Le petit bourgeois européen … ou l’aliénation par le « penser faux » et la peur de l’autre

 

Résumé

Il est l’homme nouveau de la moderne société à classe unique. Il est confortablement installé dans les « acquis » de ses pères et n’en veut plus bouger… au lieu de faire face, il s’abrite derrière ses « bêta bloquants » habituels, syndicats, associations, partis … unis dans le même combat pour la conservation économique et sociale…

Le « germanopratinisme »,  maladie de l’esprit originaire de la rive gauche parisienne, est un mal contagieux très difficile à traiter qui bloque les « intellectuels » sur un discours désespérément « correct ». Ils ont abandonné Moscou, Pékin ou La Havane et pérégrinent maintenant dans « l’alter-monde » souffrant. Les intellectuels n’ont pas nécessairement l’intelligence du monde et nos grands vulgarisateurs attrapent au vol, les idées et les grandes causes qui passent… l’homme nouveau a des droits, peu de devoirs et n’est pas responsable, il est excusable de ses fautes car il est victime de la société… en fin de compte, il y a beaucoup « d’a-normaux » à la mode mais toujours aussi peu de génies au travail !

La bien-pensance et l’intolérance : de la compassion à la repentance puis à la régulation de la pensée… maladie de civilisation ou caprices de riches ?

Le petit bourgeois a peur. Il croit que le monde lui en veut. Le secteur public et les « jeunes », poussés par leurs militances politiques et syndicales, font un blocage sur le changement. Tous se rêvent fonctionnaires et jalousent les plus riches qu’il voient fort bien mais discernent mal les vrais pauvres, ceux du tiers monde, qui les guettent depuis les périphéries de leur forteresse sécurisée.

Texte complet

Il est confortablement installé dans les « acquis » de ses pères et n’en veut plus bouger

Devant l’envahissement de l’esprit petit bourgeois, Lénine voulait le plus vite possible, faire la révolution avec le prolétariat avant qu’il n’en soit corrompu et Nietzsche déplorait la rareté du sentiment aristocratique qui seul, pouvait porter l’homme ou la nation au delà de ses pauvres possibilités intrinsèques. Nous y sommes : Adam Smith et Karl Marx se sont, tous les deux, trompés sur l’inéluctabilité de la paupérisation et, à part quelques nouveaux riches et « sans domicile fixe », nous avons pratiquement réalisé la société sans classe avec cet homme nouveau qui paraissait un rêve au début du siècle dernier, le petit bourgeois. Son essence est par nature médiocre ou moyenne et son esprit ramène constamment l’homme à son nombril sécurisé rejetant instinctivement toute forme de changement et de surpassement c’est à dire toute forme de progrès intellectuel et matériel, culturel et spirituel. Il est totalement imprégné de l’égalitarisme de la révolution française et ne conçoit pas que quelqu’un puisse légitimement être plus riche, ou peut être tout simplement plus intelligent ou plus actif, comme d’autres peuvent être meilleurs musiciens ou mieux jouer au football ! Pire encore, son individualisme forcené lorsqu’il s’agit de ses droits, se transforme en une hargne désespérée lorsqu’il exige que les autres, par le biais de l’Etat, payent pour les lui garantir.

 

La distinction traditionnelle entre le paysan, l’ouvrier, l’artisan, l’entrepreneur, le fonctionnaire, bref, entre le peuple, le bourgeois et l’aristocrate s’est effacée avec le progrès égalisateur des techniques et la généralisation des systèmes de protection sociale de sorte qu’on se trouve maintenant devant une immense masse moyenne où chacun vit à peu près confortablement. Et lorsque ses ambitions de consommation ou ses besoins de sécurité dépassent ses moyens limités, notre homme fait appel à l’Etat ou à son assureur et mieux encore, à l’Etat assureur. Il conserve une peur diffuse de revenir à l’état de ses parents sans qu’il ait néanmoins conservé une idée très précise de ce que ces derniers avaient dû endurer ni comment ils avaient pu faire face à l’adversité. Notre moderne ménagère urbaine (la « ménagère de moins de 50 ans » selon la définition des hommes de marketing) s’étonne de trouver si chers les fraises, le raisin ou les cerises du mois de Janvier et ses enfants ont perdu la notion que derrière l’usine et la boîte en carton, il y avait la vache pour produire le lait ! elle se plaint de ne plus pouvoir payer ses produits « bio » parce que les traites de l’écran plat et du dernier gadget électronique qu’elle vient d’acheter pour ses enfants, ne lui laissent plus rien ! Elle raffole du « festif et du consensuel » dont la Mairie de Paris, très « in » depuis 2001, lui fournit le cadre avec ses « fêtes » multiples de la musique, du printemps, du voisinage, des homosexuels, du pain, de la femme, des fleurs, des jardins…. organisées dans des « espaces civilisés », c’est très chic et follement gai, son Paris-Plage « social » et la « Nuit blanche » où les bobos s’efforcent d’entraîner le commun dans un même élan « citoyen, fraternel, social, festif et naturellement compassionnel » comme autrefois on organisait les fêtes de charité dans les paroisses. La bourgeoise moderne « de gauche », est en effet, l’héritière directe de la dame de bonnes œuvres si ringarde du passé. On en trouve d’ailleurs les modèles plus ou moins idéologiquement agressifs ou naturellement bons, parmi les femmes les plus en vue de tous les partis avec une particulière densité, il faut l’avouer, au sein du Parti Socialiste qui reste à cet égard, le premier parti de France !

La société petite bourgeoise aseptisée et uniformisée couvre l’Occident tout entier et se répand dans les pays en développement où émerge une classe moyenne mais le cas français présente comme toujours, une plus grande originalité que l’anglo-saxon, l’allemand, le japonais ou le coréen : le français en effet, pousse à l’extrême son côté individualiste, égalitariste, critique et râleur au point d’empoisonner la vie publique de son pays et d’obliger la France à muter de happening en happening, parfois révolutionnaire. C’est Cuvier contre Darwin ! L’élite et le peuple gaulois ne se sont jamais rassemblés qu’en cas de guerre étrangère pour la gagner… ou la perdre quand ils ont réagi trop tard.

 

Vox populi, vox Dei ! sujet très Sciences Po que l’on conclut généralement en affirmant que la démocratie est la moins mauvaise des formes de gouvernement. Certes, mais la démocratie n’implique pas nécessairement qu’il faille suivre le peuple ou les sondages et encore moins la rue ou les manifestations d’intérêts catégoriels. La France ne s’est pas trouvée mal que De Gaulle n’ait pas suivi le peuple et ses élites, en 1940 puis en 1958. A ces moments cruciaux de notre histoire, et malgré les récriminations et admonestations de quelques belles âmes intéressées ou plus soucieuses de la forme que du fond, le peuple a fini par suivre le bon sens et le courage dans lesquels la forme et le fond se sont enfin réconciliés. De l’autre côté du spectre politique, une édition du journal Le Monde du mois de Mai 2006, à l’occasion de l’anniversaire du Front Populaire de 1936, faisait le point sur la mythologie qui en est née en s’appuyant sur les écrits de quelques historiens ou penseurs. L’un d’eux, Antoine Prost, situe bien le problème en considérant que « le travail, valeur fondatrice du mouvement ouvrier français, référence éthique qui justifiait son combat et structurait son identité, est devenu un emploi, une place qui garantit un salaire et permet l’accès aux loisirs » et il conclut : « comme la question ouvrière, la classe ouvrière et l’histoire ouvrière, le travail a perdu sa centralité ». On ne saurait mieux décrire l’évolution qui, d’un vrai combat pour le progrès social et la reconnaissance du travail, a amené le Front Populaire à dépenser son énergie dans des discours sur l’anti-fascisme et la guerre d’Espagne au lieu de faire une politique économique forte et de réarmer le pays face à l’Allemagne nazie, qui étaient alors les vraies priorités. La même difficulté à identifier les priorités et le même romantisme social voire révolutionnaire ont survécu à la défaite et à la Libération et ont imprégné les esprits de gauche à tel point qu’ils ont persévéré dans l’erreur dans leurs tentatives de Mai 1968 et resservi les mêmes plats bien affadis lors des « grandes manifs » de 1986, 1995 et 2006 comme si la classe ouvrière restait l’aile marchante du prolétariat et si le communisme ne s’était pas effondré ! La gauche française ne s’est toujours pas rendu compte de l’avènement de la société petite bourgeoise, société sans classe bien sûr mais d’une nature bien différente de celle qu’elle fantasmait. Avec cette nouvelle classe dominante, on n’en est plus à la révolution ni à la sacralisation de la valeur travail mais au conservatisme « pépère » et au travail considéré comme une source de revenu parmi d’autres. Cela n’emporte évidemment pas, la même dynamique de progrès et n’induit pas le même enthousiasme.

