Un peu d’histoire… et quelques anecdotes

orientée

Résumé

mes propres aventures avec la Commission… ou l’expérience critique nécessaire et suffisante de la Commission elle-même, de ses instruments et de plus de 60 pays en développement, en crise ou en guerre…

de la découverte de l’Amérique à la fossilisation bureaucratique

La routine de la coopération et ses trois grandes fautes

Texte complet

…mes propres aventures avec la Commission …. l’expérience critique, nécessaire et suffisante, des différents domaines de la coopération

 La Commission prépare en général, ses décisions stratégiques et opérationnelles en faisant appel à des consultants. De même, elle n’exécute pas directement ses activités ou ses projets sur le terrain mais elle les fait exécuter par les gouvernements en mettant des consultants à leur disposition pour l’identification, la préparation, la réalisation, le suivi et le contrôle de ces études, actions ou projets. Le fonctionnaire quant à lui, juge, supervise et décide. Le consultant a donc toujours été un partenaire opérationnel majeur de la Commission même si ses fonctionnaires sauf quelques remarquables exceptions, sont souvent réticents à lui reconnaître pleinement ce rôle.

Tout commence donc par le Curriculum Vitae. Il est le premier outil de travail des fonctionnaires et des consultants. C’est lui qui permet au consultant de « se vendre » et au fonctionnaire de recruter sa « main d’œuvre ». Le CV est aisément manipulable ou « enjolivable » mais le monde du conseil en développement est curieusement assez petit et les réputations, bonnes, mauvaises ou pire encore médiocres, s’établissent assez vite auprès de la Commission et auprès des bureaux d’études qui lui proposent leurs consultants. Ceci empêche de trop jouer sur le CV. Ce dernier enfin, est pour le fonctionnaire, une sorte de certificat de garantie fourni par le bureau d’étude sous-traitant qui le dispense ainsi de porter lui même un jugement sur l’individu proposé.

Mon CV n’est plus vraiment discuté, sans doute le privilège de l’âge et de l’expérience qui va avec. En revanche, il arrive qu’on discute beaucoup les conclusions et les recommandations de mes rapports dont certaines depuis une dizaine d’années, ont choqué quelques responsables de la Commission. Elles bousculaient en effet, trop d’habitudes de pensée, de routines et de conforts bien établis ou mettaient en cause des décisions ou des procédures que je jugeais incompatibles avec les objectifs recherchés par la coopération. Toute remise en cause comme toute réforme, implique des responsabilités et donc des risques or les « administrateurs » y compris ceux du plus haut niveau, ont été formés à l’administration de l’existant et s’ils n’ont pas un penchant naturel pour l’innovation, ils n’aimeront pas « sortir du cadre » pour prendre des chemins de traverse !

 

Mon parcours commence avec des études de droit public, d’économie et de sciences politiques et ma curiosité me conduisit à apprendre quelques langues européennes et orientales avec l’histoire des peuples qui les parlent. Abandonnant vers la fin de ces études, l’idée première d’une carrière diplomatique pour une offre qui m’est faite dans le monde de l’entreprise, je me lance dans le commerce et en viens à créer une entreprise qui a beaucoup grandi depuis. En 1970, le groupe SEMA-Metra International m’accueille. Cette entreprise, sanctuaire polytechnicien du secteur privé de l’époque, était alors sans conteste la plus importante et la plus « pointue » des sociétés européennes de conseil. Marcel Loichot était un des créateurs du groupe et de plus, un des trois mousquetaires de la participation et de l’intéressement des salariés avec Vallon et René Capitant. Jacques Lesourne, l’autre dirigeant de SEMA, devait par la suite, animer l’équipe internationale de recherche prospective d’Interfuturs dans le cadre de l’OCDE (1978-80). Une dizaine d’années à la SEMA, auprès d’une trentaine d’entreprises grandes ou moyennes et quelques projets importants de conseil et d’ingénierie en Afrique et au Proche-Orient, me firent bien connaître les problèmes de stratégie, de gestion et d’organisation des entreprises. La SEMA cependant, s’orientant de plus en plus vers l’informatique que je considérais comme un outil nécessaire mais pas au point d’y consacrer mon existence, je quittais cette société à laquelle je dois d’avoir assimilé ce qui était sans aucun doute, les meilleures méthodes d’analyse-synthèse-action du moment. Au début des années 80, je participai donc avec quelques anciens dirigeants et amis de SEMA, à la création d’une nouvelle structure qui s’est bientôorientéeacute;e sous l’impulsion du plus innovateur de ses fondateurs, vers le développement en France de ce qu’on appelait les « méthodes de gestion japonaises », flux continu, « juste à temps » et amélioration permanente des processus de production. Ces méthodes ont permis aux entreprises industrielles de faire d’énormes progrès de productivité et de réactivité dans les années 80-90 et ont pu être appliquées à quelques administrations publiques malgré la résistance au changement manifestée assez systématiquement par les « administrateurs » formés au moule.

