe des pieds sa coopération avec le Pacte Andin. Les chancelleries latino-américaines comme toujours, sont restées discrètes mais elles mesuraient parfaitement le ridicule de la situation d’autant que dans les quelques années qui ont suivi cet exploit diplomatique, on a assisté à une diminution dramatique de l’efficacité des projets de développement puis à leur quasi blocage provoqué d’abord par des exigences européennes inadaptées quant à la contrepartie requise des pays aidés, puis comme il sera expliqué plus loin, par l’abandon du système de gestion partenariale en co-direction et enfin, par l’application trop rigide d’un règlement financier inadapté au type de projets ou de programmes de développement promu dans la région. Nous reviendrons plus tard sur tous ces thèmes mais il faut ici déplorer le fait que quelques fonctionnaires subalternes, même si certains sont montés en grade depuis lors, aient pu ruiner toute une stratégie et des années d’efforts en quelques mois : les dirigeants de la Commission ont montré à cette occasion, une évidente déficience de contrôle des agissements de leurs subordonnés ou une regrettable légèreté dans l’analyse d’un problème politique majeur. Ce défaut reste malheureusement assez répandu et beaucoup de décisions ou à l’inverse de « non-décisions », explicables par le manque de jugement, la routine du laisser-faire voire une mauvaise évaluation ou la simple méconnaissance des problèmes et des priorités, sont toujours à l’origine de regrettables insuffisances stratégiques ou opérationnelles de la coopération européenne dans de nombreux pays.

 

Citons encore pour illustrer notre propos, une autre région importante du monde où l’autosatisfaction, légitime lorsqu’elle a pour but de vendre une idée et d’entraîner à l’action, devient un peu grotesque lorsqu’elle enjolive exagérément des approches et des résultats auxquels les autorités politiques des pays membres ni celles des pays récipiendaires ne semblent malheureusement pas accorder autant d’importance. On en trouve la matière dans le dossier spécial Euromed du 24 Novembre 2005 vantant le succès du Programme MEDA « devenu au cours des trois dernières années, le meilleur instrument de coopération de l’UE » et ceci, déclare le Directeur concerné, « grâce au dévouement de tout le personnel de la Commission … et surtout des fonctionnaires, administrateurs, entrepreneurs et membres de la société civile des pays partenaires qui …..etc, etc, …. ». Le rapport d’évaluation du Programme MEDA qui motivait ce dossier spécial, soulevait pourtant, malgré une tonalité très politiquement correcte, quelques interrogations majeures concernant les méthodes d’élaboration des stratégies pays, celles de programmation, l’expertise et l’organisation des Délégations après la décentralisation, les problèmes de participation et d’appropriation des pays receveurs, jusqu’aux « contraintes du règlement financier » qui étaient également évoquées, tous éléments qui conditionnent l’efficacité de la coopération.

Bornons nous ici, à constater que les Chefs d’Etat des pays du Sud méditerranéen n’ont pas cru utile de faire le voyage de Barcelone pour la célébration du 10è anniversaire du Partenariat euro-méditerranéen alors que les Chefs d’Etat ou de gouvernement européens s’étaient fait un devoir d’être présents … et il ne s’agissait pas d’une crise de susceptibilité soudaine due à un événement sensible comme cela arrive parfois dans les pays méditerranéens ! Nous approfondirons plus loin, pour mieux en mesurer les effets, les types de problèmes auxquels se heurtent aussi bien MEDA que les programmes de coopération dans les autres régions du monde.

 

Ces hésitations politiques ou stratégiques et cette irrépressible timidité qui l’empêche trop souvent de dire « non » ou de poser ses conditions, sont parentes des attitudes que l’on reproche souvent à la Commission dans les affaires de commerce et de finances. Ses dirigeants semblent atteints depuis l’origine, du même complexe « libéralisant » que leurs homologues de la Banque Mondiale, du Fonds Monétaire ou de l’OMC. Il leur arrive en effet, au nom de la sainte concurrence, de vouloir pousser très (trop ?) activement les feux de l’ouverture commerciale, de se refuser à réclamer des régimes dérogatoires (comme en bénéficient par exemple, les PME des Etats Unis avec l’accord de l’OMC, pour leurs marchés publics réservés en vertu du « Small Business Act ») voire même d’empêcher ou simplement gêner par son « manque d’enthousiasme », des fusions d’entreprises susceptibles d’engendrer des champions européens face à la concurrence extérieure (cas du rachat éventuel de Bombardier il y a quelques années, cas de Péchiney passé sous contrôle étranger, ou comme cela aurait pu être le cas de la fusion Suez-Gaz de France plus récemment, etc…). Ce comportement, ajouté à la politique de la Banque Centrale Européenne, pesant héritage des obsessions anti-inflationnistes allemandes des deux après-guerre, met bien évidemment à mal la compétitivité des entreprises européennes. Et ceci en toute bonne conscience libérale et monétariste, à croire que la Commission et la Banque Centrale se refusent à admettre que l’Europe est en guerre économique avec les Etats-Unis, le Japon et maintenant, les puissances émergentes !! Les commissaires chargés de ces questions (peut être trop souvent britanniques !) réagissent en effet, comme les commerçants anglais du 19è siècle qui avaient fait du libre-échange un article de foi parce qu’ils en étaient les premiers bénéficiaires. L’Europe actuelle n’est pas dans la situation de l’Angleterre du 19è siècle et loin d’être une « forteresse », elle devient beaucoup trop offerte à la concurrence des autres pays développés et de quelques pays émergents qui, tous, n’hésitent aucunement à se protéger quand leur intérêt le commande, à commencer par les Etats-Unis. Personne ne nie que le libre-échange et la concurrence soient les meilleurs outils du progrès économique et social, encore faut-il les encadrer et en faire une application équilibrée qui préserve l’essentiel à savoir, la vie ou la survie de ceux, hommes ou nations, qui sont supposés en profiter et non pas en mourir.

