Le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale sont très critiqués… mais pas toujours pour leurs vrais défauts !

  

Résumé

Le FMI est brutal mais ses patients n’auraient pas besoin d’avaler ses mauvaises médecines s’ils géraient mieux leurs finances…le nouveau rôle du FMI…
La Banque Mondiale cultive le paradoxe d’être arrogante et faible à la fois , elle se trompe souvent et a des engouements excessifs pour ses bons élèves « libéraux »… le discutable concept « d’export led growth » auquel se sont laissés prendre des générations d’économistes et de dirigeants … mais qui donc s’occupe du marché intérieur et du secteur informel ?

Texte complet

D’autres poncifs du développement sont les opinions et appréciations diverses sur le rôle du FMI et de la Banque Mondiale considérés comme les suppôts de « l’impérialisme libéral », la contradiction dans les termes n’effrayant pas leurs détracteurs.

 

Le FMI est brutal et souvent « castrateur »

 

Ses fameux « packages » en effet, sont souvent sévères et prennent d’abord en compte l’aspect redressement financier, négligent en partie l’aspect développement économique et se préoccupent fort peu de l’aspect social au risque de casser toute dynamique dans les pays d’intervention et de les enfoncer dans la crise plutôt que de les en sortir. Il est en effet, par construction, un gendarme financier qui réprime après les crises plutôt qu’il ne prévient ces dernières. Son rôle est de remettre sur pied les pays financièrement mal gérés de peur que l’épidémie ne s’étende à une région entière voire à la planète. Il est vrai que les interventions du FMI ne s’encombrent pas de beaucoup de considérations humaines et que ses interventions ont souvent provoqué des troubles dans beaucoup de pays, par exemple en Afrique du Nord avec les émeutes « du pain », en Amérique Latine dans la fameuse « décennie perdue » des années 80 ou encore en Asie du Sud-Est après la crise de 1997. Il est vrai aussi qu’au cours du demi siècle passé, il a abandonné l’optique originelle keynésienne voire keynésianiste et volontariste au profit d’une philosophie libérale mettant un fort accent sur l’économie de l’offre, le libre-échange et le monétarisme dont le FMI et la Banque Mondiale se sont faits les champions. Il est intéressant de lire à ce propos, les livres de Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, ex-conseiller du Président des Etats-Unis et surtout ancien économiste en chef et vice-président de la Banque Mondiale de 1997 à 2000 : il y reproche assez durement au FMI ses erreurs voire ses compromissions dans les crises asiatique, russe, brésilienne ou argentine dues selon lui, au fait que ses responsables font une obsession libérale et monétariste aiguë et que « le FMI a cessé de fait sinon officiellement, de servir les intérêts de l’économie mondiale pour servir ceux de la finance mondiale » avec dit-il, une forte propension naturelle à obéir sans discuter aux injonctions du Trésor américain. 

On comprend tout à fait les nombreuses critiques qui lui sont adressées par J. Stiglitz ou par d’autres mais il faut tout de même reconnaître que les pays qui ont dû passer sous les fourches caudines du FMI, ont aussi été bénéficiaires de ses largesses monétaires et que s’ils avaient été correctement gérés, ils n’auraient pas eu besoin de ses « services » ! Se plaçant dans l’optique d’une saine gestion financière et du rétablissement des grands équilibres, il est donc difficile de lui en vouloir de ses interventions. En attendant une éventuelle réforme des missions du FMI facilitant la prévention voire une mise sous tutelle préventive des Etats mal-gouvernés et « délinquants » financiers potentiels, la seule chose qu’on puisse lui reprocher, est de ne pas intervenir assez tôt ni assez fort et de ne pas suffisamment prévenir les crises. Il n’en a pas actuellement le pouvoir car les Etats déficients sont aussi des Etats souverains, sinon responsables, qui n’aiment pas être mis sous tutelle ou simplement « conseillés » avant d’y être obligés !

Il conviendrait aussi que le FMI et le Club de Paris surveillent étroitement les agissements de nouveaux prêteurs comme la Chine. Celle-ci en particulier, au mépris des règles et coutumes internationales, utilise ses énormes réserves de devises comme un outil de crédit aux pays pauvres, notamment en Afrique -Soudan, Tchad, Gabon, Congo, Angola par exemple- et en Amérique latine ou encore en Iran, en échange de gages sur leur production de pétrole et d’autres matières premières, exploitation massive des forêts tropicales en particulier, alors que beaucoup de ces pays viennent de bénéficier d’accords de rééchelonnement ou d’effacement de leur dette de la part du Club de Paris. Le réveil de la Chine pas plus que sa très grande soif de matières premières ne justifient qu’elle joue les électrons libres à son seul profit, sans tenir compte des règles de base de la coopération financière internationale ni surtout, des intérêts réels à long terme des pays avec lesquels elle traite et dont elle ruine l’industrie avec ses produits bon marché.