Le Monde avait d’ailleurs curieusement intitulé son dossier « Invention d’une mémoire » : mauvais titre parce que le qualificatif d’invention dévalorise une lutte tout à fait justifiée à l’époque et parce que le peuple français n’a pas besoin de « mémoires » passagères aussi utopiques soient-elles, ayant déjà construit sa mémoire depuis les Mérovingiens.

 

Enrichi et sécurisé, ayant perdu la notion des saisons et mis en cocon dans sa ville avec tous ses avantages économiques et sociaux, notre urbain protégé a perdu le sens du combat en même temps qu’il en perdait l’envie mais il a gardé ses gènes gaulois. Au lieu de faire face lui même, il confie alors à ses « bêta bloquants » habituels, c’est à dire aux syndicats conservateurs, aux associations de défense des droits de l’homme, défense des petits porteurs d’actions ou autres brimés de la société sans oublier les groupuscules anarcho-gauchistes, alternatifs, communistes révolutionnaires ou écolo-intégristes, le soin de signifier à l’Etat de ne rien changer à ses droits acquis, surtout s’il fait partie d’une minorité sexuelle, ethnique, religieuse ou tout simplement économique ou sociale. Il est vrai qu’il devient difficile d’inventer de nouveaux droits qui ne seraient pas des gadgets, c’est sans doute pourquoi la revendication est maintenant devenue plus conservatrice que créatrice de droits. La majorité des syndicats traditionnels en effet, comme Force Ouvrière, CGT, FSU et autres syndicats d’enseignants, plus récemment SUD, sont devenus des organisations de défense corporatiste qui ne représentent qu’une part infime du monde du travail dont quelques % seulement sont syndiqués, presque tous provenant du secteur public ou para-public. A la manière des jouets mécaniques, leurs mouvements sont réglés par l’engrenage d’une obsession qui vire à la paranoïa, pour la défense d’un « service public » que personne n’attaque mais que tout le monde voudrait voir plus efficace et moins coûteux. Ils sont de fait, devenus les défenseurs auto-proclamés d’un secteur déjà ultra-protégé qu’ils co-gèrent avec l’Etat, celui-ci ayant depuis longtemps abandonné ses responsabilités et laissé son autorité dépérir. Ils contribuent donc, un peu honteusement mais très efficacement, à creuser l’écart de protection avec le secteur exposé dont la clientèle leur échappe. Ainsi survivent-ils au détriment de cette dernière. En réalité, plongés dans leurs querelles internes avec leurs courants ou minorités trotskiste, stalinienne, maoïste ou anarchiste, ils défendent leurs permanents et leur intérêt étroitement institutionnel, c’est à dire leur existence en tant qu’organisation, beaucoup plus que les intérêts de leurs adhérents sans parler de ceux des travailleurs qu’ils prétendent représenter. Mais ils contrôlent quelques secteurs stratégiques, transport, énergie, fonction publique notamment, qui les rendent incontournables jusqu’à ce qu’un jour la loi sur la représentativité syndicale soit enfin changée pour tenir compte de l’évolution du monde. Ils n’ont pratiquement aucune représentativité parmi les travailleurs des entreprises c’est à dire ceux qui produisent la richesse du pays, où seule la CFDT a acquis depuis une quinzaine d’années, une certaine crédibilité grâce à une vision non-imbécile des rapports de l’économique et du social. Espérons que les autres syndicats, unions, fédérations et confédérations surmontent bien vite leur peur panique du changement et s’ouvrent aux réalités du monde, laissant à leurs minorités agissantes et aux quelques groupuscules réactionnaires ou révolutionnaires, la conservation d’un monde révolu et l’idée du « grand soir ». Allons, encore un effort, et la CGT, FO, SUD et les syndicats enseignants y arriveront bien un jour ! Les négociations en cours et les accords en vue entre le patronat et les syndicats « ouvriers » sont peut être un signe positif à cet égard : attendons cependant que l’année 2008 nous apporte confirmation de ces bonnes dispositions des uns et des autres !

Le parti socialiste quant à lui, devenu pourtant un raisonnable parti de gouvernement, joue à cet égard un jeu particulièrement trouble et contradictoire. Il en rajoute lorsqu’il n’est plus au pouvoir et lance ses organisations relais, SOS-Racisme, UNEF, « syndicats » lycéens (pourquoi d’ailleurs s’arrêter aux lycéens et ne pas mobiliser aussi les poupons des crèches et des maternelles ?) et organisations variées de défense des droits de ceci ou cela, … pour brouiller les cartes et le reconquérir. Lorsqu’il a de nouveau le pouvoir, il déclare la bataille terminée, il distribue les places, embourgeoisant du mieux qu’il peut les anciens trotskistes des organisations qui l’ont aidé et souffle tranquillement dans le sens du vent avec par exemple, les 35 heures et le généreux mythe du partage malthusien du travail, le salaire étudiant voire le salaire jeune pour tous, la multiplication d’allocations diverses dans le sens d’une protection universelle renforcée et des nouveaux droits qu’il faut bien inventer pour plaire au peuple. Des devoirs en échange, on n’en parle pas, ce ne serait pas correct ! La seule limite qu’il connaisse, est celle des possibilités budgétaires qui se résolvent soit par des augmentations d’impôts ou de cotisations, soit par des ventes d’entreprises publiques puisqu’on ne peut plus faire marcher la planche à billets ni dévaluer la monnaie. Il n’est plus révolutionnaire, il est devenu gestionnaire mais il n’est pas encore « actionnaire ». Il a beaucoup de chemin à faire, espérons qu’il ne persévère pas dans l’erreur économique à force de vouloir faire le bien de tous ! Le journal Le Monde, à l’occasion lucide, se rattrape dans un article d’Eric Le Boucher du 7-8 Janvier 2007 qui tout en reprochant à Jacques Chirac, une trop grande propension à « multiplier les droits à… ceci ou cela », s’inspire du rapport Jouyet-Lévy sur « l’économie de l’immatériel » récemment remis au ministre des finances, pour affirmer : « nous devons nous débarrasser du réflexe qui consiste à favoriser les situations acquises, la France se perd à vouloir protéger, accorder des droits à …, des avantages, des aides, elle doit faire siens les mots innovation, incitation, changement, ouverture, bref mettre enfin le pays dans le mouvement rapide de la mondialisation » et il ajoute : « comme dirait Chirac ». On aimerait lire plus souvent de tels articles dans Le Monde qui précise encore que J.P. Jouyet (inspecteur des finances) est également conseiller de la candidate socialiste à l’élection présidentielle. On pouvait toujours espérer qu’elle lise le rapport en question … et qui sait ! qu’elle le comprenne et en convainque « le Parti » mais, six mois plus tard, J.P. Jouyet a renoncé à cette entreprise désespérée et a rejoint les équipes du nouveau Président où ses idées sont apparemment mieux comprises. 