L’actuel Commissaire au commerce extérieur, Peter Mandelson dans la ligne de Leon Brittan il y a quelques années, semble lui aussi très fortement imprégné de ces dogmes libre-échangistes. Une situation révélatrice est son attitude face au problème des quotas textiles rétablis en 2005 pour réguler un peu mieux l’envahissement des produits chinois : il n’a de cesse de les supprimer parce qu’ils sont contraires à sa philosophie commerciale mais ceux qui en souffriraient le plus et qui demandent qu’on les maintienne ne sont plus tant les industriels textiles européens, déjà en grande partie ruinés, mais les pays sous-traitants du sud-méditerranéen qui redoutent tout simplement, de voir disparaître leur principale industrie ! On apprend par ailleurs, que pour faire face à la recrudescence de la concurrence chinoise qui résulterait de la suppression desdits quotas, le Cambodge a décidé le 8 juin 2007, de réduire autoritairement les salaires de nuit des ouvriers du textile … Et de l’autre côté de l’Atlantique, les Etats-Unis maintiendraient leurs propres quotas alors que l’Europe les supprimerait ? Que doit-on faire ? se plier au dogme quoi qu’il arrive ….. ou assurer un équilibre satisfaisant (« a sound balance » disent les britanniques) au cas par cas, entre besoins de protection ou impératif de survie et nécessité d’ouverture ?

Parlant maintenant des pays en développement, il arrive fréquemment que la Commission enfourche les dadas libre-échangistes de la Banque Mondiale ou du FMI, en poussant avec trop de zèle les pays aidés, à l’ouverture alors que celle-ci doit être très précisément mesurée à l’aune de leurs possibilités internes de résistance à la compétition internationale, sous peine de ruiner leur production intérieure. La compétition chinoise et indienne devient à cet égard, un danger mortel pour l’économie de ces pays, tout au moins pendant une phase de transition qui risque d’être fort longue : pour assurer cette transition sans crise et sans guerre, il faudra bien accepter de réguler les flux commerciaux pour les rendre compatibles avec les contraintes et possibilités de développement des uns et des autres, quoi qu’en dise le dogme ! L’aide au développement n’a pas en effet, vocation à compenser les pertes industrielles subies par les pays les plus pauvres du fait de la concurrence sauvage des pays émergents, de la Chine en particulier.

On comprend que le Président français nouvellement élu, ait clairement indiqué que l’Europe devait se ressaisir pour faire face à ces défis, de façon pragmatique et non pas en vertu d’idées toutes faites qui ne correspondent pas nécessairement aux situations rencontrées ni à ses intérêts. Il ajoute, appuyé en cela par les dirigeants de quelques autres pays dont l’Allemagne, que des « coopérations renforcées » deviennent vitales pour ceux qui voudraient aller de l’avant et prendre les problèmes comme ils sont et non comme on les rêve. Les récentes déclarations du Directeur Général du Fonds Monétaire International à propos de la nécessaire coordination des politiques monétaires et économiques des grands pays dans un cadre de plus en plus mondialisé, viennent renforcer ce point de vue. Peut être serait-il alors judicieux que l’Union Européenne donne l’exemple et institue un véritable gouvernement économique qui vienne tempérer la farouche orthodoxie monétariste de la Banque Centrale ! Un sain équilibre (« a sound balance ») pourrait ainsi être établi entre l’efficacité d’un marché libre et les impératifs de protection des intérêts vitaux des peuples par leurs Etats respectifs.