Le rôle de sauvetage financier du FMI a beaucoup diminué en 2005-2006 (30 milliards de dollars d’en cours seulement en faveur de quelques 70 pays) en raison de la bonne tenue de la croissance mondiale, de l’absence de graves crises de change et du remboursement anticipé de gros emprunteurs (Brésil, Argentine, Indonésie, Russie). Cela ne préjuge aucunement des crises et des besoins de financement qui pourraient surgir dans les années à venir au niveau de tel ou tel pays en particulier mais pose la question de l’extension éventuelle du rôle du FMI en matière de surveillance et d’alerte, par exemple la régulation des grands déséquilibres au niveau planétaire (le dangereux déficit de la balance des paiements des Etats Unis ou le non moins risqué et artificiel excédent commercial de la Chine et de quelques autres pays) ou encore la maîtrise des flux financiers et monétaires dont les volumes et la rapidité de mouvement deviennent extrêmement difficiles à suivre donc incontrôlables par les organismes nationaux. Le nouveau Directeur Général du Fonds, D. Strauss-Kahn, vient de prôner à Davos 2008, une solide relance budgétaire mondiale à la place de la rigueur monétariste dont le principe prévalait depuis des décennies : abandonnerait-il les principes du laisser-fairisme et de l’économie de l’offre devenus traditionnels au Fonds, pour revenir à une politique plus interventionniste et plus keynésienne ? Cela mérite d’être suivi en supposant qu’une coordination effective des politiques des grands pays puisse naître un jour.

 
 

La Banque Mondiale cultive le paradoxe d’être arrogante et faible à la fois …elle se trompe souvent …

 

Du côté de la Banque Mondiale et des Banques Régionales de Développement (Banque Asiatique, Banque Africaine, Banque Interaméricaine), le paysage est plus souriant parce qu’elles prêtent de l’argent pour des choses qui se voient, en particulier lorsqu’il s’agit de grandes infrastructures dont les Etats sont très friands même quand ces dernières ne sont pas vraiment prioritaires… (mais elles ont toujours pour leurs promoteurs, quelque charme caché comme on le verra plus loin !). On reproche beaucoup à la Banque, les « conditionnalités » qu’elle impose aux Gouvernements emprunteurs et qui sont souvent ressenties comme des brimades ou des marques de défiance voire des interférences dans les affaires intérieures du pays, au parfum jugé néo-colonialiste. Il est vrai que le comportement des fonctionnaires de la Banque est souvent (généralement) plein de morgue : ils ont l’argent et le pouvoir de dire oui ou non et le font souvent un peu trop sentir.

C’est pourtant l’inverse qu’il faut lui reprocher : il faudrait en effet, qu’elle impose des conditions beaucoup plus dures mais qu’elle le fasse gentiment et qu’elle vérifie sérieusement leur réalisation par la suite ! Au bout du compte, le pays aidé lui serait reconnaissant de lui éviter erreurs de gestion et mauvais choix d’investissement et les contribuables des pays actionnaires lui sauraient gré de faire un usage plus utile de leur argent. Ce serait un véritable progrès mais les organes de direction de la Banque ni les Etats actionnaires n’ont le courage politique de l’exiger  au motif que ce ne serait pas politiquement correct. Et les pays emprunteurs ou plutôt leurs élites gouvernantes, n’y ont évidemment, aucun intérêt.

La voie est dès lors toute tracée, d’une mauvaise gestion de l’emprunt vers la renégociation puis l’annulation de la dette ! Ce cercle vicieux fait souvent de la Banque une « mère abusive » qui soutient des pays comme Haïti depuis des décennies sans obtenir le moindre changement de comportement de ses dirigeants successifs dont elle conforte les habitudes d’inefficacité, de corruption et de mendicité internationale répandant dans le pays entier un état d’esprit d’assisté et d’irresponsabilité qui l’a conduit au chaos et à la misère. Un autre favori récent a été l’Ouganda où des centaines de millions de dollars ont été déversés au motif que les nouveaux dirigeants s’étaient convertis à l’économie libérale et acceptaient comme de bons élèves, d’appliquer le « package » privatisation, réduction des dépenses publiques, libération des marchés et bien sûr, orientation vers l’export permettant, théoriquement, de rembourser les emprunts. On a donc privatisé mais, en grande partie, au profit de proches du pouvoir comme cela est très généralement le cas dans ce genre d’exercice, et beaucoup d’argent a disparu au point que se posent maintenant le problème de la renégociation de la dette et la question de la pérennisation des quelques résultats obtenus par l’injection massive de fonds effectuée ! Signalons encore que le Président ougandais considère comme dans les civilisations agraires du 19è siècle, que l’augmentation rapide de la population est une assurance de richesse future pour le pays alors qu’il court à la catastrophe de ce point de vue comme tant d’autres pays d’Afrique où il n’y a plus de terres fertiles disponibles et où les organisations internationales ne parlent même plus de contrôle des naissances ou de planning familial. Si l’on ajoute à cela, le rôle plus que douteux de l’Ouganda et de son armée dans les pays limitrophes où les trafics en tout genre prospèrent, ainsi que la tendance du Président actuel à vouloir se perpétuer au pouvoir, on comprend que la communauté internationale commence à se poser des questions. Elle aurait peut être dû et la Banque en tête, un peu mieux contrôler l’évolution des choses même si l’aide à l’Ouganda était justifiée au début par la situation qui prévalait dans le pays et dans la zone des Grands Lacs. Sans doute a-t-elle aussi, été biaisée par les visées particulières des puissances anglo-saxonnes concernant le Congo, le Rwanda et le Burundi.