 

N’ayant pas une très grande culture économique ou, enflammé par la rhétorique de justice sociale de ses porte-parole, notre petit bourgeois en perd la moitié du bon sens dont il est souvent crédité et oublie en effet, que ces droits se payent, qu’on ne peut les payer que si l’économie marche bien mais que celle-ci évoluant dans un contexte mouvant, va devoir faire face à des évolutions et à des changements de plus en plus rapides dans l’organisation des facteurs de production et d’abord, le travail et le capital . Récemment encore, un chef d’entreprise essayait d’expliquer sur les ondes de France Inter que s’il n’avait plus de commandes parce que ses prix étaient devenus trop élevés ou que la conjoncture s’assombrissait soudainement, il ne pourrait plus embaucher et devrait peut être débaucher après avoir réduit au mieux ses coûts hors salaires et satisfait à toutes les conditions que prévoit le code du travail. Jusque là le commentateur journaliste et le public comprenaient en reprochant toutefois, à « l’entrepreneur qui est riche » de licencier des salariés qui sont pauvres ! Le chef d’entreprise continue en expliquant que si les commandes reviennent, il va évidemment penser à embaucher mais qu’il va hésiter parce que la réglementation du travail est très contraignante et qu’il ne pourra pas facilement se séparer de son nouvel employé s’il n’est pas bon ou si le marché se retourne à nouveau ; il ajoute que ses hésitations disparaîtraient si la réglementation lui permettait de se séparer plus facilement et plus vite, du nouvel employé en cas de nécessité : aussitôt le journaliste et le public parlent d’atteinte au Code du Travail, de précarité généralisée et finissent par admettre qu’ils préfèrent une solide protection avec des « allocations de chômage ou des minimums d’insertion plutôt qu’un emploi dans de telles conditions » ; ils parlent même d’interdire les licenciements jusqu’à ce que l’entreprise ne puisse plus payer quitte à ce qu’elle fasse faillite et mette tout le monde au chômage ! Une autre solution serait pour l’entrepreneur, de changer de stratégie et fabriquer d’autres produits éventuellement mieux adaptés à la demande mais là aussi, il va se heurter à la rigidité syndicale et au refus du changement car le personnel va devoir se former, changer de métier, changer éventuellement de lieu de travail, etc…Il pourrait aussi délocaliser sa production dans des pays qui ont mieux compris que l’économie est faite de travail mais aussi de capital et que les deux doivent être rentables . Là, c’est l’horreur ! Bref, que meure l’entreprise et que meure l’emploi plutôt que d’accepter de prendre le moindre risque, de changer les habitudes ou d’adapter la réglementation qui bloque. De toute façon, « les riches peuvent payer et quand ils ne pourront plus, l’Etat y pourvoira » !

Autre exemple de rigidité : combattant une mesure gouvernementale du printemps 2006 qui prolongeait jusqu’à deux ans la période d’essai des jeunes nouvellement recrutés pour lever les hésitations à l’embauche des petites et moyennes entreprises, les manifestants ont placardé dans les rues de Paris, une affiche proclamant : « 2 ans sans l’ouvrir ! ». Interprétant le souci ainsi exprimé par ces jeunes à la recherche d’un emploi, on peut se demander s’il est vraiment anormal et intolérable de faire ce que vous demande votre patron et pour quoi il vous paye, sans nécessairement devoir discutailler sur le travail demandé ou avoir le droit de le chicaner ou le traiter d’exploiteur !? Peut être préfèrent-ils « 2 ans sans travail » ? Le scandaleux de cette attitude, est que les jeunes en question ont apparemment le choix, soit « l’ouvrir et ne pas travailler » soit « accepter un travail sans l’ouvrir » : des millions voire des milliards de jeunes des pays en développement aimeraient avoir ce choix ! Attention ! ils risquent de courir bientôt plus vite que nos enfants de riches si ces derniers et leurs parents ne comprennent pas très vite les changements du monde actuel. Le principe de protection à 100 % , zéro risque et parcours sécurisé, est maintenant considéré comme un droit tandis que le modèle du « fonctionnaire tranquille, inamovible et à progression salariale garantie quels que soient ses mérites ou son efficacité » devient l’objectif de nos jeunes et de leurs parents. Or ceci nous arrive au moment précis où la guerre économique mondiale nous force à réagir de plus en plus vite pour ne pas nous laisser déborder par d’autres peuples qui, eux, doivent d’abord survivre et envahiront très vite l’espace vide qu’on leur laissera par notre laisser aller ou notre négligence.

On atteint là, le degré zéro de l’intelligence et du bon sens : « voilà pourquoi j’ai cessé d’admirer la France » proclame Denis Mac Shane, ancien ministre travailliste des Affaires Européennes et francophile, devant le blocage mental « d’une poignée d’étudiants manipulés et d’un quarteron de syndicats non représentatifs » et le « recul d’une droite indécise devant les réformes nécessaires ». Rassurons-le cependant, la maladie n’est pas seulement française, elle est partout où règne le petit bourgeois protégé mais non éclairé et si la France se trouve effectivement dans la partie basse d’un cycle socio-politico-psychologique analogue à celui de l’Angleterre des années 70-80, il semble que depuis quelques années, cette dernière soit en fin de cycle haut après ses brillantes années 90.

 

On peut accélérer ou ralentir les cycles par des politiques et des comportements plus ou moins adaptés mais on ne peut pas arrêter l’évolution. Bloquer le changement revient donc à bloquer le progrès des droits et à les voir progressivement faire faillite avec les entreprises auxquelles ils sont indissolublement attachés, face à la compétition des autres, développés, émergents ou sous-développés. C’est simple mais nos syndicalistes conservateurs et nos défenseurs des droits divers veulent conserver la clientèle qui ne les a pas encore laissé tomber et la trompent sans vergogne pour continuer d’exister au lieu d’assurer « l’éducation des masses » ou ce qui serait mieux, l’information et la responsabilisation de leurs clients. L’exploitation du conflit social devient ainsi pour les partis et organisations syndicales ou associatives nourries d’une culture marxisante, la condition de leur survie même si elle s’avère incapable de leur offrir un quelconque avenir. Il est vrai qu’il subsiste encore et qu’on entretient délibérément dans l’esprit de beaucoup et surtout chez ceux du secteur public, une grande confusion entre les notions de client et d’usager (beaucoup pensent encore « administré » voire « assujetti » !), entre service public industriel et commercial et service public administratif, entre intérêt général et intérêt du service public et enfin, entre intérêt du service public et intérêt des employés du service voire plus fort encore, entre intérêt des employés du service et intérêt des organisations qui prétendent les représenter. On le voit par exemple, à l’occasion des manifestations des syndicalistes du secteur public par procuration desquels le petit bourgeois exprime son mal de vivre sans trop se déranger et en fait, sans rapport avec l’objet de la manif ! Une certaine masse de manœuvre étudiante aussi, est exemplaire à cet égard, égarée qu’elle est par quelques associations de défenseurs des « droits divers » et trop souvent, par quelques uns de ses professeurs ou maîtres à penser trop politisés et soutenus eux aussi, par leurs syndicats ou groupuscules de défense corporatiste. Une évolution intéressante est néanmoins l’apparition des organisations qui se prétendent a-politiques mais anti-racistes, de défense des droits de l’homme, des étudiants, des femmes, des homosexuels, des immigrés, etc… : c’est bien le meilleur défouloir du petit bourgeois qui s’agite, retrouve sa bonne conscience « dans la lutte » car le vocabulaire de gauche subsiste, et « réclame que tout bouge … afin que rien ne change » selon la phrase célèbre de Lampedusa. Non ! il n’y a que deux possibilités : ou bien on fait la révolution et c’est en général très pénible pour tous, ou bien on s’attache à résoudre les problèmes dans toute leur complexité et ce ne sont pas des criailleries hors du temps et du sujet qui y mèneront.

