Deuxième faute : la confusion conceptuelle et un manque étonnant de créativité dans les approches de développement

 

Résumé

Une « non-politique » au fil de l’eau … la Commission s’obstine à parler de « bénéficiaires » quand il faudrait promouvoir des acteurs responsables.

Les grands ouvrages de travaux publics excitent beaucoup d’intérêts, pas toujours très clairs, et dont les priorités ne sont pas évidentes…peu importe, le peuple et la Coopération paieront !

La croissance du « secteur moderne » n’est pas une réponse suffisante au problème de l’emploi … encore moins lorsqu’elle se réduit aux activités d’exportation. L’argent privé s’expatrie faute du cadre légal, judiciaire et institutionnel qui créerait la confiance.

Le vrai défi est de mettre en mouvement l’immense secteur informel rural et péri-urbain dont vit la grande masse de la population… il est au cœur de la problématique du développement et c’est là que se trouve le futur marché intérieur mais la Commission a peur car elle n’en maîtrise pas correctement les approches qui sont difficiles et exigeantes…

… où il se confirme que la clarté stratégique n’est pas le point fort de la Commission : les « instruments » micro-projets et sécurité alimentaire par exemple, sont résolument inadaptés aux objectifs qu’on leur fixe et les approches sectorielles ouvrent la voie périlleuse de l’aide budgétaire dont la mauvaise gestion par les gouvernants locaux, renforcera plutôt le cercle vicieux de l’assistance et de la dépendance…sauf soudaine illumination des élites en matière de « gouvernance ».

…et le développement urbain est pratiquement ignoré…

L’approche de co-financement avec les ONG est plus innovatrice… souvent, les ONG savent mais ne peuvent pas, la Commission pourrait mais elle ne sait pas… ou ne veut pas savoir !

Texte complet

Une « non-politique » au fil de l’eau… le bénéficiaire passif et l’acteur responsable

 

L’objectif de transformer les bénéficiaires en acteurs est mentionné dans quelques trop rares textes ou discours mais sans expliquer « le pourquoi ni le comment » comme si on sentait qu’il y avait là quelque chose d’important dont on ne comprendrait pas très bien ce qu’il implique ! Quant à l’idée d’enclencher des processus de développement autonomes et durables, elle n’est mentionnée explicitement dans aucun document de stratégie ni de projet sauf ceux élaborés par un cercle étroit de quelques consultants considérés comme des originaux intéressants, mais un peu gênants au milieu de la routine méthodologique ambiante . L’expression en effet, ne fait pas partie du vocabulaire habituel des consultants ni des fonctionnaires. Ils s’obstinent à parler de « bénéficiaires » or, si les mots ont un sens, un bénéficiaire reçoit passivement ce qu’on lui donne mais n’est pas censé agir par lui même pour améliorer son sort avec ses propres moyens. N’étant pas censé se prendre en charge, il restera donc « bénéficiaire » ad vitam aeternam ! La Commission n’a pas de philosophie active du développement. Elle n’a en tout cas, jamais été clairement exprimée ni donc, mise en oeuvre. Ses stratégies ou instruments ne sont en conséquence, que des outils partiels, sectoriels ou d’application ponctuelle qui ne peuvent enclencher de processus global ni massif de développement, susceptible de répondre effectivement aux problèmes posés. Bref, la Commission (mais elle n’est pas la seule !) utilise le mot développer dans le sens transitif de « développer quelqu’un ou développer quelque chose » et non pas dans le sens pronominal de mettre quelqu’un ou quelque chose en situation de « se développer » : c’est une nuance sémantique qui traduit une différence et même une opposition majeures dans la philosophie de l’action car elle exclut tout effet multiplicateur par les acteurs eux mêmes.

 

La Commission en réalité, a toujours fait de tout , un peu, en se laissant souvent guider par les desiderata des pays et sans vraiment définir de stratégies claires au niveau des secteurs ni des pays d’intervention. Cette façon de faire présentait au départ, l’avantage d’une grande flexibilité lorsqu’il s’agissait de pays récemment admis dans le « portefeuille » de la coopération mais au fil des années, et avec la croissance du volume et la diversification des secteurs de coopération, il a fallu progressivement définir plus précisément le cadre d’intervention. De là, les fameux « country strategy papers » et les « programmes indicatifs nationaux » qui, comme on l’a dit plus haut, ne font malheureusement que reprendre ou plutôt compiler ce qu’on faisait avant… c’est à dire de tout, un peu, sans véritable fil directeur, sans approche bien définie et dans une beaucoup trop grande dispersion qui, malgré la définition de « secteurs de concentration », empêche le plus souvent d’atteindre le seuil minimum d’enclenchement de processus autonomes de développement.  

Un peu de tout, c’est à dire de grands ouvrages de travaux publics comme les routes, les barrages hydroélectriques ou d’irrigation, les ports ou aéroports, etc… ; des appuis techniques et financiers aux institutions nationales chargées de l’éducation, de la formation professionnelle ou de la santé ; des soutiens au développement du processus démocratique et à la bonne gouvernance ainsi qu’aux institutions pouvant les garantir, processus électoraux, cours de justice, etc… processus souvent liés à la décentralisation du pouvoir au niveau régional et local ; des projets de coopération économique cherchant à favoriser le développement des entreprises soit sous forme d’appui technique ou financier direct soit sous forme de coopération décentralisée ; des programmes de sécurité alimentaire et de développement rural ou local visant le secteur informel de l’économie en s’efforçant de lutter contre la pauvreté; des financements de projets d’ONG couvrant à l’échelle de leurs moyens limités, toute la palette des interventions possibles et en particulier, les interventions humanitaires d’urgence, les appuis aux secteurs sociaux fragilisés, drogues, enfants des rues, violence intra-familiale…, les interventions visant la protection ou la consolidation des droits de l’homme, etc…

Pour couvrir un si vaste champ d’intervention, la Commission utilise divers « instruments » ou approches plus ou moins bien adaptés aux problématiques de développement à traiter.

 
 

Les grands ouvrages de travaux publics excitent « beaucoup d’intérêts », pas toujours très clairs, et il faut être particulièrement vigilant …

 

Dans ce domaine, la Commission s’essaie parfois à imiter la Banque Mondiale en qualifiant ses infrastructures de « structurantes », espérant ainsi faciliter voire engendrer le développement d’une économie moderne de production intensive. L’approche est alors de même nature que celle des autres grands bailleurs : le Règlement prévoit les procédures à chaque étape du processus d’identification, étude, exécution et suivi. Les procédures sont lourdes et lentes mais elles restent encore supportables compte tenu de la taille des enjeux techniques, économiques et financiers que chaque projet représente aussi bien pour le pays bénéficiaire que pour les finances de l’UE. On prêtera donc à la bonne marche de ces travaux, toute l’attention qui convient pour éviter qu’ils ne prennent l’allure d’un « éléphant blanc » qui deviendrait trop immédiatement visible et politiquement gênant. De tels ouvrages fondés sur l’aspect « béton ou équipements », jouissent d’une certaine faveur parmi les fonctionnaires et surtout parmi les plus haut placés d’entre eux car, à la différence des projets de développement axés sur l’homme et donc beaucoup plus compliqués, ils s’avèrent relativement simples à gérer. Ils présentent en effet, une certaine unicité d’objet et ne soulèvent que des difficultés d’ordre technique dont la solution est du ressort des techniciens ou des entreprises sous-traitantes beaucoup plus que des fonctionnaires. Ces derniers n’auront en général, qu’à endosser les rapports et les recommandations des premiers. L’approche développement par le biais des « grands travaux structurants » est donc moins anxiogène pour le fonctionnaire et il lui suffira en général, de suivre le planning d’exécution que les ingénieurs auront établis pour savoir si tout avance comme il faut.

