Première faute : le mauvais usage du concept de partenariat… ou comment la Commission se défausse de ses responsabilités

 

Résumé

Le système de gestion par Co-direction assurait un partenariat responsable par le biais un contrôle partagé et immédiat du pouvoir et des responsabilités sur les stratégies et la gestion des projets. C’était sans doute trop pour la Commission, elle l’a abandonné en prônant généreusement « l’appropriation » de l’aide par les gouvernants assistés. L’appropriation, bien sûr, n’a pas donné les résultats escomptés et la Commission a cru pouvoir faire face en durcissant un cadrage procédural dont la pesanteur a progressivement sapé l’efficacité de l’action sans pour autant, permettre un contrôle au fond, des erreurs ou malversations vraiment importantes.

L’utopie de « l’appropriation » et le désengagement de la Commission culminent avec le développement de l’aide budgétaire dont les gouvernants locaux sont de facto, laissés maîtres dans le cadre d’un « Règlement » abscons et d’un contrôle financier paralysant… et le choix des experts est progressivement « nationalisé » aux dépens d’une indépendance minimale de jugement à l’égard des commanditaires et d’une certaine qualité dans les propositions.

Le flou règne aussi sur la définition des stratégies et la programmation qui se réduisent le plus souvent, à d’aimables compilations d’autres documents aussi longs et coûteux à mettre au point qu’ils sont peu opérationnels.

Texte complet

Un partenaire est quelqu’un avec qui on partage son bonheur, ses malheurs, son argent ou quoi que ce soit qui implique de décider et d’agir ensemble. Cela existe dans la vie privée comme dans les affaires ou dans la vie publique. Le pouvoir est partagé à égalité sans quoi il n’y aurait plus qu’un décideur majoritaire et un « minoritaire » qu’on ne pourrait plus qualifier de partenaire. On ne saurait donc utiliser le mot hors de cette acception mais le langage diplomatique a souvent des usages plus éthérés en qualifiant parfois de partenariat, une mauvaise comédie où il y a trop de pauvresses éplorées d’un côté et quelques cocus négligents de l’autre.

Le concept de partenariat était entre les années 85 et 2000, le fondement de ce qu’on a appelé le système de gestion par Co-Direction. Ce système a été étendu à presque tous les pays d’Amérique latine et d’Asie, avec un certain succès, au point que la Banque Mondiale s’y est intéressée un moment. Elle y a finalement renoncé au prétexte que son aide étant délivrée sous forme de prêts, ses financements devaient être considérés comme des ressources nationales donc gérés par le seul gouvernement et ne devaient pas être co-gérés. Laissons ce jugement à la Banque Mondiale car s’il peut se justifier du point de vue formel, les conditions de ses prêts sont souvent plus proches du cadeau que du prêt et l’absence d’un véritable contrôle conduit trop souvent à une mauvaise utilisation des fonds puis à l’annulation de la dette correspondante c’est à dire à une donation de fait, donc justiciable d’une co-direction … cqfd !

 

Le système de gestion par co-direction assurait un partenariat responsable pour une efficacité optimale des projets. La Commission l’a abandonné !

 

La Co-Direction est la traduction institutionnelle concrète du partenariat établi entre la Commission et le Gouvernement bénéficiaire, par la signature de l’accord qui donne vie au projet ou au programme considéré. Le problème était en effet, de gérer sainement mais efficacement des projets de terrain en l’absence (ou loin) de toute autorité de contrôle sérieuse et crédible, tout en respectant les susceptibilités nationales et bien sûr, la souveraineté du pays aidé. La Co-Direction est composée d’un Co-Directeur National nommé par l’autorité nationale et d’un Co-Directeur européen qui est le chef de l’équipe d’assistance technique mise en place par la Commission. Tous deux répondent aussi bien à l’autorité gouvernementale responsable qu’à la Commission. Ils élaborent un Programme de travail annuel qu’ils soumettent avec leur proposition de budget, à l’approbation des deux partenaires. Le programme annuel une fois approuvé, les deux Co-Directeurs peuvent engager les actions prévues ainsi que les dépenses correspondantes : ils ont conjointement la signature sur les engagements et les paiements qui sont effectués sur un compte du projet même. Le Projet établit ses propres procédures de recrutement de personnel et de gestion financière qu’il fait également approuver par les partenaires mandataires et qui l’exonèrent des procédures nationales de gestion publique. Les procédures du projet doivent toutefois, respecter les plafonds et conditions fixés par les règles générales de la Commission concernant les achats de fournitures, services et travaux. Le système ainsi mis en place donne au projet l’autonomie nécessaire de décision et d’action dans le cadre strict des programmes de travail approuvés et apporte par la co-signature, la garantie que rien ne peut être fait ni rien dépensé, sans que les deux co-directeurs ne soient d’accord. Les projets se trouvent ainsi en mesure de définir des stratégies adaptées au terrain et de les mettre en œuvre aussitôt en procédant directement aux recrutements et aux achats nécessaires. Ils rendent compte des résultats en fin de période où l’on vérifie si le « réalisé » est ou non conforme à ce qui avait été approuvé dans le plan de travail annuel. Ajoutons que les mandataires, la Commission et l’autorité nationale responsable, peuvent autoriser les changements budgétaires éventuellement nécessaires en cours d’exécution ce qui donne aux projets, la faculté de coller au terrain en fonction des évolutions souvent très rapides qu’on y constate.