La Banque a aussi été avec le FMI, le principal moteur du retour aux options libérales en Amérique Latine comme ailleurs dans le monde, au cours des années 80 et 90 mais elle a omis d’accompagner le mouvement par des mesures efficaces de lutte contre les effets négatifs de ce nécessaire mais brutal redressement économique et financier : les procédures de privatisation n’ont pas été suffisamment maîtrisées et n’ont trop souvent profité qu’à un petit nombre, les services publics sociaux -éducation, santé, protection sociale- ont été mal gérés par les gouvernements de même que les multiples projets dénommés « fonds sociaux d’investissement » qui n’ont pas pu compenser les fameux « effets négatifs » des plans de privatisation ou de réduction du secteur public. Les pays d’Amérique centrale et d’Amérique du sud mais aussi l’Algérie, l’Egypte et beaucoup d’autres en ont souffert.

 

La Banque Mondiale et les bailleurs ont beaucoup péché par trop d’angélisme en croyant que les bonnes recettes néo-libérales allaient être appliquées sans problème par des élites convaincues de leur bonté et parfaitement conscientes de leurs devoirs à l’égard de leur peuple et de leur nation. On le constate depuis deux décennies mais il ne semble pas que le réveil ait sonné assez fort à Washington ni à Paris, Bruxelles, Londres ou Berlin. A tel point que la CNUCED prenant comme à son habitude, le contre-pied idéologique de la Banque Mondiale, du FMI et de l’OMC, en arrive dans son rapport annuel 2006 à déclarer de façon un peu injuste, que les réformes libérales prônées par ces organismes depuis vingt cinq ans, n’ont aucunement permis de « stimuler la croissance ni fait reculer la pauvreté » mais préconise, cette fois de façon plus juste, de revenir à des politiques d’accompagnement plus volontaristes et parfois même plus protectrices des industries ou économies naissantes des pays en voie de développement, « le temps de pouvoir affronter la concurrence internationale ». Comme toujours, il faut éviter l’écueil du dogmatisme idéologique dans lequel se complaisent toujours la majorité de nos penseurs, économistes ou sociologues et comprendre que, pour bien appréhender la réalité, on ne saurait s’accommoder des seuls binômes laisser-faire ou planification autoritaire et libre-échange ou protectionnisme. La CNUCED a sans aucun doute raison de vouloir protéger les industries naissantes car l’ouverture non maîtrisée des marchés nationaux peut en effet, directement mettre en péril tel ou tel secteur des économies nationales (le riz au Sénégal ou en Mauritanie, le poulet au Cameroun, les œufs au Congo, l’élevage laitier au Pérou, les textiles un peu partout, etc…, etc…). Ajoutons-y les distorsions de concurrence qui dérivent d’une valeur artificielle des monnaies nationales : sous-évaluées, elles propulsent artificiellement les exportations comme on le constate actuellement de la Chine ou du Japon, et sur-évaluées, elles bloquent le développement des industries nationales et de l’emploi comme ce fut le cas pendant longtemps des économies philippine et thaïlandaise où quelques puissantes familles d’importateurs pouvaient dicter à l’Etat sa politique de change ! Tout ceci milite en faveur d’un équilibre raisonnable entre protection et libération des échanges mais la grande inconnue reste la capacité et la volonté des élites dirigeantes de prendre les mesures les plus favorables à l’intérêt général et au développement du pays sans considération des intérêts particuliers auxquels ils sont généralement très fortement liés . 