 

La préférence pour ce secteur qui peut être observée dans la plupart des Programmes indicatifs nationaux (PIN), est très souvent critiquable. Les projets concernés sont trop souvent le reflet des ambitions voire des fantasmes et des appétits des autorités locales que ni les systèmes locaux d’allocation des ressources publiques ni les PIN, tous outils trop superficiels et accommodants, ne parviennent à canaliser comme on l’a vu plus haut. Ils sont par ailleurs, la source la plus massive et la plus facile de corruption et de détournements de fonds par le biais des entreprises contractantes. Celles-ci en effet, sont pratiquement obligées de verser leur obole aux personnes ou aux partis intéressés dans la mesure où la décision concernant l’attributaire des marchés, est en réalité, laissée aux autorités locales, et ceci dans le cas même où la Commission comme n’importe quel autre bailleur, participe au processus et fait partie du Comité de sélection des offres et d’attribution des marchés . Quoi qu’on fasse en effet, ces entreprises devront satisfaire en cours d’exécution, aux réglementations, contraintes et exigences locales … légales ou « coutumières » !

 

Les choix d’investissement public sont donc souvent, très fortement biaisés et la plupart du temps, des questions graves se posent quant à leur pertinence, à leur priorité réelle, à leur dimension utile et nécessaire ou à leur insertion dans le contexte local et national. Par exemple, au Pérou les systèmes d’irrigation des plaines de Majes dans la région d’Aréquipa, les projets de « rocade méditerranéenne » entre le Maroc et l’Algérie, les projets routiers du Nicaragua, les projets d’infrastructures routières ou d’adduction d’eau et d’assainissement au Liban ; on ne compte plus les grands travaux d’irrigation dans le monde où les barrages sont faits mais pas les réseaux d’irrigation ou vice versa, etc… Ce sont souvent des projets très enthousiasmants et tous les bailleurs se laissent aller à accepter l’inacceptable faute de discernement quant aux priorités réelles de développement et par manque de capacité ou de volonté de résistance aux lubies politiques, économiques ou sociales et aux appétits des gouvernements et des promoteurs de ces grandioses projets. Ce phénomène ne se limite pas aux quelques éléphants blancs que chacun peut citer mais est un phénomène général du fait de l’insuffisance des outils de choix des investissement et des déficiences des outils de contrôle de l’aide. On peut toujours justifier n’importe quoi au moyen d’études très circonstanciées car tout a toujours une certaine utilité mais les bons choix sont ceux qui répondent aux besoins réels à l’endroit et au moment où il faut et non à des besoins imaginaires ou « potentiellement existants », avec des calculs et des « coefficients de retour » tout aussi imaginaires !

Le simple bon sens et un peu d’expérience permettent de démasquer ce qui n’est pas réellement justifiable or la proportion des grands travaux tombant dans cette catégorie est loin d’être marginale d’autant que ce sont souvent les plus grands et donc les plus coûteux. Il est de ce point de vue, grand temps de réhabiliter le sens commun c’est à dire le politique au sens noble, dans les choix des grands travaux et de moins écouter les experts qui n’ont de vision que celle de leur champ d’expertise, aussi technique et sophistiqué soit-il.

 
 

La croissance du secteur « moderne » n’est pas une réponse suffisante… surtout quand elle se concentre sur les seules activités d’exportation !

 

Un second secteur dans lequel la Commission se veut active, est celui de l’appui au développement du secteur « moderne », celui-ci étant entendu comme le secteur des entreprises industrielles, commerciales ou de services, publiques ou privées. Ce volet de la coopération figure en bonne place dans les PIN ou PIR et a pris de plus en plus d’importance, en particulier depuis que la Commission éprouve quelques réticences à persévérer dans son appui au développement du secteur informel dont le traitement est en effet, beaucoup plus difficile.

 

Le développement du secteur moderne de l’économie implique un appui direct aux entreprises mais d’abord et en amont, un appui aux réformes ou tout simplement, à la mise en place d’un cadre favorable au développement de l’entreprise. L’échec de l’approche par l’économie administrée sur le modèle socialiste ou néo-soviétique ayant été confirmé partout en Afrique, en Asie et en Amérique latine comme en Europe, on cherche plutôt à mettre en place un cadre légal, réglementaire et institutionnel qui permette à l’entrepreneur d’exprimer le plus complètement possible ses talents de créativité et de gestion : on évoque alors la privatisation ou tout au moins la réduction du secteur public, la promotion des investissements, la réforme des circuits de financement, l’environnement administratif et juridique, la promotion du commerce extérieur, la formation professionnelle, toutes choses essentielles pour que l’entreprise puisse naître, survivre et se développer en fournissant aux entrepreneurs, un environnement suffisamment stable et sécurisé. Les CSP et PIN des dernières années ont tendance à accorder une place éminente en volume et en degré de priorité, à ce type d’action dans tous les pays et plus particulièrement, dans les pays « en voie d’émergence » nonobstant le fait que la majeure partie de leur population reste dans la pauvreté ou l’extrême pauvreté du secteur informel. Il n’est évidemment pas question de nier ici l’importance du développement des entreprises dans les pays en développement mais de rappeler simplement quelques éléments de jugement quant à la pertinence et aux résultats concrets que l’on peut raisonnablement attendre des projets de dynamisation du secteur moderne de l’économie d’un pays.

Le premier élément est le fait que le secteur moderne quel que soit son taux de croissance, ne peut donner d’emploi qu’à une partie relativement minime des jeunes qui arrivent chaque année sur le marché de l’emploi comme on le constate en Chine ou en Inde et plus encore dans les pays à forte natalité comme le Maroc, l’Algérie, les Philippines, le Vietnam ou encore les pays africains et latino-américains.

Par ailleurs, comme on l’a déjà souligné, le secteur moderne est trop souvent confondu avec le secteur exportateur dont il épouse par conséquent la fragilité et les aléas comme on l’a vu lors des crises passées des pays asiatiques ou d’Amérique latine et comme il paraît de plus en plus probable, de la Chine et de l’Inde futures.

Enfin, la mise en œuvre effective des réformes ou innovations institutionnelles souhaitées se heurte aux carences de comportement des élites nationales: il reste essentiel en effet, que l’application concrète des mesures prises soit garantie par des élites scrupuleuses et dévouées à l’intérêt général, des élites qui sachent en conséquence, rester insensibles aux sirènes des intérêts corporatistes, des clans ou des personnes et en qui tous les entrepreneurs d’où qu’ils viennent, puissent avoir confiance à court comme à long terme. Ceci est loin de la réalité des pays en développement qu’ils soient sur- ou sous-administrés. L’inexistence ou l’inadaptation du cadre légal, juridique et institutionnel de gestion des entreprises est sans doute la cause majeure du retard du secteur moderne et l’absence de fiabilité des élites dans l’application correcte, honnête et constante dudit cadre lorsqu’il existe, constitue de loin, le handicap le plus important dans tous les pays en développement.

La priorité donnée au secteur moderne par la Commission et sans doute plus massivement encore, par les institutions de Bretton Woods, doit être évaluée à l’aune de ces contraintes au même titre que la pertinence et l’efficacité des projets d’appui correspondants. La même remarque vaut d’ailleurs, pour les projets concernant la réforme de l’Etat en général, incluant les aspects justice, police, finances et l’ensemble des appuis sectoriels sans parler des éventuelles aides dites macro-financières ou des aides budgétaires globales. Il est certes très recommandable de faire quelque chose dans tous ces domaines mais le résultat restera bien maigre tant que ces aides ne seront pas accordées sur la base d’un véritable partenariat de décision et de gestion entre les bailleurs et leurs interlocuteurs locaux.