 

Le système de Co-Direction permet donc souplesse et rapidité dans l’action en rendant inutiles les procédures « a priori » qui du côté national comme du côté de la Commission, ralentissent voire bloquent l’avancement des projets. En Amérique Latine par exemple, le système de gestion publique dans la plupart des pays prévoit l’intervention d’un organisme de contrôle étatique avant tout engagement de dépenses d’une institution publique ce qui a pour effet, non seulement de ralentir, souvent de l’ordre de plusieurs mois, le processus de décision mais surtout de l’insérer obligatoirement dans un processus budgétaire annuel et détaillé qui lui enlève toute souplesse. On retrouve plus ou moins, le même type de gestion publique dans tous les pays du monde avec ses contraintes de contrôle budgétaire et de contrôle des paiements. Il est donc de la première importance, pour sauvegarder l’efficacité des projets, de négocier leur exemption du processus de gestion publique. La Co-Direction permettait de satisfaire tout à la fois, aux exigences de contrôle par le biais du programme annuel préalablement approuvé et à celles de respect de la souveraineté du pays grâce à la procédure de co-signature.

Le système de Co-Direction ayant été abandonné par la Commission en Amérique Latine et en Asie ou n’ayant jamais existé dans les autres grandes zones de coopération, tous les projets doivent à l’heure actuelle, satisfaire à la fois les exigences de gestion publique des pays bénéficiaires et celles de la Commission elle-même. Ils ne peuvent pratiquement plus rien décider eux mêmes et doivent attendre les doubles autorisations préalables de l’autorité nationale de tutelle et de la Délégation pour les engagements de dépenses et les paiements importants mais aussi, dans beaucoup de pays, pour les actes de gestion les plus insignifiants …. ah ! le fameux seuil des 5000 euro ! En fin de compte, la plupart des projets dans les pays ALA, ont pris un retard considérable ou se sont trouvés bloqués au moment de la transition vers le nouveau régime procédural. Ceux des autres régions qui n’ont jamais connu la Co-Direction, continuent de faire preuve d’une lenteur d’exécution exaspérante et d’un niveau d’inefficacité d’autant plus regrettable qu’une meilleure intelligence de ce que doit être un projet permettrait de l’éviter.

En résumé, les équipes sont maintenant hantées par le respect des règles et des procédures au lieu de concentrer leur énergie sur la réalisation des objectifs.

 

On se bornera ici à donner quelques exemples seulement de ce qui est malheureusement devenu trop fréquent. Quelques projets majeurs au Maroc en 2004, avaient pris un retard considérable et étaient loin d’atteindre les résultats escomptés pour des raisons de pesanteur bureaucratique dont ils n’étaient aucunement responsables. Pas plus d’ailleurs que le gouvernement marocain qui avait accepté tous les assouplissements procéduraux nécessaires. Le goulot d’étranglement venait bien de la Commission et de ses procédures. Paradoxalement et de façon curieusement contradictoire, sa préoccupation majeure était aussi d’afficher l’exécution financière la plus satisfaisante possible desdits projets au moment de leur clôture alors qu’elle en bloquait elle même l’exécution par l’ineptie de son système de gestion ! La question est alors de savoir si le bon critère de jugement est d’atteindre les objectifs des projets ou s’il est de dépenser l’argent selon le calendrier prévu ? La seconde option est bien la bonne comme le laisse penser « l’instruction » donnée à l’un des projets par la Direction responsable, d’avoir à « engager avant la fin de l’année », le solde de son financement sous peine de fermeture du projet. On imagine alors le niveau de pertinence et de qualité des activités ainsi décidées, préparées et engagées à la hâte sous de telles menaces…. et quelle belle façon de motiver des équipes de terrain et d’assurer l’utilisation rationnelle et optimale des fonds de l’Union ! Le plus désolant est que ces projets n’étaient pas mauvais en eux mêmes, ils le sont devenus à force de retards dus à l’application rigide de règles et de procédures de gestion inadaptées que la Délégation devait leur imposer au nom d’un Règlement dont la seule vertu est de paralyser les fonctionnaires tout autant que les projets.

Une autre expérience vécue dans un pays du Proche-Orient, est donnée ici pour illustrer certains types de difficultés auxquelles se heurtent fréquemment les projets. Des décisions de gestion courante d’un projet d’appui au plan d’investissement public et d’aménagement du territoire, pouvaient difficilement être avalisées par la Délégation et plus précisément par sa « section contrat-finances », sa garde financière, sans faire l’objet de plusieurs allers et retours de documents au motif que telle ou telle virgule n’avait pas été exactement placée là où il fallait (compter quelques semaines et plus souvent quelques mois à chaque passage !). Un des résultats les plus comiquement affligeants en fut par exemple, l’arrivée lors du dernier mois de l’existence du projet, d’un matériel informatique commandé deux années auparavant dans un pays européen conformément au règlement, devenu obsolète entre temps et qui par ailleurs, coûtait beaucoup plus cher que le matériel plus moderne qu’on aurait pu acheter directement sur le marché local. La délégation s’était aussi distinguée en répondant avec trois mois de retard, à une demande de mise à disposition d’experts, tout à fait normalement prévue et faite dans les délais : la réponse de la « section contrat finances » indiquait que la demande ne pouvait plus être approuvée parce, au moment de l’examen du dossier par ladite « section », les délais étaient dépassés et que les quatre mois d’experts demandés ne pouvaient plus être prestés avant la fin du projet qui était à trois mois. On peut de la sorte longuement tourner en rond et économiser beaucoup d’aide en bloquant toute action et donc toute dépense grâce aux retards procéduraux !