 

« Chacun en effet, veut cuire sa petite soupe, sur son petit feu dans son petit coin ». Cette vieille formule était malheureusement prémonitoire et si elle était censée stigmatiser l’attitude de trop de français dans les années 50 et 60, on n’imaginait pas qu’elle devienne la règle dans les sociétés urbaines civilisées cinquante ans plus tard. On est loin des grandes empoignades romantiques et des crimes contre l’esprit des idéologues de la première moitié du 20è siècle où l’on voulait faire le bonheur des gens malgré eux, à une époque où on prétendait savoir où et comment on fabriquait le bonheur ! Cela s’est traduit par les catastrophes humaines que l’on sait et qui nous font maintenant préférer notre statut de petit bourgeois sécurisé ! Mais attention, il ne s’agissait alors que de guerre idéologique et matérielle entre quelques nations européennes ! On passe maintenant à une autre échelle car il s’agit tout simplement d’une compétition mondiale où ces nations européennes en y incluant la Russie et les Etats Unis, ne représentent plus qu’une fraction sans cesse décroissante de la population mondiale (on en arrive à 15 % contre 30 il y a seulement 40 ans !) : il y aura probablement 8 milliards d’individus en 2025 dont la moitié sera plongée dans la pauvreté ou la pénurie et le quart connaîtra la faim de façon habituelle ou récurrente, alors que ni les élites dirigeantes des pays concernés ni les organisations d’aide au développement, n’ont été capables de faire face au problème. Il serait donc suicidaire pour tous, de continuer à penser selon des schémas et des idéologies inadaptés ou de continuer de se tromper de stratégie et de mal gérer le développement.

 
 
 

Le « germanopratinisme » corrigé Mai 68 et revu par l’humanitarisme … « ils n’en mouraient pas tous mais tous étaient atteints ! »

 

C’est une maladie de l’esprit dont le foyer a été localisé sur la rive gauche parisienne, très contagieuse puisqu’elle s’étend maintenant à l’Europe et reste très difficile à traiter. Elle bloque les « intellectuels » sur un discours politiquement correct et les oblige à prendre des postures dont chacun sait pertinemment (et eux les premiers) qu’elles sont hors du sens commun et des réalités.

Parmi les effets pervers de cette maladie, le plus nocif pour notre petit bourgeois est à coup sûr, le suivant : on lui dit et il finit par le croire, qu’il a des droits, pas vraiment de devoirs et qu’il n’est responsable de rien parce qu’il vit dans une société qui le corrompt ou qui du moins, ne lui donne pas assez de moyens matériels ni intellectuels pour s’épanouir et faire face à ses graves problèmes ! Socrate n’avait rien compris mais, fort heureusement, nos intellectuels rectifient l’erreur en ayant la rhétorique plus spontanée et plus lyrique sur les droits que sur les devoirs… c’est évidemment, plus gai et plus moderne. Cela vaut pour le jeune voyou du centre-ville comme pour celui de banlieue, pour le fonctionnaire qu’il soit « haut » ou de base, pour l’agriculteur et l’ouvrier comme pour le cadre petit, moyen ou grand. Chacun écoute et ânonne les discours irresponsables des politiques et des permanents syndicaux ou associatifs qui, tous, ont failli à leur devoir d’éducation populaire. En haut du palmarès, il faut bien placer les belles âmes de gauche depuis que certains professeurs de droit bien pensants et emmenés à partir des années 60, par un futur ministre de la justice devenu grande conscience de la gauche, se sont mis à nier la moitié de la réalité et à enseigner que les criminels et les voyous étaient excusables au motif que la société n’aurait pas fait pour eux ce qu’il eût fallu (devant les résultats obtenus, ils semblent modérer maintenant leurs élans compassionnels !). Depuis que nos philosophes de Normale se sont évertués à déformer le sens commun et perdre la pensée dans des discours abscons pour justifier les élucubrations de Mai 68. Depuis le temps aussi où de célèbres pédagogues affirment qu’il faut laisser les enfants choisir et décider seuls pour qu’ils s’épanouissent comme cent fleurs et ne rien leur imposer pour éviter d’interrompre leur « auto-construction ». Depuis que les étudiants et les lycéens ont reçu le droit de contester ce qu’on devrait leur enseigner et de réclamer que l’Etat et leurs parents les entretiennent aussi longtemps et aussi confortablement qu’il le faudra. Depuis enfin, qu’un candidat Président en campagne, affichait l’image ringarde d’un clocher de village aux allures très « retour à la terre », pour anesthésier les électeurs et leur signifier qu’il veillerait sur eux et que l’Etat y pourvoirait, etc… 

 

Bref, la gauche est « bonne » et elle ne saurait se tromper ou du moins en est-elle excusable du seul fait qu’elle veut faire le bonheur des gens, éventuellement malgré eux si elle est socialiste voire même contre eux si elle est communiste … et ceci sans vulgaire considération ni remords pour les effets désastreux que sa politique peut avoir sur l’économie et la vie des gens voire sur le sort de populations entières.

La droite en effet, est moins bonne. Elle ne sait pas aussi bien faire rêver ni mentir aussi effrontément, bref elle est moins « in » ou moins « moderne » selon les valeurs de la société actuelle qui mettent très haut l’habileté politique (la tromperie ?), le marketing et le sens du vent ! D’où les alternances au pouvoir quand le peuple voit bien que les menteries des uns n’aboutissent pas mieux que la peur des autres de ne pas être dans le politiquement correct ! Dans ce domaine aussi, on sent confusément qu’il vaut mieux rester dans la médiocrité actuelle. C’est, il est vrai, moins risqué que de prêter l’oreille aux affirmations d’une idéologie fausse et dangereuse comme l’a fait notre belle intelligentsia d’après guerre. Elle qui a suivi sans broncher les maîtres à penser ou compagnons de route de la révolution communiste avant que la génération suivante de « penseurs » ne tente un ravalement désespéré du marxisme pour finir par s’interroger gravement dans le très convenable Nouvel Observateur des années 73-76, sur « la nécessité des avant-gardes » (Marcuse) puis sur « la nécessité de la révolution » elle même (Foucault, le même qui se félicitait quelques années plus tard de l’avènement de la « révolution islamique » en Iran, quel visionnaire !). Nos intellectuels de 68 se précipitèrent en effet, partout ou il ne fallait pas, admirant par exemple le despotisme éclairé de Mao ou de Castro comme ceux d’avant guerre se précipitèrent chez Staline, quelques uns comme Sartre sans parler d’Aragon, encore plus constants dans l’erreur, continuant de le faire après guerre. Il valait mieux, bien sûr, être du côté de Camus, Malraux et Aron que penser faux avec Sartre et la camarilla des intellectuels germano-pratins qui revendiquaient alors le droit de mentir au peuple pour son bien futur, les mêmes qui s’enorgueillirent ensuite sans pudeur, de leur aveuglement comme d’un progrès de la pensée du monde parce que leurs utopies étaient pures et généreuses…. peu importaient les crimes commis en leur nom !

 

Etre intellectuel en effet, ne signifie pas forcément être intelligent ! Il a fallu le « grand bond en avant », la révolution culturelle et la faillite du soviétisme avec leurs cortèges de tueries et de catastrophes écologiques pour que s’ouvrent les yeux des moins idéologiquement abrutis de nos intellectuels. Camus après la parution de « L’homme révolté » et face à la querelle sur le communisme, la révolution et la vérité que lui faisaient Sartre et la revue les Temps Modernes, leur répondait simplement : « il y a du repentir en effet, dans le cas de ces intellectuels bourgeois qui veulent expier leurs origines, fût-ce au prix de la contradiction et d’une violence faite à leur intelligence ». L’ère « Mitterand » a permis d’assurer la transition entre les révolutionnaires « un tiers mondistes/deux tiers mondains » qui péroraient dans les salons plus qu’ils n’agissaient sur le terrain et la nouvelle race des humanistes voyageurs qui se voulant « humanitariens », papillonnent au milieu des misères du monde. 