 

L’appui direct aux entreprises prend généralement la forme d’une assistance technique et d’un fonds de crédit pour faciliter le développement des petites et moyennes entreprises dans un pays ou dans un groupe de pays voisins. Le fonds de crédit est parfois géré directement par les équipes de gestion des projets mais plus souvent, par des institutions financières dont le fonds rémunère les services, simple service de guichet ou service complet d’analyse et de distribution de crédit aux entreprises candidates. Certains de ces projets, en Amérique centrale par exemple, ont permis de financer quelques dizaines d’entreprises dans chaque pays touché, dans une période où la situation politique, économique et sociale, faisait que le crédit bancaire aux entreprises était devenu rare. En revanche, dès que la situation politico-économique est redevenue suffisamment stable, ces projets n’ont plus généré que des effets d’aubaine en se substituant en fait, aux circuits bancaires traditionnels en raison de leur coût moins élevé puisque généralement subventionné. Un effet de glissement s’est d’autre part, produit en faveur des entreprises les plus importantes considérées comme plus solides et plus fiables, au détriment des entreprises réellement moyennes ou petites qui étaient la cible initiale des projets. De même, des programmes en faveur des entreprises marocaines, tunisiennes, égyptiennes ou des pays ACP par exemple, ont permis de leur apporter un appui technique, technologique, gestion ou marketing dont l’efficacité dépendait pour chacune d’elles, de leur capacité d’absorption si elle se révélait à la mesure de la brièveté et de l’intensité de l’apport. Ces apports ont été efficaces tant qu’un chef de projet pouvait en décider immédiatement et sur place mais ont perdu toute leur efficacité dès lors que les responsables de la Commission se sont avisés qu’ils pouvaient être éventuellement tenus pour responsables de quelques échecs : ils ont alors décidé soit de suspendre ce type d’aide soit de l’insérer dans un carcan de contrôle administratif tel qu’il en ôtait toute utilité réelle aux actions menées.   

En ce qui concerne les projets d’appui aux Petites et Moyennes Entreprises, on préfère malgré tout retenir les aspects formation et transfert de technologie plutôt que les aspects fonds de crédit et financement qui ont le plus souvent, donné lieu à des effets d’aubaine ou souffert de ciblages assez imparfaits et laissé la porte ouverte à toutes sortes de tentations inutiles.

 

C’est pourquoi la coopération destinée aux entreprises s’est tournée également vers un schéma de coopération décentralisée où les acteurs étaient les organisations professionnelles représentatives des entreprises de part et d’autre de l’Atlantique ou de la Méditerranée et jusqu’en Asie. L’appui fourni par les projets de la Commission consistait à financer à la demande, les évènements et rencontres technologiques ou commerciales qui pouvaient mutuellement intéresser les entreprises des pays aidés et leurs homologues européennes. La même approche a été mise en œuvre entre universités, collectivités locales et autres entités intéressées à développer les échanges dans leur domaine d’action spécifique entre les différents continents et l’Europe. L’approche de coopération décentralisée est plus intéressante dans la mesure où elle implique vraiment les professionnels, entreprises et leurs groupements, universités, collectivités locales, etc…, dans la recherche et la mise en œuvre des technologies ou du savoir-faire qui peuvent leur être effectivement utiles. L’Union Européenne a mis en œuvre quelques projets de ce type comme Alinvest ou Asiainvest pour développer la coopération entre les entreprises et les organisations professionnelles d’Europe et d’Amérique latine ou d’Asie, Urbal ou Asiaurbs entre les collectivités locales, Alfa entre les universités, etc… Quelques centaines de petites initiatives de coopération décentralisée de quelques dizaines de milliers d’euro ont ainsi été lancées depuis une dizaine d’années. Une voie très positive semblait avoir ainsi été trouvée permettant de développer la coopération internationale entre les acteurs eux mêmes . Malheureusement, la pénibilité de gestion de ces projets a là aussi produit des effets désastreux. Il s’agissait en effet, de financer de multiples petites activités de recherche, études, formation, congrès ou réunions, échanges technologiques, assistance technique, suivi et accompagnement, etc… qui devaient passer par les affres et les lenteurs des procédures imposées par le « règlement » : elles y ont perdu une grande partie de leur efficacité réduisant du même coup à peu de choses, leur crédibilité aux yeux d’entrepreneurs habitués à plus de réactivité… sans parler de l’image de la Commission qui se dégageait ainsi d’initiatives pourtant bien intentionnées mais bien mal menées !

 

Une autre forme de coopération dans le secteur des entreprises concerne le développement des micro-entreprises et de l’artisanat. Ces projets sont très lourds par leur nature même, et pas seulement à cause du fameux règlement et de la bureaucratie qui l’accompagne. Il faut en effet, comme pour les entreprises de plus grande taille, leur apporter un appui combiné de savoir-faire technique, de gestion et de crédit mais, à la différence des projets d’appui aux PME, il s’agit de créer plusieurs centaines et idéalement, quelques milliers de micro-entreprises en transformant des paysans ou des pauvres hères des quartiers déshérités en artisans ou micro-entrepreneurs : c’est extrêmement aléatoire et difficile. De plus, la gestion du crédit peut difficilement être confiée aux institutions financières ou banques classiques qui sont assez peu intéressées par la gestion de très petits comptes ni très compétentes dans ce domaine : seules le font avec quelque efficacité, certaines ONG spécialisées en matière de micro-crédit. Il faut donc aux projets de promotion de la micro-entreprise, un personnel nombreux et extrêmement polyvalent pour assurer la formation et l’encadrement technique et financier nécessaire si l’on veut toucher un nombre significatif de familles dans une localité donnée. On arrive alors très vite à des projets d’un montant assez important pour ne toucher que quelques centaines de familles avec plus ou moins de succès selon l’approche choisie comme le montrent les expériences menées aux Caraïbes, en Amérique Centrale, au Cambodge, au Chili ou ailleurs. Cette approche n’est pas adaptée à une action massive et ne peut en réalité, toucher avec succès que les individus montrant déjà des dispositions « entrepreneuriales », par définition très rares dans les pays en développement.

La voie la plus efficace s’agissant de promotion du développement économique de masse, est très certainement, celle du mutualisme financier par le biais des associations d’épargne et de crédit ou des groupes d’épargne et de crédit solidaires. Ces groupements permettent de donner à la masse des gens, l’accès au crédit qu’ils n’ont pas auprès du système bancaire et ceci, sans prétendre former des « micro-entrepreneurs » à un métier ou à des activités qu’ils ne connaissent pas. Cette approche modeste et de faible coût, permet de libérer des milliers d’initiatives productives dont les gens maîtrisent déjà la technique et qui n’auraient pu éclore sans qu’ils aient la possibilité de disposer d’une centaine voire de quelques centaines d’euro seulement . On peut ainsi toucher relativement facilement, des milliers de familles et provoquer un véritable effet d’entraînement sur l’ensemble d’une population pauvre et l’accompagner progressivement dans la diversification et l’augmentation de ses revenus. Parmi eux se détacheront ensuite, les quelques futurs leaders ou entrepreneurs qui continueront le mouvement. Cette dernière approche nous amène directement à ce qui suit.

 
 

Le vrai défi est de mettre en mouvement l’immense secteur informel dont vit la grande masse de la population ….   et c’est là, l’essentiel !

 

 A l’inverse des approches centrées sur le béton ou l’entreprise, les programmes de développement centrés sur l’homme, sont les seuls qui puissent offrir à la masse l’occasion de prendre son destin en mains en faisant émerger ou en consolidant des dynamiques durables de développement local. C’est le cas des programmes de développement rural ou urbain qui ont pour vocation d’embrasser l’ensemble des problèmes qui font la pauvreté et des solutions qui permettront d’en sortir. Dans cette catégorie de programmes, on est passé en vingt ou trente ans, de la simple idée de développement agricole axé sur la vulgarisation de techniques améliorées de production, au concept de développement rural qui couvre aussi la commercialisation des produits, les besoins d’éducation, de santé, d’eau potable voire d’hygiène et d’assainissement et par ricochet, les besoins d’organisation paysanne. Dans les années 90, s’y sont ajoutés les aspects d’auto-financement des activités productives et sociales grâce au principe de capitalisation des communautés et groupements paysans et à la mise en œuvre des systèmes de micro-crédit ou d’épargne-crédit qui leur permettaient de financer des milliers de micro-initiatives qui sans cela, n’auraient jamais existé. Et la dernière génération de programmes en arrive à insérer le tout dans le cadre plus global d’une planification participative du développement local. Celle-ci couvre à la fois le monde rural et l’urbain ou le « rurbain » (rural-urbain) qui lui est lié et distingue les activités du niveau communauté ou village, celles de la commune ou du district et celles de la région ou de la province permettant d’assurer une distribution équitable des tâches et des responsabilités techniques et financières entre les acteurs locaux, publics, privés et associatifs d’un ensemble territorial donné.