Une autre mésaventure, comique mais significative en matière de qualité de gestion, est arrivée à un bureau d’études français il y a deux ou trois ans : il a été gratifié par la Commission, d’indemnités de retard de paiement portant elles-mêmes sur des indemnités de retard de paiement qui lui avaient été octroyées antérieurement sur ses dernières factures !!! On dit que la Commission est bon payeur : un payeur sûr, sans doute, mais un payeur tardif à l’évidence … il faut en effet, que ses fournisseurs disposent d’un solide fond de roulement pour la servir !

De même au Chili, les cafouillages dus à la disparition du système de Co-Direction sans avoir mis au point les nouvelles procédures de gestion entre les institutions nationales et la Commission, ont fait perdre deux ans au démarrage de certains projets et des trésors d’énergie ont été dépensés pour cette même raison, en cours d’exécution.

Partout, c’est à dire dans tous les pays ALA, MEDA, ACP, etc… et sauf exception due à une urgence déclarée tout aussi exceptionnelle, les véhicules, les ordinateurs, les moyens de transmission, etc… bref, les outils de travail indispensables des équipes de terrain, arrivent après de nombreux mois et parfois plus d’une année de délai, en raison des règles et des procédures d’achat. Comment veut-on dans ces conditions, que les projets puissent démarrer de façon efficace ? Il faut en effet, compter pratiquement autant de mois d’activité perdus alors que les principales dépenses courent déjà … et plus dramatique encore, une telle inertie au démarrage augure souvent bien mal, de la dynamique future du projet !

Le Règlement d’ailleurs, fait parfois l’objet d’interprétations diverses d’une Délégation à l’autre et les ajouts et modifications qu’on y fait, se superposent en strates si épaisses et incompréhensibles que finalement, tout ralentit, bloque ou casse sans que l’essentiel ne passe c’est à dire ce pour quoi les projets avaient été conçus. A contrario, rendons hommage à la Délégation de Bogota en Colombie, dont les responsables ont eu le culot et la ténacité suffisants pour obtenir que les projets anciennement lancés sous Co-direction restent gérés sous cette forme jusqu’à leur terme, les soustrayant ainsi aux exigences paralysantes du nouveau Règlement : ceci a permis de sauver ces projets et de préserver leur efficacité sur le terrain ce qui était d’autant plus indispensable qu’ils se trouvaient agir dans des zones ultra-sensibles politiquement et socialement. L’application du Règlement dans ces zones, y aurait rendu le travail de terrain inefficace voire dangereux en raison des réactions que cette inefficacité aurait pu provoquer dans un contexte de tension politique aussi forte. 

On en oublie les objectifs fondamentaux des projets mais on respecte le Règlement, tout le monde le sait, tout le monde s’en plaint aux échelons intermédiaires mais rien n’est fait par les autorités supérieures pour changer le système…. On se refuse à y penser et encore plus à en parler. Il faut rester dans le cadre : voilà ce qu’on objecte aux consultants qui osent soulever le problème à l’occasion de leurs évaluations. 

 

Un second avantage non négligeable du schéma de Co-Direction, est qu’il garantit la transparence et la sécurité de gestion financière des projets. On a déjà évoqué les tentations que de telles sommes d’argent pouvaient susciter dans des pays où le niveau de rémunération est si bas et le sens de l’intérêt général si loin des préoccupations quotidiennes des responsables. La co-décision, la co-signature et le co-contrôle permettent d’y échapper et aucun organisme de coopération internationale n’a encore trouvé de système plus efficace pour couper court dès le départ à toute dérive financière.

Il est en effet, impossible qu’un Co-Directeur national, et encore plus un Directeur national lorsqu’il est seul responsable, résiste aux pressions politiques locales ou aux demandes voire aux ordres de son ministre de tutelle, qui chercheraient à utiliser les moyens d’un projet pour satisfaire des objectifs ou des intérêts qui n’ont rien à voir avec ceux de ce projet. Il y joue sa carrière et dans certains cas, il peut même y risquer sa vie comme on l’a vu dans certaines situations particulièrement tendues. Sa meilleure protection est alors le Co-Directeur européen qui, lui, jouit d’un statut lui permettant de résister à de telles pressions et de refuser sa signature à toute demande incongrue. L’efficacité du système est telle qu’elle dissuade dès le départ, les interférences d’intérêts politiques, personnels ou institutionnels indus. Et s’il arrive néanmoins que certaines demandes soient faites au Co-Directeur national, ce dernier peut s’abriter derrière le refus du Co-Directeur européen. La tentative en général, s’arrêtera là car la plupart des « requérants », députés, sénateurs, préfets ou gouverneurs, sous-ministres, ministres voire présidents, n’osent pas aller plus loin et s’ils persistent, le Co-Directeur européen entrera en scène et fera officiellement valoir son refus… avec copie à la Commission.