 

J’étais en même temps, entré en contact avec la Commission Européenne et commençai en 1984, à travailler pour le compte de la Direction Amérique Latine et Asie (ALA), récemment créée au sein de la Direction Générale des Relations Extérieures. Depuis cette date, les opérations se sont enchaînées jusqu’à compter maintenant plus d’une centaine de missions en Amérique Latine, Asie, pays ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique) et pays MEDA (rive sud de la Méditerranée) sans oublier quelques missions en Russie, Asie Centrale et Balkans. Du fait de mon expérience passée, j’étais rapidement devenu capable d’assumer des tâches aussi variées que celles touchant par exemple, la coopération économique et le développement des entreprises, la coopération technique dans le milieu informel rural ou urbain, la définition de stratégies de développement ou de politiques sectorielles, et enfin, de nombreux projets ou programmes multilatéraux de coopération dans les divers domaines commerciaux, industriels ou de services. Il m’est aussi arrivé de m’occuper de déminage en Bosnie et au Cambodge, de désarmement et de réintégration d’ex-combattants en Sierra-Leone, au Nicaragua ou au Liberia  ou encore de monter des projets de pacification-développement dans des zones sensibles (qu’on pourrait même légitimement qualifier de dangereuses !) où sévissaient le Sendero Luminoso au Pérou, les FARC en Colombie ou le GIA en Algérie. J’ai eu l’honneur d’assister aux fêtes de couronnement du roi des Swazis dans le sud de l’Afrique mais j’ai aussi eu le désagrément d’être « l’invité un peu forcé » des forces révolutionnaires du New People’s Army aux Philippines ! 

Mes interlocuteurs naturels du côté de la Commission ont été les directeurs, chefs d’unité, « responsables pays » ou délégations et du côté des pays récipiendaires, les ministres, sous-ministres et responsables des services centraux et locaux, les ONG de terrain, enfin et surtout, les populations concernées au bout de la chaîne. Quant à la communauté internationale, il s’agissait dans le cadre de chaque étude ou projet, de coordonner l’action de l’UE avec les principaux bailleurs que sont la Banque Mondiale et les Banques régionales de développement (Interaméricaine, Africaine et Asiatique), le système des NNUU, le FMI et les coopérations bilatérales européennes, japonaise et des Etats-Unis sans oublier les organisations, gouvernementales ou non, qui leur sont plus particulièrement liées.

Certains enseignants de Paris I / Sorbonne m’ont alors demandé de faire profiter leurs étudiants de mon expérience des problématiques du développement et du montage de programmes ou projets. L’idée était de leur apporter la connaissance pratique des choses à côté des théories économiques, historiques, géographiques ou sociologiques qu’on leur enseigne à l’Université. Depuis 1997, j’essaie donc de montrer à nos étudiants de DESS ou DEA et maintenant de « mastère » en développement, les méthodes qui marchent sur le terrain en pointant les pièges à éviter et les erreurs à ne pas commettre aux différents niveaux de décision et d’action.

 

J’ai eu la chance de bénéficier dans les dix premières années de ma collaboration avec la Commission, d’une grande liberté d’action dans la mesure où les équipes chargées de la coopération avec les pays d’Amérique Latine et d’Asie, étaient très réduites à Bruxelles et qu’il n’y avait pas encore de délégation dans les pays en question. Il m’est donc souvent arrivé d’être en situation de facto, de représenter la Commission et parfois de devoir prendre des initiatives ou des décisions sur des projets qui dépassaient clairement les compétences d’un consultant. Ce fut une expérience intéressante car si les responsabilités formelles étaient à Bruxelles, les responsabilités de terrain étaient bien au Pérou, aux Philippines, au Cambodge, au Salvador, au Nicaragua ou ailleurs. 