 

L’objectif final de tous ces programmes et en particulier de ceux de la dernière génération, est de faire émerger puis d’accompagner et consolider un processus de développement local durable, fondé sur « l’autonomisation » technique et financière des acteurs locaux. Toute action de coopération au développement devrait tendre en effet, à transformer progressivement les « bénéficiaires » de l’aide en « acteurs autonomes » de leur propre développement … sans quoi, nous serons condamnés à faire de l’assistance pendant des siècles !

Il est réconfortant de voir sur le terrain, que les « bénéficiaires/acteurs » comprennent d’emblée le langage de la responsabilité et de l’engagement et qu’ils le distinguent nettement du langage de l’assistanat, de la mendicité ou de la revendication, langage qu’ils savent néanmoins très bien pratiquer par ailleurs, si par malheur, on les y incite. Il est désolant de constater en revanche, que si peu de fonctionnaires de la Commission et des bailleurs en général, aient compris les réalités et potentialités que ce langage recouvre. A la Commission même, ces projets ou programmes de dernière génération sont l’exception que promeuvent les quelques rares consultants classés comme des originaux et des gêneurs dont on a déjà parlé. Ces programmes ont été réalisés dans plusieurs pays d’Amérique latine et d’Asie mais les régions ACP et MEDA en sont largement dépourvues et ont dans ce sens, accumulé un retard méthodologique très lourd. Or cette approche est la seule qui permette de faire bouger le secteur informel pauvre des pays aidés car c’est la seule qui permette d’embrasser directement le gros de leur population. Une telle approche exige cependant, une véritable implication et une grande réactivité des projets à l’égard de toutes les initiatives, décisions et actions de la population ou de ses représentants officiels ou traditionnels. L’efficacité de ces projets dépend de la qualité des hommes qui les animent et de leur capacité à prendre les décisions qu’il faut où et quand il le faut. Ils sont complexes et difficiles à gérer, ils requièrent beaucoup de souplesse et exigent qu’on fasse confiance à ceux qu’on a chargé de les mettre en œuvre.

 

Or on constate depuis le début des années 2000, une réticence de plus en plus nette des autorités de la Commission à s’engager dans de tels projets ou programmes. Il ne s’agit pas seulement des discours infondés de certains fonctionnaires d’autorité qui manifestement, ne connaissent pas bien la problématique de l’approche mais certaines décisions aberrantes viennent ruiner ce qui avait été patiemment expérimenté et construit en matière de méthodologie du développement. Il a été décidé par exemple, de ne plus financer de fonds de crédit ou de micro-crédit dans le cadre des projets ni même d’allouer de fonds pour appuyer le lancement de systèmes d’épargne-crédit. La Commission n’accepte de financer ces instruments que par l’intermédiaire d’organismes spécialisés et encore avec beaucoup de méfiance en raison probablement, d’échecs antérieurs de projets dont la composante crédit avait été mal conçue et mal mise en œuvre. Aucune autre explication valable n’ayant été apportée, on est en droit de se demander si cette décision relève d’une méconnaissance totale de la problématique du développement ou tout simplement, du désir de se simplifier la vie en ne s’engageant pas dans des actions jugées difficiles. Toujours est-il que cette décision prive les projets, de l’outil de base qui leur permettrait d’atteindre leur objectif final « d’autonomisation » des processus de développement local : l’organisation financière du tissus économique local est en effet, une des conditions de l’émergence de ce processus dans le secteur informel. Pour compléter une formule célèbre, il ne suffit pas en effet, d’apprendre aux pauvres à pêcher, il faut encore qu’ils puissent acheter les hameçons ou le filet … et ceci passe par l’accès au crédit. Les projets privés de la composante « accès au crédit », ne créeront donc jamais les dynamiques de développement souhaitées et iront inéluctablement à l’échec.

On peut bien sûr avancer que dans toutes les régions du monde, de mauvaises expériences de crédit ont été faites avec des taux de remboursement insuffisants et des ciblages de clientèle discutables . La moindre des choses est cependant, de s’abstenir de condamner le principe quand la seule application est mauvaise. Or dans tous les cas rencontrés, la cause de ces échecs était une méthodologie inappropriée. En effet, les premiers projets de développement rural dans les années 80, prétendaient faire directement du crédit en nature ou en espèces que les paysans remboursaient mal, ayant toujours une bonne raison de ne pas le faire. On a ensuite essayé de mettre en œuvre des « fonds de crédit ruraux ou r-urbains » à l’image de ce qui se pratiquait pour les entreprises du secteur moderne de l’économie : échec encore dans l’un comme dans l’autre secteur, car ces fonds s’épuisaient vite faute d’une gestion optimale même lorsqu’ils étaient gérés par l’intermédiaire de banques ou d’institutions financières subventionnées. Celles-ci n’étaient en fait, que fort peu intéressées par ce type très particulier d’activité de crédit et n’avaient pas les compétences nécessaires.

Ce n’est que vers le milieu des années 90 que la méthodologie adéquate s’est dessinée puis a été mise en place en Asie et en Amérique latine dans divers projets de développement de la Commission s’adressant au secteur pauvre et informel. Quelques ONG l’avaient d’ailleurs précédée dans cette voie. Il était important que les grands bailleurs ou donateurs en fassent une politique systématique et à grande échelle. Leurs moyens leur auraient permis d’y entraîner les administrations concernées des pays aidés et de généraliser l’approche. Cela n’a pas été fait à l’époque mais on peut espérer que l’intelligence des choses l’emportera un jour !

 

En quoi consiste donc cette approche ? Assurer l’accès des pauvres au crédit, exige de mettre en place un éventail d’instruments financiers complémentaires permettant de faire face aux différents types de besoins de financement du monde rural ou urbain et du secteur informel en général. Le système bancaire officiel en effet, ne couvre pas la population pauvre ni le secteur informel parce que ce type de clientèle ne peut offrir de garantie formelle et que ses besoins de financements ne sont pas d’un volume suffisant pour intéresser les banques. On aura donc recours à deux systèmes complémentaires : les systèmes d’épargne-crédit de type coopératif ou de type solidaire et les systèmes de micro-crédit. Les premiers permettent de répondre aux besoins de crédit de quelques dizaines d’euro à 500 ou 1000 euro tandis que les institutions de micro-crédit prennent le relais à partir de 500 ou 1000 euro jusqu’à 2 ou 3.000 euro . Au dessus de ce montant, le système bancaire peut commencer à intervenir.

Lorsqu’elles seront consolidées, les caisses d’épargne et de crédit augmenteront progressivement leurs montants de prêts à la mesure de la capitalisation qu’elles pourront atteindre et de la fiabilité de leur gestion. Leur solidité est fondée sur le fait que le capital est la propriété des membres des caisses et que la gestion étant, au moins au départ, assurée bénévolement par ces derniers ou par leurs représentants élus, les intérêts des prêts servent intégralement à augmenter le capital et donc les capacités de financement de la caisse commune. Le remboursement est assuré à 100% car tous les membres se sont préalablement choisis sur la base de la confiance qu’ils se portent et étant parents, proches ou voisins, aucun ne peut avancer de mauvaise raison pour ne pas rembourser ; de plus, la solidarité familiale ou villageoise joue fortement pour prendre en charge les dettes du membre défaillant s’il a de bonnes raisons de l’être. L’expérience prouve d’ailleurs que ce sont toujours les plus pauvres parmi les membres de ces groupements, qui épargnent le plus en proportion de leurs revenus et qui remboursent le mieux. Ceci s’explique tout naturellement par le besoin plus aigu encore que les autres, qu’ils ont de tels systèmes car l’accès facile et immédiat au crédit de leur caisse, est pour eux synonyme de sécurité familiale et sociale en même temps qu’il leur ouvre les portes de multiples activités génératrices de revenus complémentaires.