 

Un défaut tout aussi grave de la Banque touche à sa stratégie même voire à sa philosophie d’action. On ne peut en effet, qu’être d’accord avec les idées de rentabiliser les investissements, de bien gérer le secteur public, de promouvoir le secteur privé, d’aider à « compenser les effets sociaux négatifs des processus d’ajustement structurel », etc…. lorsque cela est bien fait et correctement maîtrisé ce qui n’est pas toujours le cas comme on vient de le voir. A l’inverse, le concept baptisé « export led growth » qui a guidé l’action de la Banque pendant des décennies, a été fortement « misleading » c’est à dire qu’il a été la source d’erreurs majeures d’orientation des politiques nationales de développement de nombreux pays dont la mentalité ni l’économie n’étaient aptes à la mise en œuvre de ce concept. Le modèle sans doute valable pour quelques émirats ou cités-Etats comme Hong Kong ou Singapour, n’est pas applicable à des pays dont la population se compte par dizaines de millions, essentiellement rurale, peu tournée vers l’extérieur et sans tradition commerçante or c’est le cas de la grande majorité des pays en développement. Par ailleurs, l’exportation est certes, un débouché important de la production nationale mais elle est loin d’être le seul ni le plus important sauf dans quelques cas marginaux comme ceux qui viennent d’être cités : il est donc très trompeur pour les décideurs politiques et économiques, qu’un organisme comme la Banque mette si fortement en avant ce seul aspect comme la solution-miracle aux problèmes de développement. Ceci les a trop souvent conduits à négliger le marché intérieur, à raisonner en termes d’entreprises exportatrices et à ignorer en conséquence, le vaste secteur informel de l’économie dans lequel survit et se développe l’immense majorité de la population. Or c’est au sein de cette population qu’on trouvera les futurs consommateurs des produits de l’économie « moderne » que l’on cherche justement à faire croître.

L’exemple chinois viendra-t-il contredire cette dernière affirmation ? c’est peu probable si l’on se penche sur les énormes disparités sectorielles et régionales que cet immense empire devra réduire sous peine d’éclater ou de revenir à la confusion politique, sociale et économique. Le grand défi chinois sera de s’occuper des centaines de millions de pauvres ou « extrêmement pauvres » du marché intérieur alors même que déjà, les salaires de base ayant triplé depuis le début des années 2000, les industries exportatrices deviennent moins compétitives et que certains investisseurs chinois ou étrangers commencent à délocaliser vers d’autres pays d’Asie du Sud-Est encore plus pauvres ! Comme le pétrole en Algérie, l’exportation est pour la Chine, un facteur de développement important qui pourra toucher quelques dizaines de millions d’emplois mais à l’échelle du pays, elle ne sera pas le catalyseur majeur du marché intérieur dont le développement pourra, seul, permettre de créer les centaines de millions d’emplois ou de micro-activités dont il a besoin. Des voix s’élèvent d’ailleurs, du Président de la République au Gouverneur de la Banque Centrale pour rééquilibrer la croissance chinoise, et en même temps la ralentir tout en la consolidant, en faveur de la consommation intérieure et moins vers l’investissement immobilier et l’exportation beaucoup plus aléatoires et fragiles. Ce processus a été celui du Japon depuis cent ans : il a été et reste un grand exportateur au point que tous s’affolaient en Occident, dans les années 70 et 80, quand les exportations japonaises inondaient la planète de produits bon marché. Mais le dynamisme de l’économie japonaise tenait en réalité, beaucoup plus au développement de son marché intérieur qu’à ses exportations qui n’ont jamais été que de l’ordre de 15 % de son PIB.

Le concept « l’export d’abord » devient franchement dangereux pour le développement lorsque ces exportations sont le fait d’un ou deux produits principaux comme le pétrole, le gaz ou telle autre matière première. Ils procurent en effet, des ressources « faciles » à des gouvernements déjà trop enclins aux « facilités » et mal équipés pour discerner les meilleurs emplois possibles de ces ressources dans la promotion d’un développement durable et à long terme. Dans la mesure où elles sont gâchées, mal utilisées voire détournées, ces ressources ne font que gonfler artificiellement les taux de croissance et le niveau du PIB par habitant, entretenant du même coup le laxisme et l’illusion comme on le voit malheureusement en Algérie, au Vénézuela, en Bolivie et dans plusieurs pays africains. Un comportement du type « emirati » n’est pensable et faisable que dans les quelques petits pays peu peuplés du Golfe encore qu’ils aient eux mêmes, éprouvé quelques craintes d’ordre financier lorsque le prix relatif du pétrole avait beaucoup baissé dans les années 90.

Doit-on à la décharge de la Banque, et pour mieux comprendre son « obsession exportatrice », faire valoir que l’exportation génère des devises et permet donc de rembourser les emprunts ce qui l’intéresse évidemment au premier chef ? Ce serait trop cruel d’insister sur ce point car on aurait là un bon exemple d’égoïsme institutionnel qui fait passer les intérêts de « l’Institution » avant ceux des gens qu’elle est censée aider. Dire cela, n’implique pas pour autant de nier que le respect des grands équilibres et en particulier celui des échanges extérieurs, soit une composante importante de l’économie du développement !