A partir de 1995, la liberté d’action voire même la liberté de proposition du consultant s’est réduite dans l’exacte mesure du renforcement progressif des structures des différentes directions géographiques ou fonctionnelles et de l’extension du réseau des Délégations. Mais en parallèle, un blocage s’est progressivement installé par une formalisation excessive et tatillonne des règles et procédures de gestion de l’aide et par une mise en œuvre assez désordonnée de méthodologies, cycle de projet, cadre logique, manuels divers de préparation ou évaluation de projets, etc… dont on découvrait peu à peu l’importance au sein de la Commission. Tout cela était certes, fort nécessaire pour mieux harmoniser l’action sur le terrain et aurait pu être très utile si ces règles et ces outils avaient été mieux adaptés aux réalités du terrain et si plus de fonctionnaires les avaient utilisés pour ce qu’ils étaient, au lieu de se cacher derrière eux comme s’ils étaient des textes sacrés ou de s’en prévaloir pour s’excuser de ne plus agir .

 

Mon expérience de la Commission et de ses activités se situe donc à la convergence du politique et du terrain ou plus exactement, couvre chacun de ces domaines. Elle m’a donc permis de comprendre aussi bien les contraintes politiques et institutionnelles des « hommes de cabinet » qui n’ont pas toujours l’expérience du concret mais plus souvent une approche assez conceptuelle et parfois assez floue des problèmes, que les exigences des hommes de terrain qui savent les difficultés de la mise en oeuvre mais ont trop souvent le jugement bridé par le cadre assez étroit de leur action ou de leur spécialité technique. La préoccupation d’un équilibre raisonné entre ces deux aspects a donc guidé ma réflexion dans les jugements portés sur les activités auxquelles j’ai pu participer, ainsi que dans les enseignements qu’on pouvait en tirer pour identifier les remèdes aux faiblesses de notre coopération.

Bref, un parcours dont l’horizon, d’abord réduit au traitement des petits bobos de l’entreprise, s’élargit ensuite aux souffrances des sociétés et des Etats avant de s’ouvrir sur le mal stratégique des organisations de coopération internationale. Un parcours garant de l’expérience critique, nécessaire et suffisante, des différents domaines de la Coopération ainsi que de ses acteurs, bailleurs et gouvernements, fonctionnaires, ministres et politiciens, mais aussi des populations et des diverses problématiques de la pauvreté et du développement

 

…. de la découverte de l’Amérique à la fossilisation bureaucratique

 

Au début des années 80, la Commission n’avait de coopération significative qu’avec les pays dits ACP, Afrique, Caraïbes et Pacifique, c’est à dire des territoires ou pays qui étaient sous la domination des anciennes puissances coloniales au moment où ces dernières ont rejoint les Communautés Européennes. La coopération de la Commission avec les pays ALA, Amérique Latine et Asie, était encore très récente et ses deux principaux responsables, forts de leur expérience antérieure dans la zone ACP et donc des problèmes qu’ils y avaient rencontrés, cherchaient une manière plus efficace de coopérer. Ils s’étaient courageusement lancés à l’assaut des continents américain et asiatique encore inexplorés par la Commission . Ils avaient relevé ce défi avec une très petite équipe bruxelloise et en fait d’appui sur le terrain, ils n’avaient pour l’Amérique latine du Mexique jusqu’au Chili qu’une délégation de trois ou quatre personnes à Caracas et la même chose à Bangkok pour toute l’Asie du Sud-Est ! La coopération à l’époque, était dirigée depuis Bruxelles et ces délégations n’avaient en fait, qu’un rôle mineur. Elles ne visitaient pratiquement jamais les autres pays de la région. Les consultants que Bruxelles envoyait pour définir des stratégies ou préparer des programmes, devaient donc avoir la totale confiance du Siège dans la mesure où ils étaient de fait, les représentants de la Commission et étaient considérés comme tels par leurs interlocuteurs officiels locaux. A cette époque, le consultant était un véritable partenaire et travaillait en étroite collaboration et en toute confiance, avec les responsables de Bruxelles auxquels il rendait compte aussitôt qu’un problème d’ordre institutionnel voire diplomatique pouvait se poser ce qui, nécessairement, arrivait assez souvent.