 
 

Un autre sujet de préoccupation est l’approche financière de la coopération c’est à dire le choix du canal de distribution de l’aide. Louis Michel, actuel Commissaire au Développement et à l’Aide Humanitaire, a déclaré en Novembre 2005 (Le Figaro du 6/11/05): « il faut arrêter l’angélisme humanitaire qui conduit au paternalisme et au néo-colonialisme , …. je veux prendre le risque, même dans des pays difficiles, de privilégier l’aide budgétaire plutôt que de disperser l’argent… sur des projets certes intéressants mais qui n’ont pas la couverture suffisante pour vraiment faire changer les choses ». On ne peut qu’être d’accord sur ces propos mais en mettant plus d’emphase sur la première affirmation car l’angélisme humanitaire conduit en fait, à l’assistantialisme et à l’anéantissement progressif de toute motivation envers un développement autonome et responsable ce qui est beaucoup plus grave. Quant à l’idée de concentrer les financements sur les gouvernements au lieu de les disperser dans de multiples projets, pourquoi pas ? mais à une condition qui n’a malheureusement pas été mentionnée dans cet article : mettre sous contrôle et de façon très stricte, les objectifs et les modalités d’utilisation de cette aide budgétaire par lesdits gouvernements. Il faudra en particulier, assurer un encadrement sérieux des stratégies et des méthodes de travail mises en œuvre sur le terrain par les administrations auxquelles sera déléguée l’exécution des actions que la Commission n’exécutera plus ou ne maîtrisera plus directement. Une autre condition est que le financement de la Commission ne se substitue pas mais au contraire, s’ajoute à l’effort budgétaire normal et régulier de financement des administrations du pays, apportant ainsi « un plus » très concret aux populations bénéficiaires. Dans le cas contraire, on serait ramené à l’assistantialisme, paternalisme ou néo-colonialisme, qui était fustigé au départ et on inciterait ainsi ces gouvernements à ne pas faire les efforts qu’on souhaite par ailleurs les voir engager … puisque l’aide internationale s’en chargerait ! On a trop vu ces effets secondaires négatifs se produire du fait de manquements ou d’erreurs stratégiques ou opérationnelles de ce type.

Cette déclaration de Louis Michel est dans la droite ligne des critiques de ceux qui mettent en doute l’efficacité de « l’industrie de l’aide » en y incluant les économistes du FMI, pourtant proches cousins de ceux de la Banque Mondiale. Ils lui reprochent bien sûr les « éléphants blancs » qui ne sont pourtant à l’origine, que des projets mal étudiés, mal préparés et mal gérés et qui ne démontrent en fait, que l’incompétence ou la malhonnêteté de ceux qui les ont promus. Ils lui préféreraient disent-ils, un « modèle d’aide fondée sur le leadership des gouvernements sur leur propre développement, l’harmonisation entre agences de développement et l’alignement des donateurs sur les priorités des pays récipiendaires » comme le souhaite la communauté internationale depuis sa Déclaration de Paris en 2005. Ils insistent aussi sur le fait que des pays comme la Chine ou l’Inde ne doivent pas leur mirifique développement actuel, à l’aide internationale mais plutôt à un « réveil ou éveil salutaire » de nature endogène alors que l’Afrique n’arrive pas à dépasser un taux de croissance de 2 à 3 % depuis 10 ou 20 ans, malgré les milliards déversés.

Leurs souhaits sont les nôtres mais pour qu’ils s’accomplissent, il faudrait que les « pays récipiendaires » soient capables de définir correctement leurs priorités et que les donateurs veuillent bien en évaluer sérieusement le bien fondé avant de signer leur chèque ! Faute de quoi, le rêve risque fort de se transformer en cauchemar et l’aide en un gouffre sans fond. En réalité, la première conclusion qu’on pourrait tirer de ces remarques, est que si le développement est d’abord l’affaire des Etats et des populations considérés, l’expérience montre comme on le verra plus loin, que ceux-ci ne font pas toujours les bons choix et n’ont pas nécessairement les bonnes approches y compris dans les cas de la Chine ou de l’Inde dont les lendemains ne seront peut être pas aussi enchanteurs qu’ils paraissent aujourd’hui à la foule des économistes et des journalistes émerveillés. Le Premier Ministre Wen Jia Bao vient de le rappeler aux chinois et au Parti. La deuxième conclusion est que l’aide est mal pensée et mal utilisée par des gouvernements et par des donateurs qui n’ont ni les stratégies ni les outils de contrôle de gestion adéquats, sans compter les causes d’échec que peuvent être le manque de compétence, la complaisance et trop souvent, la rigidité de pensée ou les a priori voire tout simplement, la corruption. 

Il ne sert donc à rien de constater que l’aide n’a pas les résultats attendus et d’en faire des analyses désespérées ou euphoriques, attachons nous plutôt aux méthodes ou approches qui permettraient de pallier ces déficiences de pensée, d’action et de contrôle ? L’objectif dans ce domaine, est d’une part, de ne pas se tromper dans l’identification des actions ou éléments réellement moteurs du développement et d’autre part, de mettre en œuvre un partenariat effectif quant aux choix des politiques et des investissements ainsi qu’en matière de contrôle de l’utilisation des fonds. Ces deux principes valent pour l’approche « projets » et plus encore pour l’approche « aide budgétaire ». En bref, il faut des décideurs « capables » et politiquement courageux du côté des gouvernements comme du côté des donateurs ou bailleurs. Ils n’existent pas toujours et c’est là le principal défi d’une aide efficace au développement, bien loin devant les problèmes de financement.