Au point que quelques « modernistes de gauche » en arrivent à recommander comme des nouveautés, les bonnes vieilles valeurs dites droitières de discipline, de responsabilité et d’initiative individuelles . Nos « nouveaux penseurs » ont abandonné « la » révolution pour un évolutionnisme fort bien pensant tandis que nos grands « humanitaires » répandent leurs bons sentiments et leur généreuse parole sur tous les continents. C’est l’ère des vulgarisateurs : l’un, entre deux manifestations anti-racistes, va bavarder avec Massoud pour régler le problème afghan après avoir sauvé la Bosnie puis va faire une savante étude tocquevillienne qui ne nous apprend rien de plus sur l’Amérique avant de sauter dans un avion pour sauver le Darfour ; l’autre après avoir abandonné quelques sacs de riz sur les côtes de Somalie pour régler des conflits tribaux séculaires et approuvé l’intervention américaine en Irak parce que Saddam Hussein était un vilain monsieur, prétend faire de la politique étrangère à grands coups d’indignations bien-pensantes au lieu de donner sa vraie mesure comme un grand médecin des pauvres ; un autre qui se voulait « compagnon du Che », devient presque gaulliste en prenant de l’âge ; un encore dont on ne sait pas très bien s’il est social-libéral ou libéral-social depuis qu’il avait contribué à un fameux rapport sur l’évolution de la société du temps de Valéry Giscard d’Estaing, est devenu l’oracle de l’économie nouvelle et écrit un bouquin dès qu’une idée qui pourrait faire des lecteurs, volète dans l’air ; tout récemment enfin, la mode faisant évoluer la pensée, un dernier s’est mué grâce à ses compétences télévisuelles, en prophète de l’écologie et du sauvetage de la planète, etc… Il y en a beaucoup d’autres et pas seulement en France, qu’on oublie bien volontiers de citer car ce ne sont pas eux qui prennent les responsabilités politiques ni pratiques de leurs discours… Tout cela est bien inconsistant encore que pour certains, les derniers relents de leurs émotions anarcho-révolutionnaires de 68 soient toujours très pesants mais cet intellectualisme léger doit correspondre à l’esprit de nos sociétés riches qui s’ennuient et qui parfois, perdent leurs repères dans des dérives … Rote Armee Fraktion, Brigata Rossa, Action Directe, etc… dont certains tentent encore d’excuser les crimes !

A voir le côté bibliothèque rose ou bande dessinée de la production présente de nos intellectuels qui sont pourtant les héritiers directs des homériques combattants idéologiques du siècle passé, on aurait sans doute pu éviter en France et dans les démocraties, que des générations de jeunes gens, perdent autant d’énergie dans des discussions absolument stériles, et dans le reste du monde, que des dizaines de millions d’hommes se massacrent avec autant de bonne conscience au nom de lubies idéologiques ruineuses et meurtrières.

 

Un autre effet de la « médiocrisation » de nos sociétés est d’engendrer par nature et comme une sorte d’anti-corps, un besoin d’originalité, de marginalité voire d’ « a-normalité », sans quoi la vie ne serait plus tenable. En chacun naît maintenant un artiste, un poète, un écrivain. Les comportements se singularisent et on veut absolument se démarquer des autres mortels. On sacralise donc l’original, le marginal, l’atypique comme si chacun avait vocation au génie. Tout est art, déclarait le tourbillonnant ministre de la culture de François Mitterand. D’où la floraison de ces fêtes, de ces associations qui promeuvent l’a-normal et le discriminent si positivement que le normal devient tout à coup condamnable, ringard et « réac ». C’est très chic et tendance. Et pourtant, le progrès et le développement se font par la mise en œuvre de normes, … normes pour lesquelles savent si bien « lutter » nos syndicalistes et autres bien-pensants sociaux en refusant tout changement. Paradoxalement, les mêmes se dépensent sans compter pour faire prévaloir les droits de l’a-normalité et de la marginalité culturelles, sociales ou économiques mais l’a-normalité tant encensée et revendiquée, n’est probablement pas suffisamment authentique pour engendrer le génie. Il y a en effet, beaucoup d’a-normaux à la mode mais toujours aussi peu de génies au travail ! Il y a là comme une contradiction de plus de l’esprit petit bourgeois qui veut tout et envie tout sans rien vouloir risquer. La folie peut être créatrice mais probablement pas la marginalité réduite aux acquêts sociaux.

 
 

La bien-pensance et l’intolérance

 

Il y a dans la floraison des droits de notre nouvel homme, une dérive potentiellement dangereuse même si elle est plus sournoise que celle des idéologies totalitaires. Il est effectivement nécessaire en échange de tous ces droits, de réglementer les nombreuses activités du petit bourgeois en raison de leur diversification et de leur sophistication croissantes dans le loisir, le ludique et « la com » par exemple. Il ne pourra en effet, les exercer pleinement que si la masse des autres ne l’en empêche pas, par trop de désordre, d’égoïsme et d’abus de droits. Il faut donc mettre de l’ordre et réglementer mais cela lui déplait, il râle et il manifeste (le petit bourgeois aime les « manifs » et comme la grève, il les fait par procuration devant sa télévision en comptant les points pour ou contre le gouvernement ou les syndicats !). Il finit par obéir si l’autorité tient bon ce qu’elle fait trop rarement mais il en garde alors, une certaine amertume et commence à se croire brimé … L’idée émerge alors dans son esprit de voter à la prochaine occasion, pour une majorité et un gouvernement qui comprennent mieux ses petits problèmes et qui en tout cas, compatissent comme il faut à ses malheurs voire à ceux dont il souffre pour les autres, bref un gouvernement qu’il juge « plus proche de lui ». Nous sommes dans l’ère de la compassion et un homme politique « durable » doit savoir compatir !

En attendant, notre homme taille ses haies comme la mairie lui dit de le faire, il met ses poubelles et trie ses ordures comme il est prescrit, il construit dans le « style de la région » même si cette copie est désastreuse, il doit respecter les vitesses même sur route droite, large et dégagée, il doit tourner autour de plus en plus de ronds points et les feux rouges se multiplient pour lui éviter de cabosser sa belle voiture, il n’achète plus que des produits calibrés sans goût ni saveur mais certifiés et labellisés, il ne fume plus que dans la rue au risque de prendre bientôt une contravention s’il jette son mégot à terre,… mais peu importe, il est assuré pour tout ou presque, même sur la vie et sur la mort ! Le champ de son initiative se restreint donc de plus en plus et il apprend, démocratiquement et socialement correctement, à « suivre la ligne » comme bientôt on conduira les voitures à guidage automatique.

 

Le petit bourgeois est donc protégé, guidé, encadré mais frustré. Il consomme beaucoup de conseil psychologique (dès qu’il est témoin du moindre événement, il a droit à une « cellule psy »), de psychanalyse, de calmants, d’arrêts de travail pour incommodité, etc… Il accepte cependant, la vie urbaine avec ses avantages et ses contraintes. Il se raisonne et se dit qu’il est et doit être content de son sort car, à tout prendre, il a moins peur dans son cocon que s’il se trouvait à l’air libre dans le vaste monde. Mais dès qu’on excite son inquiétude (il y a des spécialistes), des problèmes gigantesques l’assaillent et il se trouve soudainement très malheureux. Il rejoint bientôt les autres qui souffrent du même mal (autrefois on parlait de spleen poétique, de désespérance romantique ou d’ennui proustien) et tous ensemble, se défoulent alors dans une quelconque manifestation contre quelque chose (jamais pour, toujours contre !) puis ils retournent dans leur cocon.

Les « saltimbanques » eux mêmes veulent être protégés : les artistes et les intellectuels revendiquaient autrefois, la création et le renouveau voire la révolution au sein de la société, ils étaient l’avant-garde et s’ils n’étaient rien, ils retournaient à leur incognito ; aujourd’hui, ils revendiquent un statut qui leur permettra, aux frais de ceux qui ont du talent, de continuer à croire qu’ils en ont aussi …. ils deviennent des fonctionnaires intermittents de l’art, de la culture, on n’ose pas dire de la création ! 