 

Les premiers grands projets et programmes nationaux et régionaux ont donc été lancés dans les années 1985-1990 et on se souvient avec émotion, que les tout premiers en Bolivie, avaient pu être lancés en 6 mois comptés entre la première visite de pré-identification et l’arrivée des experts européens sur le site avec leurs véhicules. On y pense avec émotion car il y faudrait aujourd’hui deux à trois ans de procédures en supposant que rien ne vienne perturber le bel ordonnancement d’un processus maintenant pétrifié par « Le Règlement » ! Dans les années 1990, les Délégations ont essaimé en Amérique Centrale et en Amérique du Sud à partir de Caracas en commençant par celles du Costa-Rica puis du Pérou, de Colombie, etc… et en Asie, à partir de Bangkok en commençant par celles de Manille et de Djakarta, etc… Les équipes des Délégations étaient très faibles au départ, en nombre et aussi parfois en qualité, et leur rôle en matière de coopération, face au centre bruxellois, est toujours resté assez ambigu .   

Cela n’a pas empêché la coopération de croître considérablement au cours de ces années ni les structures de s’étoffer pour couvrir les besoins de préparation et de suivi des politiques et des projets. En même temps, des accords étaient négociés et signés pour mieux cadrer la coopération tandis que l’étude préalable des problématiques pays faisait l’objet de « papiers stratégiques pays » (country strategy papers) et que le contenu de la coopération était fixé dans des Programmes Indicatifs Nationaux (ou Régionaux dans le cas de groupements de pays et de programmation régionale). Ce processus de gestion de la coopération aurait donc déjà dû être bien rôdé quand il fut décidé au début des années 2000, de procéder à la dernière des nombreuses restructurations à savoir la décentralisation de la gestion des projets et des aides au niveau des Délégations dont on devait renforcer les capacités à cette occasion. L’ensemble de ce dispositif n’était pas a priori mauvais et, bien utilisé, il aurait dû permettre de mieux cibler, encadrer et contrôler la coopération et en particulier, de la conduire en forme réellement et profondément partenariale avec les gouvernements concernés, enclenchant ainsi des processus de responsabilisation locale et nationale.

 

Hélas, la pratique ne l’a pas permis ainsi car les instruments prévus d’identification et de programmation n’ont pas été utilisés comme il aurait fallu et qu’un « Règlement » de plus en plus touffu et inadapté, est venu alourdir et souvent bloquer, la gestion des projets. En leur ôtant l’efficacité à laquelle ils auraient pu prétendre, le Règlement portait atteinte du même coup, à la pertinence même de la coopération dans son ensemble. De plus, au tournant des années 2000, les Commissariats et Directions Générales concernés se sont évertués à détruire le système de Co-Direction, le seul instrument de gestion véritablement partenarial que les équipes antérieures s’étaient échinées à mettre en place pour garantir une saine gestion des projets et éviter la politisation des conflits éventuels.

L’encroûtement bureaucratique qui avait motivé il y a une vingtaine d’années, la recherche de solutions de gestion plus dynamiques en Amérique Latine et Asie, a donc gagné cette dernière zone de coopération. La situation ne s’est évidemment pas améliorée entre-temps dans les pays ACP dont la coopération est restée fort imprégnée du complexe néo-colonialiste des bailleurs, se transformant progressivement et inexorablement en assistanat et bonnes œuvres. Quant à la coopération MEDA avec les pays de la rive sud de notre Méditerranée, dont l’importance a cru considérablement à l’occasion du partenariat initié il y a une dizaine d’années à Barcelone, elle souffre des mêmes syndromes négatifs que les ACP auxquels une très grande sensibilité géo-politique donne encore plus d’acuité.