Cette approche est en fait, fondée sur un véritable système d’auto-contrôle et sur un mécanisme endogène multiplicateur d’initiatives ce qui explique sa fiabilité en matière de gestion et la puissance de sa dynamique interne. Elle est la seule à pouvoir de ce fait, engendrer partout des processus autonomes de développement local qui puissent toucher la masse de la population. L’épargne-capitalisation et l’auto-financement des pauvres par eux mêmes sont effectivement possibles partout. Ils constituent le seul facteur de responsabilisation et d’ « autonomisation » assez puissant pour faire bouger les masses rurales et urbaines pauvres dans le sens d’un développement responsable.

 

Les systèmes de micro-crédit quant à eux, possèdent une dynamique intrinsèque moins forte du fait que les fonds sont la propriété d’une institution extérieure et non des emprunteurs-associés eux mêmes mais ils fonctionnent parfaitement lorsqu’ils sont gérés par des ONG ou associations spécialisées, institutions encore trop rares dont la création est difficile et le développement très fragile. Celles ci doivent en effet, pratiquer un accompagnement intensif des emprunteurs qui les place dans une situation où les perspectives d’emprunt futur sont pour eux plus motivantes que le non respect de leurs engagements contractuels à court terme. Pour des raisons de commodité et de coût d’octroi et de suivi du crédit, ils doivent se concentrer sur des prêts plus importants que ceux des caisses d’épargne et de crédit mutuel et le plus souvent, en milieu urbain. Ces prêts dépassent en général, le millier d’euro : cela est utile pour financer quelques micro-entreprises mais ne permet pas de toucher la frange la plus miséreuse des pauvres dont les besoins de financement sont bien en dessous de ce chiffre. Les intérêts servent essentiellement à rémunérer les agents de crédit et à payer les frais de l’institution de micro-crédit. C’est la différence essentielle avec les caisses d’épargne-crédit qui sont gérées sans beaucoup de frais, par les adhérents eux mêmes ce qui leur permet de capitaliser le gros des intérêts qu’ils versent à leur caisse. Il faut donc plutôt considérer le micro-crédit comme un simple complément des caisses d’épargne et de crédit car il ne permet que de financer la « frange la plus haute de la population pauvre » en attendant que les systèmes mutualistes d’épargne-crédit soient suffisamment capitalisés et consolidés pour pouvoir offrir des prêts de plus grande ampleur à leurs adhérents.

 

Des dispositifs combinés « épargne-crédit » et « micro-crédit » ont été mis en œuvre avec succès dans plusieurs projets de la Commission elle même, en Asie et en Amérique latine. Le FIDA (Fonds international pour le développement agricole) est l’autre grande institution de coopération internationale qui a pratiqué cette approche. Des ONG spécialisées en ont fait autant dans les mêmes zones ainsi qu’en Afrique. La Coopération française s’appuyant sur les grands réseaux mutualistes du Crédit Agricole ou du Crédit Mutuel, a aussi développé cette approche dans quelques pays d’Afrique bien que parfois, de façon un peu trop hâtive et massive qui explique certains échecs. Le résultat est néanmoins, que les populations concernées ont pu sortir la tête hors de l’eau et ont pris en mains leur propre développement avec leurs propres moyens. C’est exactement l’objectif final de tous les projets de développement.

La frilosité de la Commission concernant le financement de tels projets et sa volte-face concernant les approches crédit ou épargne-crédit, deviennent alors incompréhensibles sauf à valider les deux hypothèses précédentes de la méconnaissance des problématiques à résoudre et/ou de la commodité de gestion et du refus de toute prise de risque. On mesure à cette occasion, combien peuvent être pernicieuses les erreurs de stratégie ou, en l’occurrence, les décisions guidées par la facilité ou une fausse idée de la sécurité. L’expérience a prouvé cependant, qu’il est beaucoup moins risqué et infiniment moins coûteux de prendre quelques risques pour réussir un projet que de rechigner à en prendre et d’en faire un projet médiocre ou le mener à l’échec. Doit-on aussi en conclure que les 60 à 80 % de la population qui vivent du secteur informel dans tous les pays en développement, ne valent plus qu’on prenne quelques risques aux dépens de la tranquillité des fonctionnaires ? Il est urgent de rectifier le tir ou alors, ne clamons plus que l’on veut « faire du développement ». Pendant ce temps, la Commission continue de promouvoir des projets de développement rural ou de développement des micro-entreprises par lesquels elle finance directement ou indirectement, aumône ou cadeau comme on voudra, les activités des bénéficiaires sans beaucoup se préoccuper d’apprendre aux gens comment s’organiser pour qu’ils financent eux mêmes ces activités productives ou sociales.

Du fait de ces craintes et hésitations, bref, de cette « non-politique », les projets de la Commission dorénavant, ne pourront plus mettre en œuvre la partie la plus dynamique et motrice des outils de développement nécessaires. Ils sont ainsi mis dans l’incapacité de faire émerger des processus de développement autonomes qui puissent se développer au-delà de la durée des programmes eux mêmes et perdent de la sorte, la plus grande partie de leur efficacité et de leurs résultats potentiels ! C’est consternant !

 

Ajoutons que la Banque Mondiale et les Banques régionales de Développement d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique, ont elles aussi découvert les vertus du « micro-crédit » dans les dix dernières années. Elles en parlent beaucoup sans toutefois, semble-t-il, y consacrer beaucoup d’argent ni d’efforts concrets sur le terrain. L’approche de la Banque Mondiale est elle aussi, très loin des réalités et très incomplète du fait de sa quasi-ignorance de l’approche épargne-crédit et de son faible engagement réel dans le micro-crédit. Il n’en est pas moins très regrettable que la stratégie de la Commission dans le secteur informel soit de fait, inexistante alors que sa cible préférentielle, sa spécialité en quelque sorte, a toujours été la population pauvre et marginale des pays en développement ! La Commission est-elle en train de choisir « la coopération béton », plus tranquille, au détriment de « la coopération développement », beaucoup plus exigeante ?

 
 

… où il se confirme que la clarté stratégique n’est pas le point fort de la Commission ….

 

D’autres signes malheureusement, vont dans le sens d’un renoncement progressif au combat de terrain. Il y a quatre ou cinq ans, les hautes autorités de la Commission annonçaient sans qu’il y ait rien de vraiment officiel ni de clairement défini, que la Commission devait s’orienter de plus en plus vers ce qu’elle appelle « le sectoriel ». Fort bien, mais que cela veut-il dire ? Appui aux ministères sectoriels des pays aidés ? les transports, l’éducation, la santé, l’industrie, le commerce, les services, l’agriculture, etc… ? Cela veut-il dire qu’on abandonne les approches globales ou transversales habituelles des grands programmes pour confier l’exécution de chaque composante de ces programmes à chaque administration sectorielle concernée ? qu’on généralise l’approche aide budgétaire au niveau des secteurs voire qu’on la globalise au niveau du ministère des Finances ? Probablement un peu de tout cela, … Mais alors, que fait-on des actions de rétablissement de l’état de droit ou de reconstruction de l’Etat après un conflit ou une guerre civile ? des actions d’urgence ? de la promotion des droits de l’homme et de la démocratie ? et enfin tout simplement, de la lutte contre la pauvreté et du traitement de « l’informalité » alors que les pauvres et informels représentent le défi politique, économique et social majeur de toutes les sociétés en développement du Guatémala jusqu’aux Philippines et du Kirghyzstan jusqu’à l’Afrique du Sud ? 