Il n’est pas de projet qui n’ait subi de telles pressions. En Bolivie par exemple, un gouverneur local voulait utiliser les équipements d’un projet pour construire des routes dans son fief électoral hors de la zone du projet : la Co-Direction a en l’occurrence, été soutenue par la population qui avait menacé de dynamiter le matériel … mais aussi la voiture du gouverneur en question ! Au Pérou, le gouverneur régional voulait utiliser les véhicules d’un autre projet pour transporter les forces de police et les milices du parti pour maintenir l’ordre dans une zone de la rébellion néo-maoïste du Sendero Luminoso : la Co-Direction a pu s’opposer à cette folie qui aurait immédiatement condamné le projet en risquant la vie de son personnel, l’identifiant irrémédiablement à une « force répressive ». Au Nicaragua, il s’agissait du Président de la République lui même, qui enjoignait au Projet d’acheter à des prix exorbitants, des terrains qui appartenaient à une de ses sociétés ! Au Népal et au Yémen, il s’agissait de détournements caractérisés. Ailleurs, c’était pour favoriser telle ou telle entreprise pour l’attribution de travaux routiers au double du prix standard, etc… L’attribution des achats ou travaux est en effet, nous l’avons dit, la voie royale des détournements de fonds et de la concussion : cela est universel se produit aussi bien en République Dominicaine qu’au Yémen ou en Erythrée, aux Philippines comme au Nicaragua, au Liban, etc…

Au Nicaragua par exemple, la Commission qui disposait d’ingénieurs compétents dans ses projets, avait financé des routes à un prix de 150.000 dollars par kilomètre, qui était déjà largement « évalué » alors que la Banque Interaméricaine et la Banque Mondiale trouvaient normal de financer des routes du même type à plus de 300.000 dollars ! Manque d’ingénieurs compétents sur le terrain…. négligence ou complaisance politico-financière !? Ce genre de complaisance ou de « bénigne négligence » est beaucoup trop fréquent au sein de nos organisations d’aide au développement. En Erythrée, à la suite d’une remarque de ce type faite par une mission d’évaluation, le conseiller chargé de la coopération internationale auprès du Président, réclamait sans pudeur que la mission s’abstienne d’en faire état dans son rapport car, disait-il, il était en négociation avec la Commission pour des routes à plus de 500.000 dollars ! Ce type d’investissement ne pouvait raisonnablement s’expliquer en l’occurrence, que par des objectifs d’ordre militaire… ou d’autres motifs moins avouables que ledit conseiller voulait faire avaliser par la Commission. 

La Co-Direction constitue en elle-même, un contrôle permanent, immédiat , à la source et sur le terrain. Elle permet de couper court à tout processus qui risquerait de dégénérer en détournement caractérisé. Lorsqu’une telle forme de contrôle est absente, on ne s’aperçoit que rarement des turpitudes et toujours trop tard, … et il est alors extrêmement difficile de préférer le scandale diplomatique à l’étouffement de l’affaire ! 

 

Dernier avantage du système de Co-Direction : il évite que le moindre problème de gestion ne remonte au Ministre ou à la Délégation, voire à Bruxelles et ne se transforme en incident diplomatique. En cas de divergence de vues ou d’intérêt entre parties prenantes, le problème s’arrête en général, au niveau des Co-directeurs qui tranchent en prenant la décision la meilleure pour le projet. En l’absence de Co-direction, les décisions de gestion sont simplement préparées par la Direction du projet mais le pouvoir de décision appartient en fait, à l’autorité nationale « gestionnaire » et à la Délégation qui avalise, elle-même devant en référer à Bruxelles dans certains cas. On comprend alors que le moindre problème de gestion ou le moindre désaccord devienne une affaire d’Etat susceptible de dégénérer en crise diplomatique puisque d’emblée, les autorités suprêmes sont impliquées dans le processus : il faut alors que le Chef de Délégation voire la Direction Générale et le Ministre s’expliquent et il y aura nécessairement au bout du compte, une autorité frustrée ou une décision bâtarde ou les deux ! On en arrive ainsi très vite à accepter un peu n’importe quoi et à s’abstenir de toute réaction saine sous un prétexte politique ou diplomatique quelconque. A court terme, c’est l’inefficacité assurée et on favorise à long terme, l’émergence d’un cercle vicieux où le laxisme de la gestion crée l’irresponsabilité qui perpétue la dépendance.

A cet égard, les Chefs de Délégation de l’Union souffrent actuellement d’un problème de choix existentiel : être ou être utile ! ce qui dans le cadre actuel est bien difficile. Certains se réfugient dans les mondanités, réunions et discours, bref, dans la « haute politique » tandis que ceux qui refusent de tout accepter, risquent d’être sanctionnés par leur hiérarchie en raison des « vagues » que leur rigueur va bientôt provoquer.