Bref, l’ensemble de ces déficiences, erreurs et dysfonctionnements allonge les délais de lancement des projets à plus de deux ans au lieu des quelques mois auparavant nécessaires. La Commission fait donc maintenant, tout aussi mal que la Banque Mondiale dont on se moquait tant il y a dix ou vingt ans ! Les projets par ailleurs, subissent des retards d’exécution si considérables qu’on en vient pour certains à se poser la question de leur véritable impact lorsqu’on est obligé de prolonger une, deux ou trois fois leur durée officielle d’exécution. Au point que la ligne hiérarchique, Commissaires et Directeurs Généraux en tête, est devenue véritablement obsédée par le « reste à contracter » et le « reste à liquider » (« le fameux RAC/RAL » !) de projets que le respect de procédures incohérentes et inefficaces empêche d’avancer. On aurait préféré qu’elle le fût par l’atteinte des objectifs et la maximisation des résultats et qu’une analyse approfondie des causes, la conduisît à faire table rase du fameux Règlement et à convaincre le Conseil des Ministres de réformer le système !

 

On a donc assisté au cours des dix dernières années, à une fossilisation générale du système de coopération sans que les Commissariats et Directions Générales concernés ne prennent la moindre décision d’envergure pour remédier au mal, se rabattant sans beaucoup de succès sur des réformes de structures inutiles. Ces dernières se bornaient en effet, à redistribuer tâches et fonctions et replacer les hommes dans des structures successivement géographiques puis sectorielles, horizontales puis verticales ou à inventer des structures « obliques ou transversales », sans redéfinir le cadre de gestion c’est à dire sans toucher aux causes mêmes du mal. Il fallait en effet, remettre à plat et reconstruire le système de gestion au lieu de penser le changement dans le cadre du même système. C’est on le verra, un défaut fréquent à la Commission comme d’ailleurs dans toute grande administration : ses dirigeants ont du mal à penser hors du cadre ! On le regrettera d’autant plus que des rapports de consultants connaissant bien « la maison », avaient à plusieurs reprises recommandé de procéder à ce nécessaire nettoyage des règles, des procédures et des pratiques.

La Commission s’est donc montrée jusqu’à présent, très peu douée pour la réforme comme n’importe quel banal corps administratif national ou international : il suffirait pourtant de prendre quelques responsabilités au niveau convenable.

 
 
 

La routine de la coopération et ses trois grandes fautes

 
 

Les relations de l’Union avec les pays en développement sont partagées par les tandems formés du Commissariat aux Relations Extérieures et du Commissariat au Développement et au niveau en dessous, de la Direction Générale des Relations Extérieures et de la Direction Générale du Développement auxquels s’ajoute maintenant le Haut-Représentant à la politique étrangère et de sécurité. L’Office de coopération baptisé « Europeaid » est quant à lui, chargé de la mise en œuvre de la coopération en liaison avec les Délégations qui depuis la « déconcentration » sont responsables des activités et des projets. La dénomination de ces unités peut changer mais il y a le plus souvent, intervention de ces diverses entités dont le domaine de compétence varie au gré des négociations qui ont présidé à la nomination des responsables, et des restructurations successives. En fait, ces relations couvrent les domaines de politique étrangère pure à savoir les relations politiques de pays à pays, la politique économique et commerciale avec ses accords spécifiques, l’aide au développement et l’aide humanitaire avec ses financements et ses projets et enfin, la sécurité et la défense avec ses accords particuliers entre Etats et ses interventions civiles ou militaires.

Le diplomatique et le commercial représentent l’essentiel des relations avec les pays développés comme les Etats-Unis, le Japon ou l’Australie ainsi qu’avec les pays émergents comme la Corée, Taïwan ou Singapour. L’aide au développement et l’aide humanitaire sont au contraire, l’élément le plus important pour les pays en développement c’est à dire la grande majorité des pays et les trois quarts de la population du monde. Les grands pays à très forte population comme le Mexique, le Brésil, la Chine ou l’Inde présentent quant à eux un profil double : une partie de leur population intégrée dans la partie moderne de leur économie, relève de la seule coopération diplomatique et commerciale en raison des défis concurrentiels qu’elle constitue pour les économies des pays développés mais le gros de leur population ne vit en fait, que d’activités informelles qui relèvent de la coopération développement. A leur égard d’ailleurs, on pourrait légitimement penser que leur secteur moderne public et privé, devrait suffire à promouvoir le développement de leur immense secteur informel. On verra plus loin qu’il n’en est rien parce que le défi est trop immense et que la volonté politique manque ainsi que les compétences pour le faire.