 

La plupart des activités de développement requièrent une approche globale où tous les paramètres de la simple survie jusqu’à ceux qui conditionnent le développement, soient dûment pris en compte afin de créer les synergies nécessaires et de faire émerger les dynamiques locales. L’approche sectorielle est alors inefficace voire contre-productive et on oublie trop vite que cette « sectorialisation » n’est pas neuve et a déjà été essayée un peu partout avec très peu de succès du fait de la dispersion des moyens qu’elle implique ! Alors quoi ? va-t-on jouer sur les mots et promouvoir l’approche de développement local au rang d’approche sectorielle dans la mesure où elle dépendrait d’un éventuel Ministère du Développement Local ou d’un sous-ministère de l’Intérieur et des collectivités locales ? Ce serait le moindre mal mais le raisonnement de la Commission deviendrait alors un modèle de casuistique très jésuite … à commenter dans les écoles de développement ! Il est plutôt à craindre que l’hypothèse du renoncement et de l’abandon de ce type d’intervention, soit la plus vraisemblable ou que plus simplement encore, la Commission ne sache toujours pas ce qu’elle veut faire ! La stratégie n’est décidément pas son point fort.

 

Les déclarations du Commissaire Louis Michel de Novembre 2005, privilégiant « l’aide budgétaire plutôt que l’aide projet », semblent aller dans le même sens. Concentrer l’aide technique et les financements de la Commission sur l’Etat et ses administrations, pourquoi pas ? Encore faut-il que ces derniers aient la volonté et les moyens de faire les bons choix et de bien gérer les financements. Ou si ce n’est pas le cas, qu’ils acceptent d’apprendre à le faire sous la houlette d’une assistance technique adéquate et de se soumettre au minimum nécessaire de contrôle ou de supervision de la part de la Commission.

Ainsi que nous l’avons déjà souligné, les orientations stratégiques et opérationnelles ainsi que le contrôle de l’aide et en particulier de l’aide budgétaire, doivent être le fruit d’une véritable action partenariale. Il faudra instaurer en effet, pour éviter les dérives et les causes d’inefficacité dont nous avons souligné le risque permanent, un système de co-décision et de co-contrôle très stricts des projets que les Etats et les administrations bénéficiaires voudront conduire avec les fonds de la Commission. On voit alors que la distinction faite entre approche « aide budgétaire » et « approche projets » devient très artificielle car tout, in fine, doit aboutir à des projets … et si l’argent donné ou prêté n’y aboutit pas, c’est qu’il est passé ailleurs où il n’aurait pas dû ! Le danger de cette distinction subtile, est qu’elle risque de conduire à un décrochage progressif de la Commission au regard de ses devoirs de contrôle quant à la bonne exécution des projets c’est à dire en clair, un abandon de ses responsabilités quant à l’utilisation correcte et efficace de l’argent de l’Union. On se limiterait alors, à des contrôles a posteriori de l’utilisation de l’aide budgétaire, sectorielle ou globale, on « sermonnerait » bien diplomatiquement les gouvernements qui n’auraient pas bien géré les fonds de l’Union… mais aurait-on le courage de les « sanctionner » ? . On ne l’a pratiquement jamais fait sauf il y a quelques années pour la Côte d’Ivoire qu’on cite souvent, comme exemple de la fermeté de la Commission ! … c’est l’exception qui confirme la règle car rassurons-nous, la Côte d’Ivoire n’est pas seule …

 

Faudra-t-il déclarer la coopération en danger ? La réponse est oui, semble-t-il, pour tout ce qui concerne le développement global et en particulier pour l’immense secteur informel. Les pauvres donc, peuvent attendre ! En revanche, les orientations « tout béton » et « tout entreprise » semblent avoir le vent en poupe. C’est plus facile, moins risqué, plus mesurable et c’est surtout ce que veulent la plupart des dirigeants et des élites en place dans les pays bénéficiaires … le profit en est pour eux plus immédiat, politiquement ou financièrement, mais ce n’est pas forcément ce que souhaite leur peuple ni ce dont il a objectivement le plus besoin. La coopération européenne et occidentale joue là un jeu étonnant qui à terme, est dangereux : laisser-faire et laxisme n’ont jamais été profitables aux individus ni aux groupes ni aux peuples. Nous sommes en train d’en faire l’expérience dans nos sociétés occidentales où les peurs petites bourgeoises et les égoïsmes individuels ou catégoriels s’allient pour refuser le changement et le moindre risque. Nous aurons peut être l’occasion de le vérifier en ce qui concerne nos relations avec les autres peuples et nations au cas où la méfiance, le mépris voire le ressentiment s’installeraient sur les demi-échecs et l’inefficacité d’une coopération mal conduite alors que cette dernière est justement censée transcender ces problèmes.

 

Cette carence stratégique est confirmée par l’analyse de « l’instrument micro-projets » qui se caractérise par l’excellence des intentions et l’ineptie de sa mise en œuvre . Il s’agit de fonds mis à la disposition d’un programme que l’on charge d’étudier et réaliser des micro-projets à la demande par exemple, des collectivités locales ou autres institutions du pays aidé. Il peut s’agir de routes ou de chemins ruraux de désenclavement, de systèmes d’eau potable ou d’assainissement, d’écoles, de centres de santé, d’ouvrages de protection environnementale, d’activités productives agricoles ou artisanales, etc… Tout cela peut en effet, être fort utile voire indispensable quand les conditions de mise en œuvre sont claires et respectées. Ce n’est malheureusement pas souvent le cas et les programmes de micro-projets souffrent du même mal dont souffrent depuis longtemps les projets de la Banque Mondiale appelés Fonds d’Investissement Sociaux tels qu’on les rencontre un peu partout dans le monde.

Leur principal défaut est le manque de contrôle sérieux de l’utilisation des fonds qui permet au gouvernement de privilégier les allocations aux collectivités locales qui le soutiennent politiquement ou qui font partie de sa mouvance. Il est par ailleurs, très rare que les collectivités en question disposent des moyens humains et matériels suffisants pour faire les bons choix d’investissement et assurer un suivi d’exécution correct ce qui facilite les interférences politico-financières locales. Enfin, il n’existe pas de planification-programmation précise au niveau national et encore moins au niveau régional ou local. Le directeur du programme est donc « fortement incité » à financer ces collectivités-ci plutôt que celles-là, ces travaux-ci plutôt que ceux-la et par la même occasion de traiter avec ces entrepreneurs-ci plutôt que ceux-là ! Si la gestion du programme est confiée à un directeur national et non à une Co-direction européenne et nationale, le directeur devra s’incliner ou sera démis par son autorité de tutelle. Il en résulte que les choix d’investissement sont le plus souvent, extrêmement discutables.

Le deuxième point faible est la dispersion des ressources financières et des actions qu’engendre un saupoudrage excessif entre les régions et municipalités ou communautés. On cherche en effet, à toucher le plus large territoire et la « clientèle » la plus large possibles. La dispersion des micro-projets qui en résulte, ne permet pas d’engager une action de développement cohérente et de long terme au niveau d’un village ou d’une municipalité ni par conséquent, de créer une quelconque dynamique de développement local au sein de la population. Pour créer un tel effet, il faudrait que les actions soient complémentaires et les concentrer de manière cohérente sur un nombre plus restreint de villages et de municipalités en y faisant participer étroitement la population.

Ce type de programme, « instrument micro-projet » de la Commission ou « fonds social » de la Banque Mondiale, permet donc dans la meilleure hypothèse, de réaliser un investissement éventuellement utile si le choix a été correct et si les aspects fonctionnement, entretien et amortissement ont été efficacement organisés en accord avec la population et les « usagers ». C’est rarement le cas, ces investissements étant le plus souvent, effectués à la va-vite et sans véritable ciblage. De façon plus générale, on peut dire que ce type de programme est trop souvent, conçu pour afficher des réalisations en nombre et en volume sans trop se préoccuper de qualité ni de participation populaire : c’est un des meilleurs outils de la « politique cadeau » qui permet d’anesthésier à coup sûr toute volonté ou désir des populations de se prendre elles mêmes en charge!  Il est donc tout à fait légitime et nécessaire de « remettre en cause cet instrument », selon l’expression horrifiée d’un fonctionnaire auquel nous exposions ces critiques il y a quelques années. 