 

Pourquoi a-t-on supprimé la Co-direction ? C’est une question que se posent encore ceux des fonctionnaires de la Commission et des consultants qui ont bien connu ce schéma d’organisation institutionnelle. Au début des années 2000, certains beaux esprits de la Commission qui n’avaient aucune expérience concrète du système, en particulier au sein des cabinets des Directions Générales et Commissariats concernés, s’inquiétèrent gravement du fait que les Co-directeurs européens prenaient des responsabilités de gestion qui pouvaient entraîner une certaine responsabilité de la Commission. La belle affaire ! la Commission ne devrait donc plus prendre de responsabilités ? Ces hautes autorités ne comprenaient tout simplement pas pourquoi la zone ALA (Amérique Latine-Asie) était gérée différemment de ce à quoi elles étaient habituées, à savoir le système de direction de projets en vigueur dans les ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique). Dans cette dernière zone en effet, les projets et activités de coopération étaient de fait, gérés par les autorités locales avec une supervision administrative ponctuelle de la Commission et l’équipe d’assistance technique européenne restait cantonnée dans un rôle de conseil technique sauf dans les cas assez rares où les autorités locales lui déléguaient le pouvoir de proposition qu’elles ne voulaient pas ou ne se sentaient pas capables d’assurer. Le principe « d’appropriation » avait été consacré par le discours très « dame de bonnes œuvres » d’un ancien Commissaire français qui déclarait benoîtement aux chefs d’Etat et ministres des pays ACP vers le milieu des années 80 : « cet argent est à vous, faites en bon usage ! ». L’usage n’en a pas été ce que l’on pouvait espérer et au delà des mots, il faut bien comprendre que de tels propos sont perçus par les gouvernants aidés, comme une véritable incitation à cultiver le laxisme persistant de leur gestion quitte à rester dans l’assistanat et la dépendance perpétuels. Les initiateurs de la coopération européenne dans les pays ALA avaient précisément, voulu se débarrasser de ce système qu’ils avaient longuement pratiqué, en raison de son inefficacité et du laxisme qu’il engendrait.

Les autorités bruxelloises commencèrent alors à signer de nouveaux accords de coopération avec certains pays d’Amérique Latine, qui ouvraient grandes, les portes de la gestion des projets et donc des fonds de l’UE aux « responsables » des pays eux mêmes. Ils ne supprimaient pas encore formellement la Co-direction mais ils offraient aux responsables nationaux, le choix des fournisseurs et la signature des contrats c’est à dire la partie la plus sensible de la gestion des projets et celle par où passent le gros des « erreurs » et des malversations ! Un rapport d’évaluation ayant relayé cette critique fondamentale auprès de la Direction Générale responsable, la réponse fut que la Co-direction n’avait d’intérêt que pour les experts gestionnaires des projets car elle leur facilitait le travail (sic !!) mais que la Commission devait être « couverte » or les projets n’avaient pas de personnalité juridique, etc…. Il suffisait en ce cas, de prévoir la personnalité juridique au niveau de chaque accord de projet et le problème eut été réglé.

On n’ose penser qu’en fait, la motivation de cette malheureuse réforme dérivait directement d’un état d’esprit alors peu propice à la prise de responsabilités. L’époque en effet, était celle du passage de relais de la Commission dite Santer à la Commission Prodi à la suite du battage médiatique souvent injuste, fait autour de quelques affaires exagérément montées en épingle par quelques censeurs intégristes. Il semble qu’on ait alors voulu se prémunir au-delà du raisonnable et préféré abandonner toutes les responsabilités aux dirigeants des pays aidés sous le noble prétexte que ces derniers « s’approprient les projets ». Il est en effet, plus facile de « sermonner » après coup les gouvernants responsables en leur reprochant d’avoir mal géré, que de prendre soi même les responsabilités de dire oui ou non avant que l’irréparable ne soit commis. Le résultat en tout cas, n’est pas très glorieux ni très efficace quant à l’utilisation des fonds confiés à la Commission par les différents Etats membres et leurs contribuables : beaucoup de projets ALA , connaissent depuis lors, des retards considérables et des problèmes d’efficience de gestion au point que les Délégations concernées ont tout fait pour maintenir aussi longtemps que possible le régime de co-direction dans les projets conçus sous cette forme avant qu’elle ne soit bannie par la Commission.

Ils voulaient être « couverts » mais en réalité, les dirigeants de la Commission sont beaucoup plus profondément « compromis » par les résultats désastreux de cette fuite devant leurs responsabilités qu’ils ne l’auraient jamais été par un partage normal de ces dernières en forme de Co-direction. Le principe reste qu’on ne saurait être « chef » ni reconnu comme tel sans être responsable. On en est là cependant, et on n’y remédiera que lorsque le Conseil ou le Parlement forcera la Commission si elle ne s’y décide pas elle même, à généraliser l’application d’un système simple et clair de co-direction dans la gestion des projets et de co-décision dans la définition des orientations de la coopération au niveau des pays.

 
 

L’utopie de l’ « appropriation » et le désengagement de la Commission culminent avec le développement de l’aide budgétaire et la « nationalisation » du choix des experts …

 

Les projets et les financements en général, de toute nature, ont toujours été accompagnés d’une mise à la disposition du pays récipiendaire, d’une équipe européenne d’assistance technique dont le but est d’une part d’apporter au pays l’appui méthodologique dont il a le plus souvent un très grand besoin, d’autre part d’assurer à la Commission, un minimum de contrôle ou tout au moins une certaine vision des orientations données au projet et de sa gestion quotidienne. Ceci s’appliquait aussi bien aux projets et actions ALA (Amérique latine et Asie) gérés sous co-direction qu’aux projets et actions des autres zones qui n’étaient pas sous co-direction , ACP Afrique, Caraïbes, Pacifique), MEDA (Afrique du Nord et Proche orient), TACIS (Pays ex-soviétiques), etc… Le choix des équipes après appel d’offres, était fait par la Commission et avalisé par le pays bénéficiaire qui (sauf s’il pouvait reprocher un crime ou délit quelconque à l’un des membres de l’équipe !) donnait toujours son aval.