 

La coopération développement est réalisée sous trois formes principales. Il peut s’agir de projets financés et montés par l’Union en collaboration avec les pays bénéficiaires pour aider un secteur spécifique par exemple, les transports, l’agriculture ou l’industrie ou pour couvrir les besoins de développement global d’une région particulière par exemple un projet de développement local, rural ou urbain. Il peut s’agir de coopération décentralisée où le financement de l’Union cherche à promouvoir une coopération plus étroite entre entreprises, universités, ONG ou autres institutions nationales ou locales des pays européens et leurs homologues des pays en développement. Il y a aussi les financements d’appui budgétaire, appui global ou appui spécifique à un ministère ou à une institution sectorielle, qui sont censés s’ajouter au budget normal de l’Etat ou de l’institution concernée et non s’y substituer ce qui est, malheureusement, trop souvent le cas.

 

Les objectifs de la Coopération sont d’abord politiques par le fait qu’elle affirme ainsi la présence européenne et cherche à préserver ou accroître l’influence de l’Europe dans les différentes parties du monde. Dans cette aventure, la Commission reçoit normalement l’appui des Etat membres de l’Union mais la coordination politique et financière est rarement parfaite et les Etats jouent parfois leur propre jeu vis à vis du pays hôte tout en cherchant souvent à accaparer les réalisations de l’Europe. Cela s’améliore car l’intégration a fait des progrès mais on pourrait faire beaucoup mieux si les moyens étaient donnés aux délégations et si elles avaient des instructions plus fermes, d’assurer adroitement et patiemment cette coordination, c’est à dire en ménageant les susceptibilités nationales des Etats membres. Le poids de l’Europe en serait considérablement accru.

La coopération peut être aussi très politique en se plaçant du point de vue des pays aidés comme ce fut le cas en Amérique Centrale entre 1985 et 1995. La Commission avait alors délibérément conçu et mis en œuvre des projets régionaux dont le but premier était de maintenir le contact entre les administrations de pays politiquement opposés voire belligérants ou en état de guerre civile, pour favoriser les initiatives régionales de rétablissement de la paix puis le démarrage d’une véritable coopération régionale. Ce fut le résultat effectivement obtenu en Amérique Centrale. De même en Amérique du Sud, pour favoriser le rétablissement de la démocratie et des « états de droit » largement bafoués et oubliés par les régimes autoritaires des années 70-80. Là aussi le but fut atteint dans une large mesure ce qui met d’autant mieux en relief des erreurs comme celle qui fut commise à partir de 1993 lorsque la Commission, cessa brusquement de soutenir l’organisation des cinq Etats du Pacte Andin avant d’y revenir un peu honteusement, quelques années plus tard. Les enjeux géo-politiques de la coopération avec les pays du Pacte Andin auraient dû prévaloir bien évidemment, sur les arguments techniques ou financiers subalternes mis en avant à l’époque. Ce sont des erreurs stratégiques en particulier dans le contexte latino-américain où la compétition est forte, même si elle reste pacifique, entre l’Europe et les Etats Unis. La hiérarchie de la Commission n’a pas bien compris ces enjeux et a fait preuve à cette occasion, d’une déficience certaine de contrôle et de jugement.

De même sont très politiques, des projets comme ceux qui ont été réalisés dans les zones d’insécurité du Pérou, des Philippines, du Nicaragua, du Salvador, de Colombie et d’Algérie ou encore certains projets de reconstruction de l’Etat au Liberia ou au Sierra Leone, etc…. L’objectif de pacification ou du moins de stabilisation socio-politique, y était évidemment essentiel.