 

Un autre exemple de belle idée mal appliquée, est celui des dispositifs de sécurité alimentaire que la Commission a beaucoup soutenu en collaboration avec les autres grands bailleurs bi- et multilatéraux, notamment en Afrique dans les pays du Sahel. L’idée de pallier les crises alimentaires dues à des sécheresses ou catastrophes naturelles localisées ou généralisées, grâce à des systèmes de veille, d’alerte et de stockage de sécurité, est excellente en soi. Elle pèche néanmoins dans l’application par de nombreux côtés. Tout d’abord, les dispositifs mis en place ne sont pas en mesure de faire face à une crise alimentaire généralisée dans un pays : les stocks sont insuffisants pour cela car ils seraient trop coûteux à maintenir au niveau nécessaire mais le dispositif ne possède pas non plus, la réactivité suffisante pour approvisionner rapidement de grandes quantités de vivres. Il faudrait faire appel massivement à l’aide alimentaire d’urgence. De quoi sert-il alors de maintenir un stock de sécurité ? Quant aux crises localisées et temporaires qui sont récurrentes, les populations concernées ont depuis longtemps découvert et pratiquent régulièrement des stratégies d’évitement qui leur permettent d’y faire face du mieux possible par exemple, en vendant du bétail, en diversifiant leurs sources de revenu ou en s’expatriant temporairement tout en diminuant leur consommation de vivres autant qu’ils le peuvent.

Le problème n’est pas alors de leur distribuer quelques vivres, le problème est de sécuriser et développer ces sources de revenus alternatives pour prévenir la survenance d’une crise et leur assurer l’accès aux vivres. L’idée d’utiliser le dispositif pour « atténuer » les effets d’une crise, est éminemment trompeuse dans la mesure où le dispositif ne dispose pas des hommes de terrain en nombre suffisant ni des moyens de transport pour aller dans les villages ce qui l’empêche de définir clairement les zones de vulnérabilité, de les suivre et donc de « cibler » correctement les villages ou zones qui en ont le plus besoin. On distribue alors un peu de vivres par ci ou par là sans que cela soit vraiment vital pour les populations. On les leur fait aussi payer « à prix modéré » avec le risque de clientélisme que cela comporte dans la mesure où le dispositif est loin de pouvoir servir tout le monde de la même manière, à degré égal de besoin. On peut donc légitimement se demander si les fonds de la Commission ne seraient pas mieux utilisés à prévenir le mal en mettant les gens en situation de pouvoir y faire face par eux mêmes plutôt que tenter d’atténuer ses effets en pratiquant des « politiques cadeau » qui ne résolvent pas les problèmes de fond…. et dont la vertu principale est de permettre au gouvernement de clamer son dévouement au peuple et aux bailleurs de lui montrer leur compassion .

Quant aux fonds en monnaie nationale fournis et gérés par les gouvernements en contrepartie des devises octroyées à certains pays pour les importations de vivres, les carences stratégiques et opérationnelles de gestion sont telles qu’il faudrait bien vite les remettre sous contrôle pour en obtenir une utilisation tant soit peu efficace et conforme aux objectifs recherchés. Les exemples de l’Erythrée, du Yémen, de Haïti sont là pour en témoigner. 

On aura ici la gentillesse de ne pas s’étendre sur les faiblesses des grands programmes d’aide alimentaire pure y compris ceux du PAM (Programme alimentaire mondial / World food programme) auxquels participe souvent la Commission : gonflement démesuré des estimations de besoins, distribution des aides sans véritable ciblage, délais de livraison de l’aide se comptant en mois comme on a pu le constater en particulier, en Palestine, en Haïti, ou en Erythrée … à croire que des populations qui sont censées mourir de faim, peuvent attendre que les procédures internationales s’accomplissent !

L’aberration de ces approches atteint des sommets lorsque les bailleurs, malgré tout conscients de l’inanité d’une aide alimentaire répétée d’année en année, se bornent à convertir cette aide en un programme d’assistance sous forme de travaux rémunérés à haute intensité de main d’œuvre ou de pure assistance sociale pour les plus pauvres, au risque de transformer les « bénéficiaires » en assistés définitifs au lieu de les aider à s’organiser eux mêmes pour sortir la tête hors de l’eau en développant leurs propres activités productives et en utilisant leurs propres moyens. C’est ce qui se passe par exemple, en Ethiopie pour des millions de personnes au coût de centaines de millions de dollars généreusement donnés au Gouvernement éthiopien par la Banque Mondiale, le World Food Programme, la Commission Européenne, l’USAID et les coopérations britannique, canadienne et irlandaise. Une énorme machine bureaucratique d’Etat a ainsi été mise en place, qu’il faudra continuer d’alimenter d’année en année dans la mesure où elle se contente d’assister les pauvres sans prendre les mesures qui créeraient les dynamiques susceptibles de les sortir de la pauvreté.  

 
 

…. et le développement urbain est pratiquement ignoré ….

 

Le développement urbain est presque inconnu à la Commission. Les quartiers pauvres des villes monstrueuses que sont par exemple, Manille, Lima, Mexico, Bangkok, Bogota, Le Caire … ou même Casablanca, Abidjan, Alger, Brazzaville, La Paz, … n’ont jamais fait l’objet d’une attention suffisante de sa part alors qu’il s’agit du grand défi du siècle en matière de coopération au développement. A titre d’anecdotes, mentionnons les réactions de quelques Chefs de délégation avec lesquels nous évoquions ce problème à Manille, à Alger ou à San José: « parlez-en à Bruxelles, ils vous écouteront peut être mieux que nous ! ». Cet autisme bruxellois répond d’ailleurs assez bien à celui de la Banque Mondiale pour qui la pauvreté est essentiellement rurale alors que l’évidence de l’extrême misère des bidonvilles saute aux yeux du premier observateur qui prend la peine de les parcourir… La misère urbaine ne rentre probablement pas dans les critères de calcul de pauvreté de la Banque parce que les bidonvilles sont près des écoles et des centres de santé même s’ils n’y ont pas accès, et que la commodité du raisonnement veuille qu’en ville, on ait plus d’opportunités de gagner quelque argent même si le coût de la vie y est beaucoup plus élevé et si la dissolution des liens de solidarité et d’entraide a réduit dramatiquement toute possibilité d’y survivre en cas de coup dur !

Parlant de la Commission, les rares projets de lutte contre la pauvreté urbaine, en Colombie et au Paraguay par exemple, ont été l’objet des mêmes erreurs d’approche et des mêmes blocages réglementaires que les projets de développement rural. Et comme eux, ils n’ont logiquement donné que des résultats médiocres permettant un soulagement temporaire et ponctuel de la misère de quelques familles sans qu’un quelconque processus autonome de développement socio-économique ait pu être enclenché au niveau des quartiers concernés. Les projets Asia Urbs ou Urbal dont nous avons déjà parlé, ne prévoyaient que des actions ponctuelles de coopération internationale décentralisée et n’étaient pas orientés vers le développement urbain en général ni des quartiers pauvres en particulier. Leurs initiatives de plus, ont beaucoup souffert du manque de réactivité de leur gestion administrative et financière, sans parler de leur enveloppe financière très modeste au regard des immenses besoins de réhabilitation, aménagement et développement des périphéries urbaines des grandes agglomérations du monde. Quant aux quelques projets d’appui à la gestion municipale si l’on se réfère à quelques expériences passées et à un appel d’offres récent dans plusieurs pays MEDA, ils semblent se préoccuper essentiellement d’appui aux fonctions traditionnelles d’administration municipale : cadre légal et réglementaire, planification de l’utilisation des sols, services publics de base (transport, nettoiement, …). Ces projets tout comme les projets similaires de la Banque Mondiale (dérivés depuis une dizaine d’années, des tentatives d’amélioration de l’approche des Fonds d’Investissement Sociaux), évoquent parfois mais ne prennent pas suffisamment en compte le rôle majeur que doivent jouer les municipalités dans la promotion du développement économique et social avec la participation des populations concernées, en particulier dans l’immense secteur informel des périphéries urbaines (voir au chapitre 3, les considérations concernant le secteur informel et le développement local). Ils constituent certes, un progrès méthodologique dans la mesure où le cadre municipal n’est plus ignoré mais on ne peut encore attendre dix ou vingt ans avant que l’approche idoine soit effectivement adoptée et généralisée.