En vertu des grandes idées visant à « responsabiliser les pays par leur appropriation des projets », la tendance est depuis quelque temps, de donner de plus en plus de poids aux autorités du pays bénéficiaire dans le choix des équipes d’assistance technique. Un effet pervers de cette formule est que les bureaux d’étude consultés, devront venir défendre leur offre devant les autorités nationales. La meilleure façon de la défendre, est alors bien évidemment, de passer l’accord le plus favorable possible aux intérêts des décideurs nationaux sans l’aval desquels il n’y aura pas de contrat. Cette procédure est la procédure courante de la plupart des bailleurs et la Commission, qui avait à cet égard l’originalité de protéger ses consultants du « bakchich coutumier et obligatoire » en s’érigeant comme le seul décideur contractant, se retrouverait dans le lot commun des organismes d’aide. Il faudra désormais beaucoup de courage aux bureaux d’étude, voire une inclination particulière à l’échec, pour refuser de payer et plus largement de satisfaire aux conditions imposées par les décideurs nationaux, s’ils veulent obtenir le contrat. Du même fait, les équipes d’exécution se trouveraient par la suite, dans une position intenable pour refuser de prendre les décisions que leur suggère fortement le couple « corrupteur-corrompu » : leur emploi en effet, est en jeu et ils risquent parfois beaucoup plus dans certains pays ou zones sensibles. Et il sera difficile aux Délégations d’intervenir comme il convient pour protéger les équipes de consultants contre ce couple infernal que la Commission elle même, est en train de mettre en place par une application hasardeuse de principes ou d’idées qui peuvent en théorie, paraître sains mais qui s’avèrent désastreux à l’usage.

 

Les rumeurs les plus récentes, semblent indiquer que l’on veut maintenant aller beaucoup plus loin et supprimer purement et simplement, les équipes européennes d’assistance technique en commençant par les équipes permanentes qu’on remplacerait par des équipes locales et quelques expertises européennes ponctuelles et à la demande. C’est évidemment ce que réclament les responsables les plus « filous » des pays aidés car ils auraient désormais les mains libres de faire ce qu’ils veulent sans devoir en référer ou même en parler à quelque européen sur place ni risquer qu’un « œil européen » puisse déceler une éventuelle dérive. Bien sûr, tout cela est habillé des prétextes très respectables d’appropriation et d’utilisation des compétences locales : ces dernières bien sûr, existent parfois et il faut les utiliser au mieux mais ne jamais oublier cependant, qu’elles seront toujours sous influence dans leur pays et leur idiosyncrasie. On voit mal en effet, un consultant ou un expert local aller contre la volonté de son ministre ou simplement aller dans ses critiques au-delà de simples réaménagements de détail. Il est hors de question pour un consultant local de mettre en cause les stratégies des décideurs ou la gestion financière d’un projet et encore moins la qualité d’une politique gouvernementale surtout si elle est soutenue par la coopération internationale . Peu de consultants européens s’y risquent et cela devient véritablement suicidaire pour un consultant local ! 

 

On en arriverait ainsi, au comble de l’abandon de pouvoir de la part de la Commission si l’on songe qu’ayant déjà abandonné la Co-Direction, il s’agit maintenant d’abandonner toute possibilité d’orientation voire de simple discussion des actes des projets puisque toute présence européenne permanente serait bannie. Espérons seulement qu’une telle aventure ne sera pas tentée pour une autre raison majeure : les délégations qui ont déjà beaucoup de mal à assurer une supervision minimale des actions de la Commission bien qu’elles puissent encore s’appuyer sur les équipes permanentes des projets, ne seraient évidemment pas en mesure d’assurer le suivi renforcé qui deviendrait alors d’autant plus nécessaire. Allant plus loin, pourquoi ne pas tout simplement supprimer tout contrôle et faire cadeau de l’argent aux gouvernements en se contentant d’approuver leurs rapports d’exécution ? cela simplifierait beaucoup les problèmes et la vie de chacun en serait grandement facilitée !

On voit ici quelles pourraient être les conséquences de la combinaison de l’idéologie bien pensante et de la rigidité bureaucratique : il est difficile et risqué de prendre des responsabilités…. alors, laissons les prendre par les autres d’autant que cela épouse parfaitement l’idée très politiquement correcte de l’égalité des droits de tous nos frères sur la planète. On évite ainsi de se poser la question de leurs devoirs et de leurs capacités qu’il serait très politiquement incorrect de mettre en doute ou simplement d’encadrer.

 

La Commission à l’heure actuelle, traverse une passe difficile du fait de son manque de fermeté vis à vis de ses interlocuteurs, de la faiblesse de ses options stratégiques et de sa façon de gérer la coopération. Sa crédibilité dans ce domaine, a été fortement atteinte depuis une dizaine d’années. On en voit les manifestations sur le terrain lorsqu’on rencontre les exécutants qui souffrent directement des incohérences procédurales qu’on leur impose mais aussi et cela ne trompe pas, lorsqu’on rend visite aux responsables politiques qui se sentent de moins en moins tenus au langage diplomatique ! L’absence des Chefs d’Etat du sud-méditerranéen à la conférence fêtant le dixième anniversaire du partenariat euro-méditerranéen à Barcelone en Novembre 2005, n’est-elle pas inacceptable alors que les Chefs d’Etat ou de gouvernement européens s’étaient fait un devoir d’y assister ? mais ne signifie-t-elle pas aussi que la Commission doit se reprendre en mains et que nos partenaires en fait, réclament un cadre de coopération plus clair et plus efficace débarrassé des palinodies actuelles ? Le partenariat pourrait ne pas être un vain mot, il pourrait même, et c’est son but, créer de véritables synergies entre les pays aidés, la Commission et les Etats membres. Le poids de l’Europe en serait accru et la Commission plus respectée. Le « respect » comme on dit dans les banlieues, n’est pas exempt de fermeté ; il faudrait que ce soit aussi la règle dans les relations internationales de la Commission.