 

Il faut cependant, éviter de faire croire que tout est politique. On invoque en effet, trop souvent les aspects « politiques » lorsqu’on manque simplement du courage nécessaire pour dire non et qu’on s’apprête en fait, à justifier un recul ou une « négligence bénigne » … même si cela doit coûter cher. Accepter par exemple, de financer une lourde mécanique de sécurité alimentaire qui s’avère en tout état de cause, insuffisamment réactive en cas de crise grave et laisser la gestion de routine, à la politique clientéliste de tel gouvernement du Sahel au lieu d’y promouvoir une politique de sécurisation des revenus pour tous, est une erreur stratégique et non un acte de haute politique. De même, accepter de financer des ouvrages mal ciblés dans certaines communes de Palestine, du Honduras, des Comores, du Liban, du Yémen ou d’ailleurs ne saurait trouver sa justification dans la situation politique particulière de tel ou tel pays ; c’est au contraire, lui rendre un mauvais service que de chercher à plaire à ses dirigeants et à les conforter ainsi dans leur laxisme ou leur incompétence. De même, se résigner à ce qu’un projet ne donne que le quart ou la moitié de ce qu’il devrait produire sous prétexte qu’on ne peut pas changer le Règlement ou modifier l’accord de coopération qui en bloque l’exécution, est un renoncement absurde devant un problème qu’il suffirait d’élever au niveau des décideurs compétents de la Commission ou du Conseil. En effet, la coopération a d’autres objectifs que le seul aspect « politique » dont on baptise souvent la complaisance, elle doit aussi obtenir des résultats techniques, économiques ou sociaux et le fait de ne pas les obtenir est véritablement politique car scandaleux !

 

Les financements de l’Union passent désormais par le canal des administrations des pays aidés sauf dans le cas des projets d’ONG financés par l’UE qui sont réalisés sous leur propre responsabilité. En effet, le principe de gestion directe des projets par une équipe de gestion autonome, est progressivement abandonné sous le louable prétexte que les gouvernements « s’approprient » les projets, ce qu’ils n’ont pas manqué de faire … mais pas toujours dans le sens souhaité ! Voyant cela, la Commission a imposé des règles et des procédures qui donnent l’illusion du contrôle mais aussi, la certitude du blocage ! Cette belle idée est la cause première de l’inefficacité de nombreux projets dont la gestion combine maintenant les inconvénients des procédures nationales avec ceux des procédures européennes. Le Règlement aussi détaillé soit-il, n’a pu prévoir en effet, tous les cas particuliers ou exceptions possibles et s’avère d’autant plus incongru qu’il est interprété de façon parfois très différente d’une délégation à l’autre bien qu’il soit censé être la « bible » des fonctionnaires ! Son mélange avec les procédures nationales de gestion des fonds publics, se fait parfois explosif, souvent bloquant et toujours retardateur. La région Amérique latine-Asie (ALA) y a échappé grâce au système de co-direction, jusque vers l’an 2000 lorsque les dirigeants de la Commission, malheureusement imprégnés des habitudes de gestion de la zone ACP, ont décidé de le supprimer et d’aligner la gestion d’ensemble de la coopération sur le système ACP aux inconvénients duquel la Co-direction mise en œuvre dans les pays ALA, avait précisément pour but d’échapper.

 

Il faut enfin souligner le fait que la coopération européenne, sauf celle de la Banque Européenne d’Investissement, est financée sous forme de donations et non de prêts : elle ne s’ajoute donc pas à la dette du pays et devrait légitimement pouvoir faire l’objet de conditions strictes d’octroi, de gestion et de contrôle concrétisant un véritable partenariat pour le développement. Ce n’est plus le cas à force de petites et de grandes démissions : le pays est devenu le gestionnaire de fait et la Commission finit presque toujours par accepter ses demandes plutôt que de dire non ou de suspendre sa coopération. En l’absence d’un système officiellement reconnu de co-décision et de co-direction, elle semble avoir de plus en plus de mal non seulement à imposer ses conditions de partenariat mais tout simplement à faire face aux exigences de ses « partenaires ». Il y a là un problème freudien dont la Commission, semble-t-il, a du mal à se débarrasser, un problème de même nature que sa rigueur extrême en matière de concurrence et ses hésitations à aider franchement les acteurs européens dans leur bataille commerciale mondiale.

Cette difficulté de la Commission d’être elle-même, conduit à un brouillage des responsabilités qui nuit dramatiquement à l’efficacité de son action. Trois grandes faiblesses rongent la coopération à lui faire perdre sa pertinence même :

-          une grave erreur de méthode dans la mise en œuvre du concept de partenariat pour le développement,

-          une grande confusion dans les stratégies et les approches de développement,

-          une étrange absence de réaction face au blocage bureaucratique de la coopération.