La Commission là encore, a amélioré son système de visée mais elle n’atteint toujours pas sa cible si tant est qu’elle ait voulu prendre la ville pour cible.

 
 

L’approche de « co-financement des ONG » est plus innovatrice mais n’a pas l’envergure suffisante pour compenser les carences stratégiques et méthodologiques des autres instruments

 

Les ONG en effet, sont pour la plupart en contact beaucoup plus étroit avec le terrain que les fonctionnaires des administrations nationales ou des bailleurs. Elles perçoivent donc mieux et plus rapidement les problématiques locales de développement.

Le grand avantage de cet instrument est que l’ONG reste responsable de son projet et le gère directement sans trop d’interventions intempestives de la Commission sauf dans les cas où des « roitelets » en mal d’autorité dans certaines délégations, les empêchent d’agir convenablement comme il nous est arrivé de le voir récemment, au Libéria par exemple. D’une manière générale, les ONG ont l’expérience de leur secteur et ont la sensibilité socio-économique des problèmes ainsi que le dévouement nécessaire pour les traiter. Elles font donc peu d’erreurs de stratégie et l’exécution sur le terrain est souvent, assez satisfaisante. Ce sont aussi de petites structures qui doivent s’adapter rapidement à un contexte changeant ce qui les rend très créatives et leur permet d’être la plupart du temps en avance sur les technologies et méthodologies nouvelles du développement, par exemple sur les aspects micro-projets, planification participative, micro-crédit, épargne-crédit, groupements féminins, etc… Elles sont aussi les seuls vecteurs possibles et compétents de l’action des grands bailleurs en direction des secteurs sociaux fragilisés (violence familiale, enfants des rues, lutte contre l’usage des stupéfiants, actions spécifiques dans le domaine de la santé, du handicap, de l’éducation, etc…, droits de l’homme en général) mais aussi pour les actions humanitaires d’urgence du type de celles que finance l’office européen ECHO. 

Leur faiblesse cependant, reste la limitation de leurs moyens et donc le niveau de couverture et d’intensité de leurs interventions.

 

Eliminons d’entrée les prétendues ONG dont la vocation de fait, est de propagande politique, religieuse ou sectaire. Elles peuvent être extrêmement dangereuses pour la cohésion nationale et sociale d’un pays car elles s’attaquent en priorité, aux secteurs ou régions fragiles et sensibles où leur pénétration est plus facile. Elles doivent être combattues et certains gouvernements ont pris la décision de les expulser, la Bolivie par exemple au début des années 90, malgré les pressions politiques et financières auxquels ils se trouvent soumis par les organisations en question et par les pays d’origine de ces groupuscules, les Etats-Unis en particulier. Il est plus difficile de se faire une opinion sur l’attitude à avoir face aux ONG religieuses qui jouent souvent, un rôle effectif et positif en matière de développement auprès des populations comme c’est généralement le cas de l’église catholique en Amérique latine, Afrique et Asie. C’est aussi le cas de certains groupes protestants dans le nord des Philippines ou dans les différents pays d’Amérique centrale ou, sujet plus sensible encore, celui des associations ou ONG musulmanes dont beaucoup deviennent malheureusement, des organisations islamistes activistes qui font à la fois « du social, de l’économique, du religieux et in fine, du politique » comme en Algérie, au Maroc, en Palestine, au Liban, en Egypte et un peu partout dans le monde musulman… ainsi que dans les pays d’immigration.

 

S’agissant des ONG de développement, leur faiblesse majeure est de ne pouvoir faute de moyens, apporter qu’une solution locale et ponctuelle à des problèmes qui devraient être traités au niveau de l’ensemble d’un secteur ou d’un pays tout entier. Certaines grandes ONG internationales ont parfois la prétention de le faire comme en Haïti depuis des décennies ou au Cambodge dans les années 90, mais leurs compétences et leurs moyens sont loin de le leur permettre. Dans ces deux derniers pays par exemple, on s’aperçoit que leurs interventions ne touchent en fait que quelques villages et que ces interventions sont le plus souvent très sectorielles, eau potable, santé, éducation, divers problèmes sociaux par exemple, et ne peuvent donc pas entraîner l’émergence d’un processus autonome et intégré de développement local. Certaines ONG cependant y parviennent au niveau d’un village ou d’un groupe de villages mais l’échelle d’intervention des ONG même des plus grandes, reste très réduite et ne saurait répondre au problème plus large de développement d’un pays ou même d’une région de ce pays.

De plus, le financement des ONG nationales ou locales dépend le plus souvent, d’organismes nationaux d’assistance ou d’aide au développement qui leur imposent des biais politiques comme on a pu le constater par exemple, en Egypte où les défauts propres à l’approche Fonds Social s’ajoutaient à ceux des ONG. Dans d’autres cas, les choix des ONG dépendront des orientations de l’organisme d’aide internationale qui les finance que ce soit l’USAID ou les diverses coopérations nationales européennes.

 

La Commission de son côté, lance des appels à projets qui permettent de faire une sélection aussi neutre et précise que possible des attributaires de l’aide. Le problème réside alors dans les limitations imposées de durée et de montant de financement des projets, qui les cantonnent dans des activités de court terme, très ponctuelles et dispersées sectoriellement et géographiquement. Pour pallier en partie cette difficulté, la Commission pourrait inciter les ONG à se regrouper pour faire des offres communes plus consistantes qui permettraient d’atteindre un seuil significatif de moyens et d’impact potentiel. Ou alors inciter les ONG européennes à traiter avec des groupements d’ONG locales qui pourraient prendre effectivement en charge la réforme ou le développement d’un secteur au niveau d’un pays tout entier ou le développement global d’une région. Il existe en effet dans beaucoup de pays, des associations d’ONG locales qui ne demandent pas mieux que de travailler avec des ONG internationales sur un plan élargi. On pourrait de la sorte créer de véritables synergies, enclencher des dynamiques puissantes et travailler à une échelle suffisante pour obtenir un impact significatif. Le travail de la Commission par ailleurs, s’en trouverait grandement facilité en matière de suivi et d’évaluation en lui évitant de lancer chaque année, des centaines de petits financement qu’elle ne peut pas vraiment contrôler.

 

Les ONG enfin, n’ont pas le statut international officiel d’institutions comme la Commission, les NNUU, la Banque Mondiale ou les coopérations bilatérales : elles sont donc soumises aux aléas et aux caprices des politiques nationales et de ceux qui les font ; elles sont donc souvent obligées de faire de l’équilibrisme entre le politique et le technique et cela rend leur travail encore plus difficile que celui des institutions internationales qui, elles, auraient le poids suffisant pour résister si toutefois, elles en avaient la volonté ou le courage !

Ce qui vient d’être dit des ONG, ne fait que souligner de façon encore plus aiguë, les insuffisances des stratégies de nos grands bailleurs, et de la Commission en particulier. Très souvent, les ONG savent mais ne peuvent pas, la Commission et ses homologues pourraient mais ils ne savent pas …. ou peut être ne veulent-ils pas savoir ?