 
 

Le flou règne aussi sur la définition des stratégies et la programmation de la coopération … on laisse faire

 

Différents outils sont utilisés : accords de coopération tout d’abord et depuis quelques années, programmation par le biais des PIN ou PIR, programmes indicatifs nationaux ou régionaux, qui sont normalement élaborés après « analyse approfondie » des problématiques locales de développement, elles mêmes consignées dans les « papiers stratégiques nationaux » ou « country strategy papers ». Ce processus constitue un effort louable pour mieux définir les points d’impact essentiels de la coopération mais la mise en œuvre du dispositif reste très imparfaite dans beaucoup de pays et de régions.

En effet, les accords de coopération prévoient en général, de tout faire dans tous les domaines possibles de coopération et de toutes les manières possibles. Rien n’est oublié ou si peu, que le pays semble déjà avoir atteint la terre promise rien qu’à les lire ! Ayant affirmé qu’on allait coopérer, il faut maintenant sérier les problèmes car malheureusement, les enveloppes budgétaires ne sont pas toujours à la hauteur des ambitions de l’accord.

 

Les fonctionnaires géographiques et sectoriels de Bruxelles et des Délégations, toujours aidés par les omni-présents consultants, vont alors procéder à une étude approfondie de la problématique du pays concerné. Il s’agit de relever les informations d’ordre économique, social, politique voire sociologique de toutes provenances et d’élaborer un schéma descriptif de la situation, points forts, points faibles, etc… que l’on va discuter avec les autorités nationales. Une deuxième phase du processus d’échange doit permettre de dégager des orientations plus précises quant aux priorités nationales. A la fin du processus, on obtiendra le fameux papier stratégique. Il arrive cependant trop souvent, que la stratégie n’apparaisse pas très clairement malgré l’objectif affiché du papier et que les orientations soient un peu perdues ou diluées dans les généralités et les bonnes intentions dans le souci compréhensible mais peu opérationnel, de faire un peu de tout pour satisfaire tout le monde… Les besoins en effet, sont toujours immenses dans tous les secteurs d’activité économique ou sociale, dans toutes les régions et au niveau de toutes les fonctions de l’Etat sans oublier les aspects « démocratie, société civile et droits de l’homme », en particulier lorsqu’il s’agit d’un pays à reconstruire. Par ailleurs, les perspectives décrites sont en général, trop ambitieuses au regard des moyens dont on dispose du coté des bailleurs comme du côté des bénéficiaires. Le document « strategy paper » ressemble donc souvent, à une compilation de données et de considérations générales sur le pays dont on ne peut pas vraiment tirer de conclusions opérationnelles ni de priorités stratégiques indiscutables quant aux approches ou aux secteurs.

 

Le « papier stratégique » servira néanmoins, de point de départ à des discussions ultérieures plus concrètes et souvent plus acharnées car on commence alors à toucher de plus près, les problèmes d’argent ! La programmation est en effet, une étape décisive et il faut se mettre d’accord sur les PIN (programmes indicatifs nationaux) qui vont définir les allocations par secteur. C’est là le point névralgique et chacun se bat pour obtenir le meilleur du côté des administrations nationales sous l’œil vigilant des fonctionnaires européens et nationaux chargés de la coopération, jusqu’à ce que les arbitrages soient faits par l’autorité supérieure. On s’efforce alors, de définir des « secteurs de concentration », compromis plus ou moins précis entre les desiderata du gouvernement, les positions des autres bailleurs et les éventuelles priorités de la Commission ou de ceux qui cherchent à influencer ses décisions. C’est à cette occasion que l’on constate en général, la forte appétence des responsables politiques et administratifs pour le « visible, le béton, les équipements, le solide » que l’on préfère nettement à l’immatériel : cela semble provenir à la fois d’une conception un peu datée de l’aide mais aussi et c’est plus gênant, du fait que les possibilités de profit direct ou indirect, politique ou financier, sont évidemment plus palpables et plus importantes dans un cas que dans l’autre ! Toujours est-il que la distribution des enveloppes budgétaires entre les secteurs et types d’activités est très fortement marquée par les « préférences » des gouvernants.

 

Ce processus paraîtrait absolument logique et justifié dans le cadre d’un système rationnel de définition des priorités et des choix d’investissement public… hélas ! un tel système n’existe dans aucun des pays concernés et le processus mis en œuvre par la Commission, reste encore trop « artisanal » pour apporter véritablement les garanties nécessaires à cet égard. Les exemples ne manquent pas autour du monde, prenons celui du Liban où la mise au point récente d’un Schéma Directeur d’Aménagement vient de démontrer les imperfections pour ne pas dire le gâchis économique et financier, d’une piètre planification et programmation de l’investissement public par rapport aux priorités réelles du pays sans que cela n’émeuve outre mesure la Délégation qui avec d’autres bailleurs, est une partie prenante ou plutôt « donnante » importante de ce gâchis national !