 

Une autre caractéristique du petit bourgeois est de ne se sentir à l’aise que dans la mouvance d’une bien-pensance générale véhiculée par les media et les « grands vulgarisateurs », ceux qui, dès qu’une idée papillonne dans l’air, se précipitent pour en faire un livre, passer à la télévision, faire un article, etc… Parmi les inepties à la mode dont il raffole, on peut encore citer son irrépressible besoin d’écouter ses dirigeants faire repentance pour tout ce qui peut heurter la sensibilité présente de tel ou tel sans naturellement, qu’on prenne la peine de replacer l’événement dans son cadre historique. Ainsi devrait-on exiger des grecs qu’ils demandent pardon pour les conquêtes « colonialistes » d’Alexandre et exiger des Arabes de la Jazira qu’ils se repentent d’avoir islamisé et arabisé toutes les populations du Proche Orient et du nord de l’Afrique qui ne demandaient qu’à rester elles mêmes, ayant déjà développé une civilisation qui était à l’époque, très supérieure à celle des nouveaux conquérants. Pourquoi ne pas demander aux tribus et royaumes africains qu’ils s’excusent d’avoir vendu leurs frères noirs aux marchands arabes qui en ont fait le commerce pendant des siècles entre Zanzibar, l’Arabie, le Yémen, la Turquie, le Soudan, l’Egypte, la Mauritanie ou le Maroc, puis aux européens qui, maîtrisant mieux les techniques de transport, pouvaient les amener jusqu’en Amérique ?

 

De la repentance, on passe progressivement à l’interdiction.  Il faut certainement, calmer les plus excités de nos concitoyens par des textes de loi qui interdisent par exemple, de dire ou faire ceci ou cela en raison « de la race, de la religion, du sexe, etc… » selon la formule des articles fondamentaux des différentes Déclarations des Droits de l’Homme. Mais ce faisant, il devient pratiquement impossible d’exercer son droit naturel de critique à l’égard d’un juif, d’un musulman, d’un noir, d’un arabe, d’un « jeune », d’un homosexuel, voire d’une femme ou tout simplement d’un étranger (sauf peut être s’il est blanc) sans que l’accusation de « racisme » ne soit brandie comme arme ultime. La justice peut donc vous punir d’avoir émis une opinion ou tout simplement critiqué quelqu’un qui se sera vexé et vous aura assigné avec la complicité des professionnels de l’anti-ceci ou de l’anti-cela.

On en arrive à vouloir réguler la pensée, l’expression et l’action par une série de lois et règlements anti-quelque chose : anti-raciste et bientôt anti-anti-homo, anti-anti féministe…. et maintenant, les fondamentalistes islamistes réclament des lois interdisant de dire autre chose que ce que proclame la chari’a ! Comme le rappelait André Glücksman dans un article du Monde à propos du parallélisme fait entre la négation des chambres à gaz de la Shoah et la publication des caricatures sur Mahomet publiées par un journal danois qui avaient profondément choqué les musulmans et engendré des menaces islamistes, il ne faut pas confondre faits et croyances . En effet, les pensées non totalitaires tiennent les faits pour ce qu’ils sont alors que les pensées totalitaires ne les reconnaissent que dans la mesure où ils ne vont pas contre leur croyance ou leur idéologie. Il faut en conséquence éviter la dérive « de laisser une quelconque religion ou idéologie décider ce que le citoyen est en droit de dire ou de penser, il n’en va pas seulement de la liberté de la presse mais de la permission de nommer un chat un chat et une chambre à gaz un fait abominable quelles que soient nos croyances et nos fois ». Il est en effet, difficile et même fou de nier un fait mais on doit rester libre de pouvoir critiquer une croyance ou une idéologie et à l’inverse, de la louer ou de la soutenir à condition de laisser aux autres le loisir de faire le contraire. Les folies et les crimes du « communisme appliqué » ne sont pas si loin. Ne laissons donc aucun fondamentalisme religieux islamiste, hindouiste, ou évangéliste ni aucun intégrisme écologique ou social-bien pensant, nous imposer ses fantasmes, ses obsessions ni bien sûr, ses prétendus règles et interdits. En France, la loi républicaine s’applique à tous sans exception qu’ils soient français ou étrangers, elle respecte les croyances et les pratiques des minorités dans la mesure où elles ne vont pas contre la loi mais elle ne saurait légaliser lesdites croyances ou pratiques et encore moins les imposer à la majorité. Libre à ceux qui ne supportent pas l’état de droit ainsi entendu, de s’installer dans un autre pays où le cadre légal et les coutumes répondraient mieux à leurs aspirations. Au delà de la liberté de la presse, notre liberté est en effet, en jeu. Les puristes de « l’anti » devraient aussi faire plus attention aux solutions qu’ils préconisent car il leur faudrait logiquement rejeter absolument, toute tentative de discrimination positive : elle est en effet, de caractère tout à fait raciste car elle implique que le discriminé positif pourrait être inférieur physiquement, culturellement, intellectuellement ou par la race ou la religion !! A bas donc, la différence et interdiction de constater faits ou évidences que l’autre n’est pas tout à fait comme nous ! Le petit bourgeois est rassuré si tout le monde est identique, égal, … cloné ?

 

Quand on les met en rapport avec les problèmes auxquels sont actuellement confrontées les populations des pays en développement, n’est-on pas en droit de se demander si ces comportements sont de simples élucubrations intellectuelles, des caprices de riches ou s’ils sont le signe d’une maladie de civilisation.

 
 

Le petit bourgeois a peur … peur de lui-même, peur de l’autre, peur du monde, peur de dire, peur d’agir … peur de vivre ?

 

En effet, la société industrielle avait permis de lui assurer un cadre à peu près stable et raisonnablement protecteur dont les bénéfices ont culminé entre les années 50 à 70 après, il faut tout de même le rappeler, 150 ans de progrès technique continu et de luttes sociales récurrentes. Celles-ci avaient permis de réduire de moitié les heures de travail, d’assurer une répartition à peu près équitable des revenus d’exploitation des entreprises et de garantir le travailleur et sa famille contre les aléas majeurs de la vie. Las ! à peine installé dans son nouveau confort sécurisé, la société post-industrielle de la nouvelle vague est venue tout bousculer en à peine 20 ans : il faut maintenant être mobile et flexible et il faudra savoir et bien sûr accepter de changer d’emploi, de lieu de travail ou de résidence, changer de méthode de travail et donc se former voire se réformer. Il faudra savoir s’adapter en permanence au changement et à l’instabilité ce qui est par nature anxiogène.

Notre petit bourgeois a donc tout à la fois, peur du changement et peur de perdre son emploi ce qui est évidemment contradictoire car il est certain qu’il perdra son emploi s’il refuse de changer. Stigmatisons à ce sujet, les angoisses et les revendications qu’entretiennent les syndicats et qu’amplifient sottement les media à l’occasion du licenciement de quelques centaines de salariés par telle ou telle entreprise connue alors que chaque jour, plus de 10.000 personnes changent d’emploi en France comme en Allemagne ou en Angleterre et que durant l’année 2007, l’économie française a, chaque jour, créé 1.000 emplois de plus qu’il n’en disparaissait. Les media mais aussi les syndicats et les « politiques » devraient mieux s’employer à relativiser les mauvaises nouvelles et combattre plus intelligemment la peur du lendemain qui paralyse nos sociétés. Mais si, par tentation suicidaire, il advenait que notre société refuse elle aussi de s’adapter, elle serait obligée de s’aligner peu à peu sur les salaires ou rémunérations des nouveaux pays concurrents c’est à dire de diminuer considérablement son niveau et ses conditions de vie. Un équilibrage en effet, se produira inéluctablement à l’échelle du monde entre productivité, prix, salaires et capacité d’investissement et s’il ne se traduit pas par une diminution des revenus, il pèse d’ores et déjà, sur le taux de croissance des revenus du travail et du capital des pays développés. A eux donc, de s’adapter comme il convient pour que cet équilibrage reste un simple effort supplémentaire, un coup de collier à donner, et ne se transforme pas en une régression du niveau de vie de leur population. Certaines civilisations sont mortes dans le passé, de n’avoir pas fait l’effort de réagir à l’évolution du monde. Dans le contexte actuel de déclin naturel du poids économique relatif du monde occidental face au reste du monde (d’autres diraient de retour à la situation qui prévalait avant la Renaissance), on voit un étrange phénomène se produire dans les pays développés quand le taux de chômage diminue : la peur de perdre son emploi décroît et se trouve aussitôt remplacée par la peur de ne pas voir son pouvoir d’achat augmenter aussi vite que celui des autres ! Une peur remplace l’autre et la jalousie égalitariste reprend alors ses récriminations ! La France et l’Allemagne de 2006 et 2007 sont en train d’en faire l’expérience et l’on voit leurs gouvernements mener un combat difficile contre la pesanteur des systèmes et les peurs irraisonnées de leurs « travailleurs/consommateurs ».

 

Le principal boulet est bien entendu, l’inadaptation du secteur public qui est dans la plupart des pays européens et particulièrement en France, la caricature du problème qui nous occupe ici : travailler moins, protéger plus, salaires à l’ancienneté, rigidité absolue des statuts, ossification de l’organisation et des procédures, sclérose syndicale et abandon de pouvoir de la part du politique. En 1985 déjà, devant de brillants hauts fonctionnaires, énarques et polytechniciens, de l’Inspection des Finances, de la Cour des comptes, du Conseil d’Etat et de diverses administrations, il m’advint dans un cénacle de politique économique, de parler d’améliorer la productivité des entreprises publiques et des administrations nationales et locales en précisant pour ne pas trop choquer mes interlocuteurs que, naturellement, les réformes de l’organisation et des procédures devaient se faire dans le respect des règles d’ordre et de droit publics. La réaction fut immédiate : « Voyons cher ami, vous n’y pensez pas, l’Administration n’est pas faite pour être productive mais pour remplir des missions de service public, peu importe le coût ». Un seul des participants m’apporta son soutien, c’était Alain Juppé ! Vingt ans après, beaucoup de ces hauts fonctionnaires ont changé d’opinion mais ils peuvent mesurer les dégâts causés par leur aveuglement d’alors en observant le blocage mental de la fonction publique en général et l’entêtement syndical à vouloir quoi qu’il en coûte, résister au changement qui pourtant, est inéluctablement en marche. Oui ! le service public doit être rendu au moindre coût, oui ! il faut réduire le délai de traitement des dossiers, oui ! il faut simplifier les tâches et les procédures et redistribuer les fonctionnaires ainsi libérés sur d’autres postes plus utiles, oui ! il faut que les entreprises publiques deviennent définitivement rentables pour se porter à la pointe de la recherche et de la dynamique de progrès européennes et mondiales, oui ! l’hôpital est un producteur de soins qui doit trouver le bon équilibre entre la qualité et le coût des soins qu’il prodigue sous peine de voir un jour, ses clients partir se faire soigner ailleurs, oui ! l’éducation nationale aussi, doit optimiser l’utilisation de son énorme outil d’enseignement en l’adaptant aux besoins d’apprentissage, de culture et de formation d’esprit des élèves et des étudiants d’aujourd’hui, se débarrasser des schémas, méthodes et contenus pédagogiques qui ne sont plus adaptés et que des théoriciens confus ont pu imposer au corps enseignant grâce aux abandons de pouvoir des ministres successifs, depuis Edgar Faure en 1968.

 

Quant aux jeunes qui s’inquiètent pour l’emploi qu’ils n’ont pas encore, on comprend leur angoisse, elle se transforme parfois en colère mais comment comprendre qu’elle soit si vite calmée à la suite d’une ou de quelques manifs ? Il est vrai que faire la révolution demande un véritable effort dont on n’est pas sûr du résultat : en réalité, la révolution n’est pas compatible avec des comportements que peuvent se permettre des « gosses de riches » qui pour la plupart, sont assurés que leurs parents ou l’Etat, pourvoiront quoi qu’il arrive à leurs besoins essentiels. Ils leur permettent sans trop leur demander de comptes, de prolonger inutilement leurs études qui remplacent ainsi le défunt service militaire et de reculer le plus possible le moment où ils devront enfin, affronter leur vie d’adulte travailleur et responsable . Deux enquêtes significatives de 2004 et 2005 montrent que 76 % des 15-30 ans trouvent la fonction publique très ou plutôt attractive et que 82 % de leurs parents les encouragent à y rentrer ! 

Grâce au bac pour tous et au rejet de la notation, de la compétition, de l’orientation et de la sélection au cours de la scolarité, ils peuvent s’inscrire en masse à l’Université plutôt que de se préoccuper d’apprendre un métier ce qui les conduit ensuite à refuser des « boulots qui ne sont pas de leur niveau ». Il y a en France, deux fois plus d’étudiants que partout ailleurs dans les pays du même niveau de développement et d’une population comparable ce qui devrait normalement faciliter l’emploi de jeunes toujours plus savants et donner plus d’efficacité à l’économie. Or un important chômage des jeunes subsiste alors que des centaines de milliers d’emplois industriels ou de services ne sont pas pourvus. Que se passe-t-il alors ? notre Education Nationale et notre Université devraient-elle mieux « identifier et accompagner » c’est à dire orienter et sélectionner ceux qui méritent et sont capables d’aller plus loin dans leurs études ? mieux adapter leurs formations à la demande des entreprises ? abandonner les approches et méthodes pédagogiques aussi confuses que le langage abscons des manuels ? se débarrasser de nos « chercheurs/expérimentateurs en pédagogie » et leur expliquer qu’ils sont là pour enseigner et non pour élucubrer sur l’enseignement aux dépens de l’efficacité de l’apprentissage de leurs élèves ou étudiants ? nos étudiants « sur-universitarisés » sont-ils trop exigeants et trop bégueules ? ont-ils peur de se lancer dans la vie et de commencer à prendre leurs responsabilités ? leur a-t-on mis dans la tête de fausses idées sur la vie d’adulte qui n’est ni un lit de roses ni une vallée de larmes.

 

Le mal universitaire semble profond en effet. Un exemple récent : un colloque du mois d’octobre 2007 sur le développement dans le monde, réunissait quelques uns des plus grands professeurs d’économie, de sociologie et autres sciences sociales ou humaines des universités, écoles et instituts de Paris et de quelques pays européens. Tous, éminents penseurs et disséqueurs de concepts, ont savamment et très obscurément discuté de la problématique philosophique du développement et de la manière de le penser mais sur la manière la plus efficace d’y répondre concrètement … rien ! Ces bons docteurs sont intarissables sur les constats et les analyses les plus alambiqués mais assez secs sur les remèdes et sur l’action. Les questions des étudiants (doctorants !) présents au colloque, formés à ce même moule de la théorie « hors sol », à la manière de l’agriculture moderne, volaient elles aussi dans les nuages les plus éthérés.