Consciente de ces insuffisances, la Commission a récemment engagé une démarche « qualité » qui peut laisser espérer que les aspects stratégie et programmation du développement soient mieux sériés à l’avenir. Il faut cependant, souligner à ce stade que le concept de « qualité » doit couvrir non seulement la définition des stratégies de coopération et la programmation de l’aide mais aussi les approches pour l’exécution puis l’exécution elle-même dont dépendent aussi les résultats que l’on peut légitimement attendre des projets et activités diverses de coopération.

 

Il faut étudier également les documents qu’on nomme pompeusement les « stratégies et politiques nationales de développement, les plans nationaux ou régionaux, les stratégies de lutte contre la pauvreté, les stratégies de sécurité alimentaire, les stratégies de développement rural, de développement des petites et moyennes entreprises, etc… » . Ces documents sont en général, « pondus » à la demande des bailleurs internationaux qui se contentent trop souvent de généralités parfois contradictoires ou de banalités sur la nature du (sous-)développement, ses causes, ses contraintes, les souhaits des uns et des autres, les « si » et les « mais ». Après en avoir examiné des dizaines dans de nombreux pays, il est rare d’y trouver quelque chose de concret, de programmable ou qu’une orientation y apparaisse suffisamment clairement pour servir de ligne directrice à l’action. Il s’agit presque systématiquement de longues analyses froides et fastidieuses (parfois involontairement comiques) où le développement est supposé sortir d’une mécanique économique idéale comme si cette machine n’était pas pilotée et alimentée par des êtres humains avec leurs dynamiques et leurs faiblesses propres mais par des agents économiques parfaitement rationnels et systémiques ! La partie action et le partage des tâches entre les hommes et les institutions responsables n’y sont qu’effleurés quand ils ne sont pas tout simplement absents. Ces documents sont donc rarement pour ne pas dire jamais « opérationnels » mais tous les gouvernements font plaisir aux bailleurs en les leur fournissant comme s’il pouvait s’agir d’un cadre stratégique valable pour leurs demandes d’aide. Les bailleurs de leur côté, sont ravis selon la formule consacrée, de « s’inscrire dans les perspectives gouvernementales ainsi fournies et de contribuer à leur approfondissement » … en payant les études nécessaires. Ces documents en effet, font le plus souvent, l’objet d’années d’études et de millions d’euro de financement et aboutissent en général, à des conclusions de peu d’intérêt alors qu’il suffit en réalité, de quelques semaines pour prendre la mesure exacte des problématiques globales au niveau d’un pays moyen et de quelques semaines supplémentaires pour définir les besoins des couples secteurs/régions y compris tous les séminaires, colloques et forum participatifs que l’on voudra avec l’ensemble des acteurs potentiels. A titre d’exemple, un appel d’offres a été lancé par la Commission pour aider un pays d’Afrique de l’Ouest à « mettre au point les 17 ( pas moins !) sous-programmes de sa Stratégie Nationale de Développement Rural » alors que cette stratégie est déjà à d’étude depuis trois ans, en parallèle avec les autres incontournables stratégies de lutte contre la pauvreté, de sécurité alimentaire, etc… et qu’il est très évident à l’étude de ces stratégies, que les différentes composantes prévues sont une simple compilation de recettes classiques des administrations du développement, bien incapables de créer une quelconque dynamique de développement en milieu rural : cela fait beaucoup de stratégies et de recettes ressassées depuis des années dans le ronronnement sympathique mais peu efficace des bureaucraties nationales et internationales de la coopération…. Encore quelques années d’études et on va peut être arriver à sortir pour ce pays, un vague plan d’action qu’il faudra sans doute encore, affiner par d’autres études. Et il en est de même un peu partout !

La question vient immédiatement à l’esprit : pourquoi perd-on autant de temps à couper les cheveux en quatre au niveau de l’analyse et à peaufiner des généralités au lieu de concentrer les efforts de réflexion sur la définition des actions à entreprendre et sur leur mise en cohérence entre les fameux acteurs ? Il y a là beaucoup d’hypocrisie, de laisser-aller et sans doute aussi, l’effet de l’exagération des méthodes du cadre logique et du cycle de projet dont l’abus conduit toujours à la plus grande confusion. Nous reviendrons plus tard sur ce point.

 

Des efforts ont donc été faits pour mettre en œuvre des procédures d’orientation et de gestion destinées à mieux cadrer la coopération. Les instruments d’orientation stratégique et de programmation sont bien évidemment nécessaires mais ils doivent être mieux utilisés ou tout au moins mis en œuvre par des gens plus opérationnels et peut être moins « intellectuels ». Quant aux outils de gestion et de contrôle des projets sur le terrain, l’expérience des dix années passées montre qu’une remise à plat s’impose d’urgence y compris pour l’aide budgétaire car tout aboutit in fine, du moins espérons-le, à des projets sur le terrain. Il est à souhaiter qu’une refonte rapide de ces outils permette de redonner sa véritable signification au concept de partenariat que l’on a beaucoup galvaudé de par le monde et dernièrement, en Méditerranée ou encore dans certains pays ACP où il ne recouvre pas vraiment la réalité mais plutôt des convenances politiques mal maîtrisées.