Comment veut-on en effet, que nos étudiants puissent faire face quand on s’évertue à ne leur apprendre qu’à couper les concepts en quatre et à intellectualiser inutilement les choses les plus simples de la vie ? La vie est ce que nous en faisons, elle se construit sur l’enthousiasme, la volonté, le dépassement de soi et le bon sens mais leurs parents et professeurs, déformés par les dérives idéologiques et le conformisme bien-pensant des dernières décennies, sont bien évidemment très mal placés pour le leur apprendre. Leur a-t-on inculqué de fausses valeurs sur les responsabilités et les devoirs de chacun par rapport à ceux des autres ou ceux de la société ? de faux espoirs d’hédonisme à bon marché et des utopies de droit au bonheur ? Sans doute aussi leur manque-t-il d’avoir appris la discipline à l’école, de n’avoir pas appris la solidarité et l’entraide au sein d’organisations sociales ou de jeunesse, de n’avoir pas accompli ou subi de service militaire où l’on apprend l’effort avec et pour les autres. Efficace mais ringarde (?) école de connaissance et de cohésion sociales qu’il faudrait idéalement rétablir le plus tôt possible pour nos jeunes de banlieue mal intégrés mais aussi pour nos jeunes bourgeois indisciplinés et frustrés. Peut être le recréer sous forme civile, n’en ayant plus l’utilité militaire compte tenu de l’évolution du risque extérieur et des concepts de défense.

Des raisons urgentes de santé mentale publique et nationale, le justifieraient car les jeunes français sont dès le berceau, indécemment gavés de fausses valeurs et de faux problèmes qui pervertissent leur individualisme en pur égoïsme, leur sens de la justice et de l’égalité en égalitarisme imbécile et leur sens critique en esprit râleur !  Les manifestations du printemps 2006 à Paris et ailleurs, en sont le condensé : tous ces jeunes qui selon leur langage bien démodé, « luttaient » dans la rue pour éviter de se battre dans la vie ! Les malheureux encore une fois, ont été grugés par les adultes du secteur protégé et les militances politiques et syndicales exclusivement préoccupées de refaire leur virginité politique pour les unes et leur unité syndicale pour les autres, … Leur seul but en organisant de telles manifestations, est bien évidemment d’installer au pouvoir lors des élections qui suivent, une majorité de « résistance au changement ». Folie car le monde bougera malgré eux et tromperie car ils savent bien qu’ils seront obligés d’accompagner le mouvement !

 

Comment ne pas s’offusquer du gâchis fait aux jeunes et à la société par le laxisme parental et étatique impardonnable qu’aura permis l’enrichissement généralisé des masses ? Il faudrait alors admettre que les capacités d’absorption intellectuelle, morale et philosophique de ces dernières n’ont pu suivre les progrès de la technique ni ceux du niveau de richesse. Ceci amène la question de Luc Ferry : « à quels enfants allons-nous laisser notre monde ? », question qui vaut mieux que la banale lamentation inversée : « quel monde allons-nous laisser à nos enfants ? », dans la mesure où elle sous-entend l’importance cruciale du problème de l’éducation et notre responsabilité à cet égard. Edgar Morin ne semble pas très loin lorsqu’il parle de politique de civilisation, condensé de bon sens de tous les éléments qui peuvent concourir à la solution des problèmes de l’homme dans son environnement et à la maximisation de son bonheur.   

 

Ce que le marxisme n’a pu faire, le libéralisme social et la social démocratie l’ont fait : la société sans classe est bien là et le petit bourgeois ne comprend pas que le bonheur ne soit pas au médiocre rendez vous de la sécurité pour tous et du partage de ce que l’on a pas encore gagné. Il jalouse les plus riches qu’il voit fort bien mais il discerne mal les vrais pauvres, ceux du tiers monde, qui le guettent depuis les périphéries de sa forteresse sécurisée. Il n’est pas encore conscient que le grand défi du siècle, est la compétition qui nous attend avec le reste du monde auquel jeunes et vieux devront faire face par le courage, l’effort et la créativité. Ce ne sont pas en effet, les pauvres philippins, malgaches, égyptiens, chinois, brésiliens ou nicaraguayens qui viendront nous offrir du travail. Pour l’instant, on ne nous demande qu’une certaine modération dans nos appétits de consommation ou de sécurité pour mieux créer de nouveaux emplois, on n’en est pas encore à exiger de nous des sacrifices de survie. Mais cela ne saurait tarder si les politiques n’osent pas remettre les choses en place et si les media et les belles âmes continuent de cultiver la facilité du travailler moins et du protéger plus. Le prix Nobel d’économie Maurice Allais ne rappelle-t-il pas que « parmi tous les pays du monde, la France se distingue par un record incontestable mais désastreux ; c’est le pays où l’on entre le plus tard dans la vie active ; c’est le pays où la durée du travail est la plus réduite et celui où l’on prend sa retraite à l’âge le plus faible ». On sait que l’économie française a pu tant bien que mal éviter jusqu’à maintenant que ne se creuse l’écart avec les autres pays de même niveau, grâce à la productivité des français et à la réactivité de leurs entreprises mais ne devraient-ils pas aussi apporter la preuve de leur intelligence en faisant évoluer leur « modèle » qui peut casser à tout moment sous la pression extérieure. On comprend en effet, que s’insinue dans l’esprit du petit bourgeois une certaine inquiétude et chez ses enfants une angoisse croissante qu’il ne s’agit pas de calmer par les discours lénifiants habituels mais bien de transformer en action avant que l’évolution du monde ne l’y force.         

Amin Maalouf, écrivain libanais et prix Goncourt, s’indignant que les littératures dites francophones ne soient pas d’emblée considérées comme littérature française comme si la langue française n’était pas une et universelle et se divisait en sous-variétés en passant d’un continent à l’autre, voit aussi dans cette étrangeté le résultat d’une perte de confiance et d’une peur diffuse et maladive de notre société, « peur de l’Europe soudain, peur des anglo-saxons, peur de l’islam, peur de l’Asie qui s’élance, peur de l’Afrique qui piétine, peur des jeunes, peur des banlieues, peur de la violence, de la vache folle, de la grippe aviaire…., peur et honte de son passé, au point d’enterrer ses dossiers et de ne plus oser célébrer ses victoires » et il ajoute : « or le monde a besoin de la France mais pas de n’importe quelle France, il n’a que faire d’une France frileuse et déboussolée qui veut se protéger des fantomatiques plombiers polonais voleurs d’emploi et se démarquer à tout prix de ces poètes étranges qui viennent de si loin pour lui voler sa langue ». Tout est dit… et par un « étranger » d’un pays dont les liens avec la France sont presque millénaires.

 

Comme un écho, une étude Sofres de Mai 2006 sur la perception des élites par les français, nous indique que les français classent dans le haut de leur admiration, les « élites du dire » à savoir les journalistes, les intellectuels, les écrivains et enfin, bien qu’un peu moins haut, les magistrats ainsi que les chercheurs et les scientifiques en opposant ces catégories à « celles du faire » à savoir les élus, les hauts fonctionnaires et les entrepreneurs qui traînent très bas dans le classement des élites quand on ne leur conteste pas leur qualité d’élite. On a ainsi le reflet exact de l’état d’esprit qui prévaut : manier la parole pour se mettre en valeur mais rejet profond de toute responsabilité et de toute prise de risque, peur de décider et d’agir, protection maximum. Gloire au penseur même s’il pense faux, méprisons celui qui agit même s’il nous nourrit ! Nous sommes en pleine crise de schizophrénie car nous avons besoin à la fois, de penseurs justes et d’acteurs productifs.

Mais rassurons nous, le petit bourgeois français n’est pas seul, il y a aussi l’allemand, l’anglais, l’italien, le belge, le finlandais, le danois, et tous les autres y compris les slovaques, roumains, bosniaques …. et pourquoi pas les turcs et les géorgiens qui vont bientôt suivre notre exemple si nous laissons l’Europe se dissoudre progressivement dans un magma institutionnel intercontinental, sans politique commune autre que celle du plus petit commun dénominateur commercial. Reconnaissons cependant, que le petit bourgeois français est largement en pointe dans ce sauvage combat pour la paralysie du progrès et son corollaire, la fossilisation des droits. La Stratégie de Lisbonne semble bien loin, qui voulait faire de l’Europe la zone la plus compétitive du monde dans les dix ans !